Les Français sont généreux. En 2022, ils ont versé 5 Mds € aux associations et œuvres diverses[1]. Cette générosité prend de multiples formes : dons d’argent (espèces, legs …), dons en nature (vêtements, nourriture), don de soi aussi.
Article paru dans le numéro 49 de janvier 2024 – Israël. La guerre sans fin.
Depuis L’Essai sur le don (1950) de Marcel Mauss, les anthropologues, sociologues, historiens et économistes ont multiplié les études pour identifier les déterminants d’un acte déjà analysé par les philosophes. Ils sont multiples : âge, revenu, épargne, diplôme, incitations fiscales, milieu familial, tradition d’engagement, confiance dans l’action collective, pratique religieuse, autant d’éléments eux-mêmes interdépendants se combinant de façon complexe dans l’espace. Aussi les cartes de la « générosité » sont-elles rares. Le département n’est sans doute pas le cadre le plus approprié : une approche fine à l’échelle communale serait plus instructive, mais les données font défaut. Nous avons sélectionné huit indicateurs[2] sur une période d’une quinzaine d’années (2006-2022) pour assurer une relative stabilité aux résultats. Ils recouvrent trois aspects majeurs de la générosité : la répartition géographique des donateurs (densité), le montant des dons en argent, et le don de soi (bénévolat, don du sang) pour le volet qualitatif. La méthode est la même que celle utilisée pour « la France du non » (Conflits no 39, p. 26). On voit ainsi se dessiner de réelles disparités de générosité entre les territoires[3], confirmant les études de la Fondation de France ou de Recherches et solidarités.
Trois zones de plus grande générosité se dessinent : la fameuse « diagonale de générosité » qui, s’étirant des Pyrénées-Atlantiques à l’Alsace, prend en écharpe le sud et le centre du Massif central, puis l’axe rhodanien jusqu’au Jura ; l’ouest parisien (Paris, Hauts-de-Seine, Yvelines) ; enfin, dans une moindre mesure, le bloc breton, avec notamment la Loire-Atlantique. À l’inverse, les zones de moindre générosité se détachent nettement : au nord, le Pas-de-Calais, la Picardie, la Normandie forment un vaste ensemble. On trouve aussi la bordure nord du Massif central et l’auréole sud du Bassin parisien jusqu’aux Ardennes. Enfin la Corse et, dans une moindre mesure, le littoral méditerranéen au visage contrasté. La correspondance avec quelques facteurs explicatifs est forte : les pôles métropolitains de hauts revenus (région parisienne – 60 % des donateurs et 60 % des montants déclarés –, Lyon, Toulouse…) sont plus généreux ; les zones rurales plus ou moins vieillissantes en déshérence (modestes retraites et équipements publics déficients) ou le Pas-de-Calais appauvri sont moins portés au don. La tradition associative, la pratique religieuse, le sens de l’engagement, la conscience identitaire ne sont sans doute pas étrangers à leur place prééminente dans cette géographie du don. Mais l’interprétation reste délicate : en Bretagne, des donateurs nombreux, mais donnant peu proportionnellement à leurs revenus ; en Seine-Saint-Denis, c’est l’inverse. L’inflation actuelle peut freiner l’élan de générosité, sans l’entamer, tant elle est socialement enracinée et demeure une vertu qui, disait Descartes, « est le propre des âmes bien nées ».
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[1] Le chiffre ne concerne que les particuliers. On compte aussi 104 000 entreprises mécènes.
[2] Densité : nombre de donateurs imposés en pourcentage du total des contribuables en 2006, 2019 et 2021. Pourcentage de donateurs/hbt (2020). Effort de générosité : montant moyen des dons (pourcentage) rapporté au revenu moyen (2006). Don de soi : pourcentage de bénévoles dans la population (2022) ; pourcentage de donneurs de sang (2016). Sources : Fondation de France, francegenerosités.org ; fnors.org ; francebenvolat.org. Travaux de J. Malet, C. Bazin, H. Hatzfeld, etc.
[3] La France ultramarine est exclue faute de statistiques complètes.