Si la France s’est faite à coups d’épée, ouvrir un livre d’histoire militaire c’est ouvrir un livre de l’histoire de France. Dans son Dictionnaire d’histoire militaire de la France Rémy Porte fournit des entrées pour découvrir la richesse de ces siècles militaires.
Officier de l’armée de Terre, Rémy Porte est docteur en histoire et l’un des meilleurs spécialistes des engagements des armées françaises. Il vient de publier Dictionnaire d’histoire militaire de la France. Propos recueillis par Jean-Baptiste Noé.
Écrire un dictionnaire d’histoire militaire de la France suppose de faire des choix dans la sélection des entrées. Comment avez-vous dressé votre liste des sujets traités ?
Le choix a effectivement été souvent difficile, d’une part parce que la pagination est naturellement limitée, d’autre part parce qu’il fallait conserver une forme d’équilibre entre les différents thèmes (personnages, matériels, campagnes, organisations, etc.). J’ai plus d’une fois commencé à rédiger une entrée pour l’abandonner un peu plus tard, et j’en ai ajouté certaines sur la suggestion d’amis auxquels j’ai soumis la première version du texte.
Par ailleurs, nous avons tous nos périodes préférées. Je suis pour ma part plutôt spécialisé sur la période XIXe-XXIe siècle, mais il n’était pas question de réduire les siècles antérieurs à la portion congrue. Enfin, l’individu jouant un rôle clef dans cette longue histoire, j’ai aussi essayé d’évoquer un grand nombre de personnalités, chefs militaires bien sûr, mais aussi souverains, artistes, hommes politiques, etc. Je suis certain que nombreux seront mes lecteurs qui regretteront l’absence de telle ou telle entrée, mais j’ai essayé de ne rien omettre d’essentiel tout en privilégiant la plus grande diversité et en privilégiant l’intérêt dans l’évolution générale de l’histoire militaire de la France.
Votre dictionnaire témoigne du fait que la France est une nation militaire, et cela depuis l’époque médiévale. Y a-t-il des éléments qui distinguent la France de ses voisins sur le plan de la pensée et de la pratique militaire ?
Par rapport à ses voisins, la France a été très tôt un pays centralisé où le sentiment national était puissant, ce qui n’était le cas ni de l’Allemagne ni de l’Italie divisée en de multiples États, royaumes et principautés qui furent souvent en lutte les uns contre les autres au fil des siècles.
L’empire multinational danubien de la Double-Monarchie ne pouvait matériellement pas également développer les mêmes sentiments et le Royaume-Uni, nation insulaire, a fait le choix de l’extension ultramarine, du commerce s’appuyant sur une puissante marine. L’Espagne enfin a joué un rôle considérable dans l’histoire militaire européenne jusqu’au XVIIe s., mais son influence comme sa présence déclinent ensuite assez rapidement. Enfin, la France a fait face à plusieurs reprises à des coalitions européennes (sous Louis XIV et sous Napoléon Ier par exemple), avant de trouver dans la constitution d’un vaste empire colonial la nécessité de disposer d’une armée aguerrie, puis d’être pratiquement menacée de disparition au cours de deux guerres mondiales dont elle s’est pourtant relevée, notamment grâce à son armée.
Depuis la fin du XXe s. enfin, notre pays reste la seule puissance européenne qui dispose (même de façon parfois échantillonaire) d’un panel complet de moyens et de capacités. Pour faire court, l’histoire de France dans le temps long est indissociable de l’histoire de son armée.
Plusieurs entrées témoignent des interventions françaises hors d’Europe, que ce soit dans des guerres coloniales ou des opérations extérieures. Est-ce que le signe que l’armée française n’est pas uniquement au service de la défense du territoire national, mais aussi de la projection de puissance et de l’intervention sur la marche du monde ?
Le principe premier est bien que les forces armées sont aux ordres du pouvoir politique. À ce titre, elles ont bien sûr en charge, et c’est sans nul doute la mission première, la défense du territoire national contre toute agression extérieure, mais elles contribuent aussi au rôle international de la France, de l’arme nucléaire qui permet la dissuasion et justifie souvent aujourd’hui la conservation d’un siège de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, aux opérations de maintien de la paix, à la contribution à la formation de différentes armées de pays alliés, à l’équilibre du monde grâce à des forces prépositionnées, etc.
Alors que les deux superpuissances engagent des sommes toujours plus importantes dans leurs dépenses militaires, que la Chine lance la mise en chantier d’un quatrième porte-avions, que les pays baltes, la Pologne ou la Roumanie s’inquiètent, il est évident que la capacité de la France à répondre à de multiples sollicitations et donc à intervenir sur ordre du gouvernement sur tous les types de théâtres ou presque est un facteur puissant de crédibilité internationale.
L’histoire militaire de la France est inséparable de l’histoire générale de la France. Que nous dit son histoire militaire sur ce qu’est la France ?
Difficile question ! Peut-être peut-on retenir une exceptionnelle capacité de résilience, une exceptionnelle aptitude à surmonter les obstacles même lorsque les circonstances initiales ont été très défavorables. De la guerre de Cent Ans aux campagnes de Charles Quint, de Waterloo à Sedan, nous avons toujours été capables de nous adapter, parfois dans la douleur, de redresser la tête dans l’adversité pour rappeler que nous étions toujours présents et qu’il fallait compter avec nous. Construite et maintenue « au fil de l’épée » selon le mot du général de Gaulle, la France est une grande nation militaire millénaire, qui n’a jamais abdiqué. C’est peut-être aussi l’un des enseignements de ce dictionnaire.