<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> La France décroche en Afrique

1 octobre 2024

Temps de lecture : 3 minutes
Photo : Avec plus de 5000 militaires deployes dans cinq pays du Sahel, Barkhane est la plus importante operation exterieure actuellement menee par l'armee franaise. Elle a pour objectif de contenir l'avenement d'un nouveau foyer djihadiste en Afrique de l'Ouest. Cependant, depuis l'ete 2021, l'operation est en pleine restructuration.//ZEPPELINNETWORK_007/2201201050/Credit:ANTONIN BURAT / ZEPPELIN/SIPA/2201201054
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La France décroche en Afrique

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Le désengagement progressif de la France en Afrique marque un tournant dans les relations entre Paris et ses anciens partenaires historiques. Emmanuel Macron, malgré ses annonces de réformes et de partenariats renouvelés, fait face à un décrochage stratégique profond. De nombreux pays africains, autrefois proches par l’histoire et les intérêts économiques, se tournent désormais vers de nouveaux alliés comme la Chine, la Russie et la Turquie. Ce phénomène, qui dépasse la seule présidence de Macron, souligne l’érosion de l’influence française sur le continent.

Secoué en France, marginalisé en Europe, inaudible en Orient, bousculé en Nouvelle-Calédonie, déconsidéré au Maghreb, Emmanuel Macron a perdu l’Afrique. Son échec cristallise le déclassement stratégique de la France.

Après le Sahel qui a tourné le dos à la France, à l’exception notable du Tchad, c’est au tour du Sénégal, de la République du Congo et de tant d’autres pays naguère proches de la France – par l’histoire, la langue, la culture ou des intérêts économiques – de vouloir gommer leur proximité avec l’ancienne puissance coloniale. Tous ces pays regardent désormais vers la Chine, la Russie, la Turquie ou les émirats du Golfe. Cette bascule se fait au détriment des intérêts de la France, déconsidérée dans son ancien pré-carré.

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L’échec français tient à de nombreux facteurs qui vont bien au-delà de la double présidence d’Emmanuel Macron. On peut citer quarante années d’affaissement de la coopération, la perte de culture africaine d’une grande partie des élites françaises, une politique bâtie à l’aune des exigences démocratiques, dont le double langage conduit l’Élysée à donner des leçons aux uns (Mali, Niger, Burkina) tout en soutenant ailleurs des autocrates bon teint (Tchad, Cameroun). À cela s’ajoutent le ton et la personnalité d’Emmanuel Macron, aussi peu supportés en Afrique qu’en France.

Chez les Africains aussi, les choses ont changé : les nouvelles générations sont plus pragmatiques, moins inféodées aux desiderata de Paris. La satisfaction des besoins vitaux des populations (sécurité alimentaire, accès à la santé, à l’éducation) passe avant les jeux démocratiques, la défense des modes de vie traditionnels avant les folies woke et LGBT de l’Occident. On préfère travailler avec de nouveaux partenaires (Chine, Russie, Turquie) porteurs d’une offre de sécurité, en s’abstenant de donner des leçons de gouvernance.

Le temps de la Françafrique des années de Gaulle – Pompidou – Giscard – Chirac était fini bien avant l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir. Il avait alors annoncé une nouvelle relation avec les partenaires africains. Rien n’a fonctionné. Le décrochage commencé sous ses prédécesseurs s’est aggravé, encouragé par les routines et la dégradation de l’appareil diplomatique français, sapé par quelques décisions aberrantes de l’Élysée (comme la remise en cause du statut des diplomates de carrière). Coupés du réel, enivrés par leurs appels à la démocratie et des préoccupations mémorielles secondaires, M. Macron et ses amis n’ont pas su comprendre l’évolution des sociétés africaines. Leurs maladresses ont accéléré le délitement de la présence française.

Les succès militaires des opérations Serval puis Barkhane au Sahel, entre 2013 et 2017, ont fait illusion quelque temps. Sans traduction politique efficace, cette approche purement sécuritaire a fait long feu. Faute d’avoir dit la vérité aux pouvoirs en place, prisonnier d’une idéologie « droit-de-l’hommesque » aussi primaire qu’inopérante sur le terrain, M. Macron et ses conseillers n’ont pas vu monter la colère d’une partie des élites et de la jeunesse africaines, manipulées par la Russie. Cet entrisme russe fut considéré avec suffisance, alors que Moscou ouvrait clairement un « front africain » dans sa guerre contre « l’Occident global ». Dans certaines capitales africaines, on se gausse ainsi du naufrage de la France au Sahel : « Vous voulez affronter les Russes en Ukraine alors que vous perdez du terrain devant eux en Afrique, où vous étiez si forts. »

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Dans la région des Grands Lacs, les palinodies de la France avec le Rwanda ont rendu illisible sa position, jugée pusillanime et contradictoire. Au Sénégal, l’arrivée au pouvoir d’un tandem populiste de gauche en mars, face au candidat soutenu par la France, marginalise M. Macron. Cette quasi rupture entre Paris et Dakar est sans précédent depuis les indépendances, au début des années 1960. L’expertise française sur le continent noir donnait naguère à la France une audience élargie – à l’ONU notamment –, largement au-dessus de son statut de puissance moyenne. Cette expertise n’est plus ce qu’elle était. Le décrochage est réel. Dans une chronique sévère parue dans Le Figaro, en avril dernier, l’essayiste Nicolas Baverez parlait même d’une « débâcle africaine ».

La réduction du déploiement militaire français en Afrique en est une illustration. Paris parle de « partenariats rénovés », d’« empreinte allégée ». Les solides points d’appui prépositionnés de naguère deviennent de simples emprises d’une centaine d’hommes chacune, au Sénégal, au Gabon, en Côte d’Ivoire et même au Tchad (1 millier de soldats actuellement). Leur mission : fournir de la formation aux pays partenaires ! Seule la base de Djibouti gardera un potentiel militaire significatif (1 500 militaires). Cette décrue historique s’accompagne aussi d’un nouvel état-major dédié à l’Afrique. Comme si la France avait besoin d’un nouveau « général Afrique » et pas d’une nouvelle politique africaine.

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À propos de l’auteur
Frédéric Pons

Frédéric Pons

Journaliste, professeur à l'ESM Saint-Cyr et conférencier.
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