<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> La forêt. Une passion française

2 avril 2023

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La forêt. Une passion française

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Les Français entretiennent une relation passionnelle avec la forêt. Ce numéro de La Documentation photographique, dirigé par le géographe Vincent Moriniaux, entend remettre des faits et des données sur les arbres qui peuplent le territoire. De quoi repenser la relation entre les Français et leurs forêts. 

La forêt, France XVIIe – XXIe siècle – Vincent Moriniaux – La documentation photographique – CNRS édition – numéro 80 50 – 2022/6.

Les incendies majeurs qui se sont déroulés dans les Landes lors l’été 2022 sont venus rappeler que la France pouvait être confrontée également à ce que l’on connaît dans d’autres pays sous le nom de mégafeux. Il s’agit d’incendies majeurs, du fait de la superficie sur lesquels ils s’étendent, par les difficultés rencontrées pour les maîtriser, et par leur résistance à l’extinction. En termes de surface de définition peut-être différente aux États-Unis et en France, puisqu’outre-Atlantique on utilise ce terme à partir de 10 000 ha, 10 fois moins en France.

La mise au point scientifique qui ouvre ce numéro interroge la notion de forêt naturelle. Les incendies dans les Landes sont venus rappeler opportunément que la forêt primaire n’existe plus en Europe à l’exception de celle de Bialowesa en Pologne.

Forêt primaire ? 

Plusieurs botanistes seraient partisans de reconstituer des forêts primaires en empêchant toute gestion de celle-ci pendant une durée qui serait estimée à près de six siècles. Différents projets seraient de l’étude dans les Ardennes comme dans les Vosges.

Si le modèle de forêt primaire reste la forêt amazonienne, même si la visite du président de la République au Gabon a permis de rappeler que ce pays en comportait une également, différentes études montrent que les populations locales depuis au moins 8000 ans avaient pu intervenir dans la transformation de cet écosystème en favorisant une certaine domestication des espèces végétales. L’impact était évidemment limité, mais il n’en existait pas moins.

Forêt commune ? 

Si la polémique récente sur la chasse, particulièrement en France, a permis de rappeler que l’essentiel de la forêt sur l’Hexagone était privé, pour 75 %. Cela remet en cause cette notion de « commun » qui semble pourtant dominer le débat public qui entretient cette idée que la forêt appartient à tout le monde. Cela rappelle le droit d’usage payé par les paysans ou accordé aux paysans par les seigneurs avant la Révolution française, et ces espaces étaient d’ailleurs appelés les communs, parfois les sectionaux. 300 000 ha dans le Massif central sont encore sous ce régime et les revenus tirés servent des travaux d’intérêt général au profit de la section, pour l’entretien des chemins ou le reboisement. Les élus locaux cherchent à faire revenir ces sections dans le domaine public communal pour que les revenus des coupes profitent à toute la commune. Depuis 2003 la loi de modernisation de la politique de montagne et de revitalisation rurale favorise cette évolution.

L’auteur de cette mise au point s’interroge sur la notion de possession collective en rattachant cela à la démocratie participative. Curieusement la question de la chasse ne semble pas être abordée.

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Forêt fiscale ? 

Lors des incendies de l’été 2022, les écologistes plus ou moins radicaux ont dénoncé l’exploitation forestière de cette forêt artificielle incontestablement. Pourtant, c’est faire peu de cas de l’action des forestiers qui doivent gérer simultanément ce que l’on appelle les trois P. 

Le premier, celui qui est considéré comme le plus important car directement rémunérateur, celui de Production est aujourd’hui dépassé par le P de Protection et celui de Promenade. 

Lorsque l’auteur aborde l’écoanxiété qui anime les populations urbaines et qui conduit parfois des collectifs de citadins à investir dans les forêts, il oublie également que celles-ci représentent des investissements favorisés fiscalement (abattement de 25 % sur le montant de l’investissement), avec des droits de transmission sur seulement 25 % de la valeur nominale. Cela représente une franchise de 75 % ! Le mécanisme se rapproche des SCPI. Des groupements qui visent l’entretien du patrimoine forestier se développent sous le nom de groupements forestiers citoyens et écologiques, mais cela reste limité en raison du faible nombre de forêts en vente tous les ans.

Des achats de terre permettent également de constituer des réserves de vie sauvage sur une superficie toutefois limitée à 1 200 ha pour l’ensemble du territoire, avec une interdiction totale de la chasse que les promoteurs de ces dispositifs voudraient étendre.

Le débat sur la chasse est devenu en France passionnel avec des arguments souvent contradictoires qui mettent face à face ceux qui pensent que la chasse est « un loisir de citadins » tandis que les pros chasse défendent un mode de vie rural. Il faut savoir que c’est la grande ordonnance des eaux et forêts de 1516, avec François Ier, qui réglemente la chasse réservée aux rois et aux nobles en raison du port d’armes. La Révolution a permis la démocratisation de cette pratique. Si les chasses royales sont aménagées pour permettre le passage des trains d’équipage, les chasses paysannes sont considérées comme ouvertes tant qu’une interdiction formelle n’a pas été prise. Autour de Chambord, François Ier a même fait édifier un mur autour de 2 500 ha de forêts, prélevés sur des terres agricoles d’ailleurs, pour empêcher toute incursion de braconnier. Le mur d’enceinte du domaine de Chambord fait 32 km de long pour 2,50 m de hauteur. Les besoins des chasseurs, leur volonté de préserver la forêt par la régulation de la faune montrent que cette forêt est bien une création humaine, aménagée par l’homme. 

La forêt française – quelle histoire !

La forêt gauloise n’a rien à voir avec un massif impénétrable peuplé de bêtes sauvages, d’aurochs, d’ours et de loups, et bien entendu de sangliers pour servir de déjeuner à Obélix. Le réchauffement climatique autour de l’an 1000 permet à la forêt de feuillus de se substituer à la steppe tandis que les groupes humains commencent à y prélever ce qui leur est nécessaire pour s’abriter – le bois de construction –, et pour se nourrir. À la fin du néolithique la forêt primaire n’existe plus.

La forêt médiévale commence par s’étendre à la faveur de la baisse générale de la population et du déclin de la civilisation urbaine. Mais très rapidement, avec ce que l’on appelle le beau Moyen Âge entre le XIe et le XIIIe, les grands défrichements repoussent les espaces boisés et la forêt recommence à reculer.

Forêt française

La construction de l’État monarchique contribue à l’organisation des forêts dès le début du XIIIe siècle sous Philippe Auguste et à partir de 1346 lorsque Philippe VI de Valois crée la première vraie administration forestière. Différentes mesures qui interdisent la chasse aux membres du tiers état, qui fixent un code forestier permettent au pouvoir central de prendre la main sur cet espace, ce qui ne va pas sans susciter de multiples résistances. L’augmentation des besoins en bois pour les fortifications et la marine sous le règne de Louis XIV conduit Colbert à lancer à partir de 1661 la grande réformation qui dure 20 ans et qui pose les bases de l’administration forestière moderne.

La forêt recule sous l’Empire et la première industrialisation se développe à son détriment. Les besoins de bois augmentent ce qui justifie en 1827 la promulgation du code forestier qui restreint les droits d’usage des paysans sur les forêts et qui reste le cadre dominant aujourd’hui.

Paradoxalement c’est la révolution industrielle qui a mis un terme au XIXe siècle au recul des espaces forestiers français. Le bois de chauffage recule au profit du charbon, le fer et l’acier remplacent le bois de construction et déjà en 1836 la charpente en châtaignier de la cathédrale de Chartres, ravagée par l’incendie, est remplacée par une charpente métallique.

C’est le Second Empire qui soutient les boisements et les reboisements avec des résineux, mais aussi des feuillus pour fournir du bois d’ouvrage, mais également pour maîtriser les risques d’inondation et d’érosion. La sylviculture active permet de répondre à la demande de bois d’œuvre, de traverses de chemin de fer, d’étais pour les mines et aussi de pâtes à papier. La forêt devient un outil d’aménagement du territoire tandis que l’on voit apparaître dans les forêts françaises des espèces exotiques comme le chêne rouge d’Amérique, le cèdre du Liban, et bien d’autres.

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Après la Seconde Guerre mondiale, et parce que le déficit persiste pour le bois d’industrie et la pâte à papier, une nouvelle politique forestière est envisagée. Le fonds forestier national est abondé par des contributions des exploitants forestiers et permet de financer les recherches, des actions de développement et aussi des replantations.

Le boisement a permis la valorisation des espaces forestiers grâce à une exonération trentenaire de l’impôt foncier pour chaque nouvelle plantation. En revanche, cela a contribué à aggraver le morcellement de la propriété forestière, un des principaux handicaps de la propriété forestière privée. On notera que l’exploitation forestière a été l’un des points d’achoppement de la politique agricole commune et le bois et la forêt ont été éliminés du traité de Rome de 1957. La forêt échappe largement aux décisions communautaires, mais d’après l’auteur de l’article, cela a été plutôt un handicap puisque la forêt française, la plus à même de produire des feuillus, mais sur la longue durée, a été mis en concurrence avec les producteurs de résineux. Ces résineux ont été à 83 % bénéficiaires des aides du fonds forestier national.

La régulation de la forêt était envisagée au niveau local, or aujourd’hui c’est au niveau mondial que bien des évolutions se jouent, puisque la mondialisation des cours du bois l’importance que l’on attache à la forêt comme piège à carbone, donnent une dimension géopolitique à l’exportation forestière.

La forêt nous sauvera-t-elle du changement climatique ?

Les arbres stockent le carbone, et peuvent remplacer le plastique ou le béton pour différents usages. De ce point de vue ils sont nos alliés dans la lutte contre le réchauffement climatique. Dès le protocole de Kyoto, les entreprises ont financé des opérations de reboisement pour compenser leur empreinte carbone et pour contribuer à la séquestration du CO2. Une forêt tempérée mature permet de stocker 200 t de CO2 à l’hectare.

Ces dispositifs permettent de financer la forêt privée en dehors des coupes de bois, ce qui est évidemment intéressant du point de vue de la séquestration du carbone. Pour autant le besoin en terres agricoles est susceptible de remettre en cause ce choix de développement, d’autant que le bilan entre une forêt mature qui demande plusieurs décennies et une surface herbagée n’est pas toujours favorable à la forêt. Par ailleurs la forêt stocke davantage de chaleur qu’une terre agricole. Le sous-sol forestier permet également de capturer du méthane par l’action des bactéries. Toutefois planter des arbres ne suffira certainement pas à réduire le réchauffement climatique.

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Qu’arrive-t-il à la troisième forêt de chênes du monde ?

Pendant les 30 glorieuses, la France produisait du bois que l’Italie lui revendait sous forme de meubles. Mais aujourd’hui c’est la demande chinoise qui fait le prix du jeune français. Depuis 2017, les abattages de chênes dans les forêts chinoises sont interdits et la Russie en premier, la France en seconde position, les États-Unis enfin permettent à la classe moyenne chinoise de se meubler.

La France a fini par réagir en imposant un label européen sur les grumes de chênes provenant des forêts publiques qui doivent être transformées dans l’Union européenne. Mais la moitié de la production est issue du secteur privé, ce qui limite l’impact de la mesure. Le but de la manœuvre et de sauver 26 000 emplois en France dans 550 scieries en évitant les exportations de grumes non transformées.

Les industriels de la filière bois s’opposent aux forestiers qui reprochent au premier de ne vouloir que des grumes de gros diamètre, faute d’avoir consenti les investissements nécessaires à l’utilisation des petites sections.

Un tiers de la collecte française de chênes est exporté chaque année sans transformation.

Vers un changement de paradigme ?

Les forêts françaises publiques de métropole et d’outre-mer compte plus de 150 000 ha totalement protégés. Plus de la moitié des surfaces de forêt domaniale présentent un enjeu de biodiversité reconnue que l’Office national des forêts doit intégrer dans ses plans de gestion.

S’il n’existe pas encore de traité international pour la protection des forêts, il n’en demeure pas moins que la diversité biologique terrestre s’y trouve pour 70 % de la flore et de la faune. Les différentes conventions sur le changement climatique instaurent des instruments multilatéraux pour une gestion durable des forêts à l’échelle mondiale, même si l’évolution reste lente. On a pu voir qu’un pays comme le Brésil était très sourcilleux à propos de sa souveraineté nationale sur la forêt amazonienne.

Le statut juridique de la forêt évolue également avec la reconnaissance d’un droit qui lui est propre. L’Espagne est le premier pays d’Europe qui a donné une personnalité juridique et un espace naturel dans la région de merci. Malgré ces mesures qui relèvent de l’intention, les intérêts économiques puissants sont souvent déterminants lorsqu’il s’agit de faire des choix. La loi du 22 août 2021 « climat et résilience » modifie le code forestier et place les forêts, bois et arbres sous la sauvegarde de la nation. Le cadre protecteur est ainsi fixé et le rôle de la forêt comme lieu de stockage du carbone est ainsi consacré. Il ne reste plus qu’à faire rentrer ces principes de la loi dans la réalité des territoires.

Plan de l’ouvrage

La forêt entre nature et culture

18-19 L’imaginaire de la forêt

20-21 Qu’est-ce qu’une forêt ?

22-23 À qui appartient la forêt ?

24-25 La forêt gagne du terrain

Un écosystème menacé ?

26-27 La forêt, écosystème et environnement

28-29 La faune et la forêt

30-31 La forêt des Landes, un écosystème créé par l’Homme

32-33 Le feu et la forêt

34-35 La forêt française face au réchauffement climatique

36-37 Les conséquences de la tempête de 1999

Histoires forestières

38-39 La forêt, la guerre et la frontière

40-41 La forêt dans l’Ancien Régime et la Grande Réformation de Colbert

42-43 Les résineux en France

44-45 Enrésinement : le cas du Morvan

Les arbres, c’est aussi du bois

46-47 La forêt en cartes

48-49 La conversion des taillis en futaie

50-51 La filière forêt-bois

52-53 Le bois, matériau du futur ?

Portraits de forêts

54-55 La « Forêt » de Notre-Dame

56-57 Les forêts périurbaines

58-59 La forêt domaniale de Fontainebleau : d’une réserve à l’autre

60-61 Les forêts de montagne

62-63 Les forêts en outre-mer

À propos de l’auteur
Bruno Modica

Bruno Modica

Bruno Modica est professeur agrégé d'Histoire. Il est chargé du cours d'histoire des relations internationales Prépa École militaire interarmes (EMIA). Entre 2001 et 2006, il a été chargé du cours de relations internationales à la section préparatoire de l'ENA. Depuis 2019, il est officier d'instruction préparation des concours - 11e BP. Il a été président des Clionautes de 2013 à 2019.

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