<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> La forêt française, un atout économique et écologique

11 avril 2024

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Photo : Forêt de Tronçais, Allier, (C) Wikipedia

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La forêt française, un atout économique et écologique

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Couvrant une large partie du territoire national, la forêt fait partie de l’imaginaire des Français. Mais au-delà de ses fonctions récréatives, c’est aussi un secteur dynamique, essentiel pour l’économie et pour l’écologie. 

Laurent-Sébastien L’Huillier. Agrégé d’histoire, professeur au lycée Jeanne d’Arc de Mazamet.

Depuis le Paléolithique, les forêts sont utilisées par les Hommes pour de très nombreuses activités. Si, dans leurs formes, les usages de la forêt n’ont pas cessé d’évoluer, quatre fonctions principales traversent les époques : la production de bois, le réservoir de biodiversité, le loisir et la protection contre les risques.

La production de bois est l’activité qui façonne le plus le paysage forestier. La production de bois d’œuvre (charpentes, parquets, ameublements…) nécessite des troncs (futs) assez gros et droits que l’on trouve dans les futaies. Le bois plus petit ou de qualité inférieure est destiné au bois-industrie (contreplaqué, couverts en bois, papier, cartons, chimie verte…) ou au bois-énergie (buches, charbon de bois, pellet…). Ces deux derniers usages, complémentaires du premier, peuvent se contenter de taillis, c’est-à-dire de petits arbres fréquemment coupés. 

Réservoir de biodiversité 

Si la production de bois est l’activité la plus structurante, la plus ancienne fonction de la forêt est d’être un réservoir de biodiversité en vue de la cueillette et de la chasse. Aujourd’hui, ce rôle est mis en avant pour des raisons scientifiques et écologiques. La conservation de la biodiversité dépend à la fois de la présence de bois mort, qui se réduit, et de très gros bois vivants qui, eux, ont plutôt tendance à augmenter. La biodiversité forestière est aujourd’hui menacée. Toutefois, plus qu’un volume, c’est un équilibre qu’il faut retrouver. L’abondance de certaines espèces animales peut dégrader la forêt, à l’image des trop nombreux chevreuils qui mangent les jeunes pousses d’arbres. À l’inverse, des arbres peuvent aussi appauvrir le milieu naturel. Dans la forêt du Livradois-Forez, les plantations trop serrées d’épicéas en bord de rivière réduisent la biodiversité des cours d’eau.  

La fonction récréative s’est affirmée plus récemment et explique bon nombre de représentations des Français sur la forêt. Chasse gardée de la noblesse, la forêt d’agrément se démocratise au XIXe siècle, principalement à proximité des villes. En 1861, des artistes réclament une « réserve artistique » dans la forêt de Fontainebleau. Aujourd’hui, cette forêt est largement fréquentée pour la promenade, le sport ou le bien-être. Mais cela engendre des problèmes tels que le tassement des sols. 

Enfin, si la forêt représente un risque d’incendie, elle sert aussi de protection contre les risques humains et naturels. Outre son rôle de refuge (pensons aux maquis de la 2de guerre mondiale), la forêt permet de limiter l’érosion et de réduire les risques de glissements de terrain, d’avalanches ou d’inondations. Depuis le 2d Empire, cette fonction ne cesse de prendre de l’importance, notamment pour faire face aux effets de l’exode rural. Plus récemment, le rôle de la forêt dans la gestion du risque climatique a été mis en avant.  En effet, la forêt est un puits de carbone : elle séquestre le CO2 et le stocke dans les feuilles, le bois, les racines et le sol. Elle réduit ainsi les gaz à effet de serre responsables du changement climatique. Cependant, le bilan carbone des forêts diminue en raison des nombreux dépérissements de bois. En 2023, la forêt française séquestrait environ 7% des émissions nationales de gaz à effet de serre, contre 15% en 2015.

La multifonctionnalité et le changement climatique engendrent donc des problèmes que les acteurs de la filière bois tentent de gérer.

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Une filière économique 

Cette filière est méconnue. Pourtant, elle fait vivre 60 000 entreprises qui emploient près de 400 000 salariés, soit plus que l’industrie automobile. Elle rassemble les acteurs de la production forestière et de la transformation du bois : propriétaires, agents de l’ONF, semenciers, pépiniéristes, forestiers, bucherons, scieurs, menuisiers, charpentiers, industriels, etc.

Le contexte actuel rend le travail de cette filière compliqué. Elle intervient sur une forêt diverse et morcelée. Couvrant 31% du territoire métropolitain, la forêt est composée à 65% de feuillus et 35% de conifères. Les trois quarts des forêts (15 millions d’hectares) appartiennent à 3,5 millions de propriétaires privés, le plus souvent des retraités (57%), de moins en moins des agriculteurs, et majoritairement des petits propriétaires (9 ha en moyenne). Mais, il existe aussi de grands propriétaires tels que la Caisse des Dépôts (150 000 hectares), la Société Générale (30 000 hectares), Axa, le Crédit Agricole ou le Groupe Louis-Dreyfus. De plus, la filière peine à recruter à cause d’une image de « tueurs d’arbres » et de métier pénible. Elle rencontre également des difficultés pour valoriser son bois, si bien que le déficit commercial ne cesse de se creuser (-9,5 milliards d’euros en 2022). Beaucoup de bois bruts (grumes) partent à l’étranger alors que le pays importe massivement des produits-bois transformés. Les scieries sont particulièrement fragilisées. Elles peinent à se fournir en grumes, car ces dernières sont achetées en masse par la Chine, qui cherche à régénérer ses propres ressources en bois. La guerre en Ukraine et l’afflux inhabituel de bois dépérissant entraînent des variations importantes des prix. 

Pourtant, le potentiel est important. La valeur des forêts tend plutôt à augmenter, tout comme les surfaces forestières (plus 80 000 ha par an en moyenne) et le rôle de la filière semble plus que jamais stratégique. En effet, pour faire face au changement climatique, il faut couper du bois, quand bien même cette idée peut sembler contre-intuitive, voire provocatrice.

Le réchauffement climatique fragilise la forêt. Les arbres manquent d’eau et sont moins résistants face à des parasites qui, eux, se multiplient. La mortalité des arbres augmente et le puits de carbone se réduit. Il faut planter de nouvelles essences plus adaptées, comme des pins et des chênes de Méditerranée, et constituer des forêts plus variées et en traitement plus irrégulier. Il faut aussi restaurer des landes et des zones humides et couper les bois malades. Dans cette perspective, les coupes sont nécessaires, y compris parfois ces coupes à blanc qui détruisent le paysage. En forêt de Retz, la coupe d’arbres et la restauration des landes permettent le retour d’une plus grande variété de plantes, des insectes et, enfin, des oiseaux qui éliminent les chenilles processionnaires menaçant les résineux. La prolifération des scolytes sur les épicéas oblige à des coupes rapides pour éviter la contagion de l’ensemble des forêts. L’enjeu n’est donc pas de laisser la forêt à l’état sauvage, mais au contraire de la surveiller pour éviter la propagation des incendies et des maladies. Néanmoins, certaines pratiques doivent changer. Le tassement des sols engendré par les énormes débardeuses pose un problème, tout comme les plantations d’arbres en monoculture régulière.

Il faut non seulement réaménager la forêt, mais aussi favoriser, à certaines conditions, l’utilisation du bois dans l’économie. Le CO2 reste stocké dans les produits en bois. La production de bois d’œuvre et de bois d’industrie est ainsi vertueuse lorsqu’elle est à longue durée de vie (construction et ameublement) tout comme le réemploi et le recyclage des produits en fin de vie. La mobilisation de tous les acteurs, des propriétaires aux consommateurs en passant par l’État est toutefois nécessaires pour permettre la relocalisation de toute la filière et éviter l’absurdité des longs transports. Les scieries sont trop peu nombreuses et trop spécialisées dans les résineux pour mettre en place un véritable circuit court du bois. Il faut aussi trouver le moyen de valoriser et vendre des bois malades et pourtant parfaitement utilisables. 

Enfin, le bois se substitue à de nombreux matériaux plus énergivores (PVC, béton…) et la combustion du bois est moins émettrice de CO2 que celle des énergies fossiles. Cependant, le bilan du bois énergie n’est pas positif à très court terme, surtout si les systèmes de chauffages ne sont pas performants. Cet usage doit arriver en bout de chaine, une fois le bois utilisé pour la production de matériaux.

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Laurent-Sébastien L'Huillier

Laurent-Sébastien L'Huillier

Agrégé d'histoire, professeur au lycée Jeanne d'Arc de Mazamet.

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