Voilà une carte devenue célèbre. Elle représente le premier tour des élections présidentielles autrichiennes, le 24 avril dernier. Partout arrivent en tête soit le nationaliste du FPÖ, Norbert Hofer, soit l’écologiste Alexander Van der Bellen. À cette échelle, aucun autre candidat ne s’impose. Van der Bellen ne l’emporte que dans les plus grandes agglomérations, Vienne (qui représente le quart de la population), Graz, Linz et Innsbruck où il a vécu, ainsi qu’à l’extrême ouest, dans le Vorarlberg où les Verts participent à un gouvernement de coalition avec les conservateurs. À Vienne même il s’impose dans le centre et à l’ouest, mais pas à l’est plus populaire.
D’un côté le terroir, de l’autre quelques villes reliées entre elles et aux autres métropoles mondiales. Tel est l’effet de la mondialisation qui enjambe les territoires et valorise les réseaux. La coupure géographique, particulièrement nette, révèle une fracture sociale. Au second tour, 80% des diplômés du supérieur ont voté pour l’écologiste, 86% des ouvriers pour le nationaliste. La principale motivation des électeurs de Van der Bellen, si l’on en croit les sondages, était : « il représente mieux l’Autriche à l’étranger » – le « qu’en dira-t-on » du reste du monde importe.
Le rapport de forces a tourné, de peu, à l’avantage de la mondialisation et des grandes villes où vivent les classes éduquées et aisées qui en bénéficient. Ici se concentre la richesse, même si tous n’y sont pas riches. Ici se trouve près de la moitié de la population, et le pourcentage augmente puisqu’affluent ici les immigrés qui ont partie liée avec la globalisation et dont la bourgeoisie mondialisée espère le soutien. Les votes par correspondance, qu’utilisent en particulier les expatriés, ont donné le coup de pouce en faveur de Van der Bellen. Tel est le nouveau « sens de l’histoire », celui de la mondialisation irrésistible et irréversible, avec son cortège de classes victorieuses et de sociétés marginalisées. [edit 01/07/2016 – cet éditorial de Pascal Gauchon a été rédigé avant l’invalidation du scrutin autrichien, survenue le 1er juillet 2016]
Grâce à Christophe Guilluy, nous sommes habitués à ces analyses. La carte conduit pourtant à les relativiser tant la couleur bleue domine le vert. Elle montre que la supériorité des réseaux sur les territoires est fragile, peut-être même illusoire. Les villes apparaissent comme de petits isolats au sein de l’Autriche. Elles dépendent de leur arrière-pays dont elles drainent les richesses pour les vendre sur le marché mondial. Elles sont en compétition entre elles et, face à Vienne, les autres villes ne pèsent pas grand-chose, comme Vienne compte peu face aux grandes métropoles mondiales. Plus grave pour elles, elles attirent sur un espace restreint les plus riches et les plus pauvres, dans des quartiers distincts, mais à portée de regard et d’envie. Leur « vivre ensemble » est-il durable ? Les classes aisées semblent en douter puisque, partout, la tendance consiste à installer les migrants dans des campagnes reculées, loin des centres-villes bourgeois. Là encore, les villes comptent sur leur arrière-pays. Elles espèrent faire d’une pierre deux coups, éviter l’explosion sociale en leur sein et domestiquer le territoire en le banalisant. Encore faut-il que la greffe prenne et que les migrants acceptent cette relégation.
La mondialisation n’a pas aboli la géographie, ni les atouts que procure le contrôle de l’espace, ses richesses naturelles, sa profondeur qui lui donne le temps de s’adapter ou de résister, sa résilience. Qui tient le territoire tient la distance.
Pascal Gauchon
Crédit photo : Yul (Fotolia)
La force du territoire : découvrez le dernier édito de P. Gauchon (Conflits n°10) https://t.co/Eze3Hz29aQ #Autriche pic.twitter.com/TeHdtS96o3
— Revue Conflits (@revueconflits) 1 juillet 2016
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