La foi pentecôtiste a conquis le Brésil

25 août 2022

Temps de lecture : 12 minutes

Photo : Inauguration of the Temple of Solomon by the Igreja universal do Reino de Deus in Sao Paulo, Brazil, on July 31, 2014. Photo by Nelson Antoine/Fotoarena/Sipa USA/sipausa.sipausa_13892311/1408011709

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La foi pentecôtiste a conquis le Brésil

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Le visiteur qui débarque aujourd’hui pour la première fois au Brésil est sans doute surpris. Les églises évangéliques sont partout. Pas une bourgade sans un lieu de culte, aussi modeste soit-il. Un simple garage suffit parfois. Dans les lointaine banlieue de São Paulo ou de Rio, sur les ondes, à la télévision, au cinéma, sur les réseaux sociaux, les pasteurs, ministres du culte, frères de diverses obédiences se succèdent. Ils sont omniprésents. Très religieuse, mystique, souvent superstitieuse, la société brésilienne était un terrain fertile pour l’expansion des organisations pentecôtistes et néo-pentecôtistes.

Alors que le catholicisme a été la force structurante de cette société jusqu’au milieu du XXe siècle, il a reculé face à un protestantisme fondamentaliste très agressif. On assiste depuis 1990 à un glissement spectaculaire de la tradition catholique déclinante vers une religiosité plus affirmée et plus ardente. Cette religiosité s’impose de plus en plus dans le champ politique.

Article original paru sur IstoéBrésil

L’essor des églises pentecôtistes et néo-pentecôtistes peut être expliqué par un grand nombre de facteurs. Il existe au Brésil comme ailleurs une demande post-moderne pour une vie religieuse plus individualisée, prenant en compte la dimension émotionnelle, répudiant les grandes structures hiérarchisées, verticales et rigides. Longtemps dominante, l’église catholique n’a pas su adapter sa réponse pastorale, elle a perdu ses capacités d’encadrement dans une société brésilienne très mobile, travaillée par d’importantes migrations intérieures et chamboulée par l’essor des grandes métropoles. La religion traditionnelle a été répudiée au sein d’un marché considérablement élargi de l’offre de salut. Sur les années récentes, la dégradation des conditions socio-économiques, l’affaiblissement de la famille traditionnelle, le désenchantement par rapport à une classe politique tournée vers elle-même et déconnectée des réalités sont aussi des éléments qui ont contribué à accélérer le processus.

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Dans ce contexte, les groupes évangéliques ont acquis une légitimité nouvelle. Ils constituaient et constituent encore souvent le seul réseau d’intégration sociale et de solidarité sur les périphéries des grandes villes où vivent la majorité de la population et les couches les plus modestes. De fait, ces églises distribuent des biens et des services sociaux. Elles comblent les brèches ouvertes par l’absence d’un Etat social, elles propagent un discours d’appartenance à la communauté des croyants, discours qui donne un sens aux situations de misère et de violence que subissent des millions de familles. Elles savent développer un puissant marketing pour convaincre. Elles occupent aussi un terrain que l’Eglise catholique brésilienne a délaissé en abandonnant un engagement social très important jusque dans les années quatre-vingt, à l’époque des communautés ecclésiales de base.

L’essor d’une nouvelle offre religieuse

À compter des années soixante-dix du siècle passé, le Brésil connaît une diversification rapide de l’offre religieuse. Deux traits caractérisent ce phénomène. Le premier est l’érosion du nombre de Brésiliens qui se déclarent catholiques dans les recensements. Ils représentaient encore 89% de la population en 1980. Cette part tombe à 73,6% vingt ans plus tard. Elle était de 64,6% lors du dernier recensement de 2010. En prenant l’hypothèse d’un maintien du rythme de décroissance sur les années qui ont couru jusqu’en 2022, le pourcentage des Brésiliens catholiques serait inférieur à 50% en décembre prochain, soit 108 millions de personnes (contre 124,8 millions en 2010). Le second trait est la progression spectaculaire des évangéliques. Ils représentaient 9% de la population en 1990. Cette part relative était de 22,2% vingt ans plus tard. En acceptant l’hypothèse du maintien du taux de croissance observé entre 2000 et 2010 sur la période qui s’achèvera à la fin de cette année, des observateurs considèrent que le poids des évangéliques sera de 33,8% en décembre prochain, soit près de 73 millions de personnes. Avec la même hypothèse, en prenant en compte les projections démographiques, l’effectif de fidèles évangéliques pourrait être de 97 millions en 2032 (42,8% de la population). Au sein de ce courant religieux puissant, ce sont les organisations pentecôtistes et néo-pentecôtistes qui manifestent le plus grand dynamisme : en 1990, on recensait 6,8 millions d’individus revendiquant une appartenance à ces confessions. Ils étaient 46,7 millions en 2020.

Catholiques et évangéliques : poids relatif dans la population (en %).

Sources : IBGE et Instituto Superior de Estudo da Religião (ISER).

Les évangéliques brésiliens sont de plus en plus nombreux. Leur engagement religieux, social et politique est aussi très affirmé. Ils sont en général plus pratiquants que les catholiques ou les membres d’autres confessions. Les temples sont pleins. On y prie souvent et avec ardeur. Le prosélytisme est de règle. Pentecôtistes et néo-pentecôtistes partagent leur foi en dehors des lieux de culte. Ils envahissent les réseaux sociaux, la vie musicale et artistique, le champ social, le terrain politique. La majorité de la population brésilienne était formée il y a encore dix ans de catholiques non pratiquants. Elle pourrait être constituée demain de missionnaires évangéliques ardents et très engagés.

Le terme « évangélique » concerne deux types distincts de structures religieuses. Le premier est formé par des confessions relativement anciennes au Brésil : luthériens, méthodistes, baptistes, adventistes, épiscopaliens, réformés calvinistes et presbytériens Ces cultes se sont développés au Brésil après l’indépendance de 1822, notamment avec l’arrivée dans le sud du pays de migrants d’origine allemande. En termes de part de la population, ce protestantisme historique stagne désormais autour de 4% à 5%, toutes confessions confondues. Assez libérales, les églises concernées touchent plutôt des classes moyennes et aisées, sont peu présentes au sein de la jeunesse et les couches défavorisées. Elles sont cependant très engagées dans les œuvres sociales, dans le domaine de l’éducation. Elles maintiennent de bonnes relations avec l’Eglise Catholique.

La notion « d’église évangélique » ou « d’évangélique » utilisée ici se réfère à un second type de cultes proposés par la pléiade d’églises créées dans le pays depuis le début du XXe siècle. Ces dernières revendiquent leur appartenance au pentecôtisme. Ce courant du protestantisme piétiste est fondé sur le baptême du Saint-Esprit. En s’ouvrant ainsi avec docilité aux dons de l’Esprit, en accueillant avec gratitude et obéissance les charismes que l’Esprit-Saint est supposé répandre, les fidèles qui se désignent comme crentes (croyants) acquièrent des pouvoirs extraordinaires, comparables à ceux des apôtres visi-tés par Dieu le jour de la Pentecôte. Dans la liste de ces pouvoirs, on trouve le don de parler en langues étrangères (la glossolalie), celui d’accomplir des miracles et de guérir. Les crentes manifestent ces dons publiquement, au cours de cultes à fort contenu émotionnel. Durant ces offices, on rit, on pleure, on chante, on entre en transe, on parle en langues, c’est-à-dire qu’on prie dans une langue incompréhensible. Les pentecôtistes attendent le retour du Christ et la fin des temps. Ils font de la foi un moyen pour atteindre l’aisance financière, le bien-être, le bonheur familial, lesquels sont considérés comme des signes de santé spirituelle et de prédestination.

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L’histoire de la mouvance pentecôtiste au Brésil peut être décomposée en trois phases. Les premières créations d’églises ont eu lieu entre le début du XXe siècle et 1950. C’est sur cette période que sont constituées les deux principales églises du pentecôtisme classique : la Congregação Cristã no Brasil (CCB), fondée 1910, et les Assembleias de Deus (Assemblées de Dieu), fondées en 1911. Ces deux entités ont été créées au Brésil par des migrants européens qui avaient connu la doctrine pentecôtiste aux Etats-Unis. Le réseau brésilien des Assembleias regroupe aujourd’hui plusieurs entités régionales et réunit plus de 12 millions de fidèles. La Congregação Cristã fédère plus de 20600 communautés locales et rassemble 4,5 millions de fidèles (2019). Dans les années trente, surgissent d’autres églises de dimension régionale, principalement dans le Nord-Est du pays. La seconde phase se déroule entre 1950 et 1970. Le pentecôtisme se développe mais son influence reste encore limitée. Cette seconde phase correspond à une période de grand exode rural et d’essor des mégapoles. Le Brésil s’urbanise et s’industrialise. Les grands moyens de communication commencent à apparaître. Les trois principales églises qui sont créées pendant cette période sont l’Igreja Brasil para Cristo (1955), l’Igreja Pentecostal Deus é Amor (1962), toutes deux d’origine nationale, et l’Igreja do Evangelho Quadrangular (1951), originaire des Etats-Unis. Cette dernière rassemble aujourd’hui 2 millions d’adeptes.

Sur cette seconde phase, le pentecôtisme connait une première mutation. Dans les cultes, la glossolalie perd en importance, la cure occupe une place centrale, la pratique de l’exorcisme (qui a toujours existé) devient publique et est médiatisée. Elle devient même une marque des églises pentecôtistes. Au cours de ces années, des groupements religieux qui s’inscrivaient jusqu’alors dans la lignée de la réforme protestante connaissent une « rénovation », changent de nom et glissent progressivement vers le pentecôtisme. Un facteur contribue alors fortement au « décollage » du courant pentecôtiste en périphéries urbaines : l’église, la communauté de fidèles fonctionnent comme un réseau d’entraide, à l’échelle du quartier, de la banlieue ou de la commune. Les anciens ruraux qui connaissent le déracinement, une perte de tous leurs repères sociaux, culturels et religieux retrouvent dans la structure ecclésiale un espace de solidarité, d’insertion sociale, une dimension humaine.

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Dans ce pentecôtisme historique largement importé et peu adapté à la culture brésilienne, la communauté des croyants exerce un contrôle total sur l’existence de ses adeptes, soumis à des prescriptions rigoureuses (interdictions de l’alcool, prohibition de l’image, codes vestimentaires, assiduité aux cultes, etc..). La norme à respecter est celle d’une vie austère, frugale, ignorant totalement l’hédonisme de la société de consommation. Le plaisir est une manifestation majeure de Satan. Les crentes doivent être fidèles à leur église et ils le sont parce qu’en son sein ils trouvent un réseau social protecteur. Pendant longtemps, ce premier pentecôtisme s’est singularisé par son repliement sur la pratique religieuse, sa présence réduite sur la scène sociale et une répugnance marquée à l’égard de la politique considérée comme relevant du « monde » soumis à l’emprise de Satan. L’engagement politique, associé à la corruption, relevait du péché.

La déferlante néo-pentecôtiste

La troisième phase commence avec les années quatre-vingt : elle correspond à l’essor au Brésil du courant néo-pentecôtiste. Cette dénomination utilisée pour désigner une offre religieuse nouvelle ne signifie pas que cette offre soit homogène. L’offre néo-pentecôtiste va être de plus en plus dispersée. Dans le Brésil d’après la fin de la dictature militaire, il est devenu impossible de savoir combien d’églises pentecôtistes existent et combien de variantes du pentecôtisme sont pratiquées. Une étude réalisée au début des années quatre-vingt a montré qu’à l’époque chaque semaine surgissait une nouvelle église.

Les institutions les plus importantes qui naissent avec cette troisième vague sont l’Igreja Universal do Reino de Deus (1977), l’Igreja Internacional da Graça de Deus (1980), l’Igreja Apostólica Renascer em Cristo (1986) et la Comunidade Evangélica Sara a Nossa Terra (1992) ou l’Igreja Mundial di Poder de Deus (1998). Des centaines, voire des milliers d’autres églises ont été créées sur les quarante dernières années. Plusieurs ont cessé rapidement leurs activités après avoir été lancées. Nombreuses sont les entités qui n’ont atteint qu’une influence locale ou régionale. Certaines de ses églises sont d’anciennes organisations qui ont changé de nom. D’autres ne se présentent pas comme pentecôtistes ou ne savent pas qu’elles se rattachent en réalité à cette mouvance. Cette diversification considérable de l’offre a plusieurs explications.

Le pentecôtisme et le néopentecôtisme se réclament de la théologie de la prospérité. Au cœur de cette théologie, il y a la conviction que Dieu veut que ses fidèles connaissent une vie prospère, c’est-à-dire qu’ils soient riches du point de vue économique, sains du point de vue physique et heureux dans leur vie personnelle et familiale. Le bonheur et l’opulence sont des signes de la prédilection divine et peuvent être conquis par la foi. La foi conduit à la richesse, à la santé, au bien-être. Le manque de foi génère la pauvreté, la maladie, le malheur. Le fidèle est donc responsable de ce qui lui arrive, qu’il s’agisse de la bénédiction ou de la malédiction économique, sociale, physique ou spirituelle. Le dénuement, la pauvreté, les problèmes de santé sont attribués au manque de foi de la personne, bien plus qu’à un quelconque contexte social ou économique.

L’individu peut cependant reconquérir le bonheur s’il retrouve le chemin de la foi. L’expression de la foi se concrétise par la participation active à la vie de l’église et par un investissement financier régulier et généreux. La dîme, comprise comme une expression de la foi de ceux qui font des dons, est la principale voie à emprunter pour sortir de l’échec. « Dieu est le chemin mais le pasteur est le péage », selon un dicton populaire brésilien. Cette conception peut susciter des critiques morales car le pasteur acquiert souvent rapidement un patrimoine conséquent. Néanmoins, la foi exprimée par le versement du péage met en mouvement les mains providentielles de Dieu. De fait, l’investissement du crente n’est jamais un investissement en pure perte. Il génère un retour palpable dans la vie quotidienne. Ce retour perceptible est sans doute la clé du succès des églises pentecôtistes des premières périodes. A l’époque, au sein de structures qui encadrent et animent la vie d’un quartier ou d’une banlieue, le rapport à la divinité est marqué par une attitude de soumission. Le fidèle s’en remet à la grâce divine. Cette grâce ne signifie pas pour tous la prospérité, la santé, la réussite familiale ou le bonheur individuel. Elle se traduit pourtant par un soutien du réseau auquel appartient le fidèle. L’église peut l’aider à trouver un emploi, à monter un petit commerce. Le crente est socialement reconnu et protégé. Il participe à des activités culturelles et éducatives. Le respect de règles de conduites (interdiction de la consommation d’alcool, de drogues), l’encadrement social exercé par la communauté réduisent la violence, l’insécurité. Les relations interpersonnelles et de voisinage sont pacifiées.

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Les nouveaux courants pentecôtistes promeuvent plusieurs évolutions à partir des années quatre-vingt. La première est une désinstitutionalisation radicale de la vie religieuse. Le pasteur qui crée son église ou organise une communauté s’autoproclame pasteur. Aucun cursus officiel, passage par un séminaire ou diplôme n’est nécessaire. N’importe qui peut s’instituer ministre d’un nouveau culte. Il suffit au pasteur auto-proclamé d’affirmer qu’il a eu une vision, qu’il a reçu un appel lui enjoignant d’aller prêcher l’évangile. Le talent oratoire est ici essentiel. Il existe dans le Nord-Est une tradition de l’improvisation orale (la poésie repentista) qui a sans doute contribué à multiplier et à diffuser ce don d’évangélisation (les nordestins sont présents dans de nombreuses régions du pays), le fait de savoir bien parler, de pouvoir attirer le plus de monde possible par sa parole. Le ministère sacerdotal est accessible à tous les beaux parleurs. Les plus performants peuvent même se donner le titre d’évêque.

Un second train de changements majeurs a eu lieu, notamment avec l’essor de l’Igreja Universal do Reino de Deus. Son fondateur, « l’évêque » Edir Macedo va donner à la théologie de la prospérité toute sa traduction matérielle. D’abord pour justifier son propre enrichissement. L’église devient rapidement une puissance financière considérable. Ensuite pour encourager ses adeptes à la suivre : « l’évêque » préconise un abandon du rigorisme des pentecôtistes historiques. Les crentes peuvent profiter des bienfaits de la société de consommation. L’hédonisme sous toutes ses formes n’est plus combattu. Si Dieu nous offre la possibilité de bien vivre et d’accumuler biens et richesses, pourquoi ne pas le faire ? Macedo va par ailleurs supprimer un des aspects de la tradition protestante qui persistait au sein de l’univers pentecôtiste brésilien : l’iconoclasme, la prohibition des images. Auparavant, les fidèles du premier pentecôtisme ne pouvaient pas regarder la télévision, aller au cinéma ou au théâtre. Cet iconoclasme s’appliquait aussi au corps des fidèles. Le corps était péché. Il ne fallait donc pas le mettre en valeur. La culture brésilienne profonde est pourtant une culture de l’image et de l’image de soi. L’iconoclasme des premiers pentecôtistes se heurtait donc à un trait majeur de la culture nationale. En créant son église, Macedo rompt avec cet interdit. Il a compris avant tous ses concurrents que la diffusion du message doit dépasser les limites des murs du temple et utiliser systématiquement les mass médias.

Le fondateur de l’Igreja Universal introduit l’image, diffuse ses cultes sur les petits écrans, lance un prosélytisme télévisuel à très grande échelle. L’abandon de l’interdit sera repris par toutes les grandes églises concurrentes. Le courant néo-pentecôtiste va recourir systématiquement aux canaux modernes de communication (TV, puis plateformes numériques). Il a introduit une nouvelle dynamique dans les cultes, en favorisant l’expression des fidèles (chants, expression corporelle) et en abandonnant l’austérité et le formalisme vestimentaires, l’interdiction de mettre le corps en valeur. Aux prières des premiers temps qui réunissaient des adeptes vêtus avec une extrême rigueur ont succédé des offices où les participants rivalisent d’élégance.

Ces changements vont générer une autre mutation. Le rapport des fidèles à la divinité est transformé. Les églises pentecôtistes ont très tôt utilisé le recours à des témoignages durant les offices. L’adepte repenti, revenu à Dieu, guéri d’une maladie incurable ou le fils de nordestins pauvres qui avait réussi dans les affaires étaient appelés à témoigner. Sa trajectoire était la preuve du salut par la foi. Sur une communauté réunissant entre 3, 5 ou 10 000 fidèles, il y avait toujours des croyants dont le sort s’était spectaculairement amélioré. Cette technique de l’appel à témoignages de quelques élus avait l’avantage de conforter la foi de la masse des adeptes. Avec la diversification de l’offre et l’ample diffusion que permet l’image (et aujourd’hui les plateformes numériques), la concurrence entre églises est exacerbée. Chacune cherche à montrer qu’elle est plus que les autres le chemin de la prospérité et du bonheur car il faut garantir la croissance des péages versés. De leur côté, les fidèles et les adeptes potentiels sont confrontés à des périls et des risques de plus en plus nombreux et de plus en plus importants dans leurs existences : crises économiques répétées, effondrement des revenus, catastrophes naturelles, pandémies, violence urbaine, dislocation de la famille traditionnelle, séparations, divorces, toxicomanie, etc… La demande de protections est de plus en plus forte.

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Tous ces éléments ont profondément transformé le rapport à la divinité. Au lieu d’attendre la grâce de Dieu après avoir intégré une nouvelle église, les fidèles ont commencé à exiger un retour personnel, à concevoir leur rapport à Dieu comme un contrat. L’adepte est devenu un client. En contrepartie du péage versé, il entend obtenir des bénéfices concrets et rapides. Le crente entretient avec Dieu une relation d’obligations et de bénéfices. S’il remplit ses obligations, Dieu va le bénir, c’est-à-dire lui accorder prospérité, santé et bonheur. Si le contrat n’est pas respecté par ce Dieu indocile, c’est que le chemin choisi n’est pas le bon. Il faut changer de fournisseur. Les clients des églises néo-pentecôtistes n’ont donc plus la fidélité qu’avaient les pentecôtistes traditionnels d’hier. Ils n’hésitent plus à changer de pasteur et de communauté pour aller tester les services d’entités concurrentes. Ils peuvent fréquenter plusieurs églises à la fois. A la fidélité d’hier a succédé un butinage religieux.

Les premières générations d’adeptes du pentecôtisme étaient très souvent formées d’anciens catholiques, baptisés par l’église romaine. Les nouvelles générations sont constituées d’adeptes nomades qui ont fréquenté divers cultes avant de s’insérer dans celui où ils ne font parfois qu’une étape. Le néo-pentecôtiste est versatile. Dans cette dynamique concurrentielle, les grandes structures, les églises de dimension nationale (ou multinationale) les plus riches sont également les plus solides. Sur le marché de la foi, elles adaptent leur marketing, multiplient les témoignages, parviennent à convaincre les fidèles que le contrat sera respecté. Elles constituent en effet des réseaux puissants d’encadrement, de sociabilité et de soutien qu’il est difficile d’abandonner. La prospérité ou la fortune sont toujours réservées à quelques rares adeptes que l’église et son pasteur mettent en évidence pour renforcer la foi de tous les crentes. Pour les couches les plus pauvres de la société, l’adhésion à une église puissante est toujours à l’origine de bienfaits, aussi modestes soient-ils. Le versement régulier du péage ouvre toujours l’accès à une route un peu moins difficile.

La pulvérisation de l’offre spirituelle n’est pas un obstacle rédhibitoire au développement de cette force sociale que sont désormais les églises pentecôtistes et néo-pentecôtistes. A la théologie de la prospérité, elles ont en effet ajouté à leur panoplie une autre théologie. Elles veulent être les défenseurs des valeurs traditionnelles. Elles entendent mener une « bataille spirituelle », combattre sur le terrain des valeurs, entrer en politique. C’est sans doute ce combat qui leur permet de conjurer les périls de l’hyper-concurrence. Et de s’imposer comme acteur politique central dans le Brésil du XXIe siècle.

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À propos de l’auteur
Jean-Yves Carfantan

Jean-Yves Carfantan

Né en 1949, Jean-Yves Carfantan est diplômé de sciences économiques et de philosophie. Spécialiste du commerce international des produits agro-alimentaires, il réside au Brésil depuis 2002.

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