La fin du Mouvement Cinq Étoiles ?

14 juillet 2022

Temps de lecture : 4 minutes

Photo : Le ministre italien des Affaires étrangères Luigi Di Maio écoute le discours d'ouverture de la réunion des ministres des Affaires étrangères du G20 à Nusa Dua, Indonésie, vendredi 8 juillet 2022. Crédits: AP Photo/Dita Alangkara, Pool

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La fin du Mouvement Cinq Étoiles ?

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Luigi di Maio s’en est allé, les sondages démontrent une chute chaque fois plus grande, les électeurs se sentent soient trahis, soient déçus. Arrivons-nous à la fin d’une force populiste qui a fait peur aux grands de ce monde ?

Le gouvernement du changement

Nous étions en 2018, les Italiens votaient pour renouveler leurs représentants à la chambre des députés et au Sénat. Après le remarquable résultat de 2013 – où il avait récolté 25% des voix – le Mouvement Cinq Étoiles raflait la mise en 2018 arrivant à 32%. Le mouvement était né comme une force contestataire, mais maintenant il était temps de venir aux affaires – une position bien plus difficile qu’être dans l’opposition.

Compte tenu du système politique italien le choix d’allié n’était pas clair. La coalition dite du centre droit avait réussi à obtenir 37% des voix, réunissant plusieurs partis, dont la Ligue (17% des voix), Forza Italia (14%) et Frères d’Italie (4%) étaient les plus importants. La coalition dite du centre gauche arrivait derrière le M5S et la droite avec 22% des suffrages exprimés.

Le mouvement de Beppe Grillo avait trois options : se démettre de son obligation de gouverner, faire une alliance avec un parti de gouvernement comme Forza Italia ou le Parti démocrate ou établir une union inédite avec un autre parti contestataire. Les Grillini choisirent la troisième option. L’alliance entre la Ligue et le Mouvement, la naissance du gouvernement Conte I, était scellée. Luigi di Maio et Matteo Salvini étaient ensemble pour sauver l’Italie des prédations étrangères, de l’affaissement économique et des vagues migratoires.

Trois moments clefs

Nous n’avons pas comme but une analyse complète du Mouvement, ce qui serait assez long, mais nous avons choisi trois moments décisifs pour comprendre sa mutation. Le premier a été l’accord du parti à Paolo Savona, choix de la Lega pour devenir ministre de l’Économie. Cela démontrait jusqu’à quel point le parti se plaçait du côté des contestataires et contre l’establishment. Savona était tout à fait respectable, sauf sur un point – l’euro. Pour lui, l’Italie avait commis une erreur en adoptant la monnaie. Mattarella, le président italien, avait à l’époque dit à Conte que le choix d’un ministre critique sur l’euro pourrait déchaîner une avalanche de problèmes et finir par sortir l’Italie de l’euro. Le gouvernement du changement sacrifiait Savona, et ainsi il sacrifiait également sa cohérence.

Luigi di Maio, pour défendre le choix de Savona, avait dit qu’il « ne pouvait pas accepter que le ministre de l’économie italien soit choisi par des nations étrangères ou par des agences de notation financière. »

La première décision complètement inattendue fut celle de l’été de 2019, le Mouvement Cinq Étoiles choisissait l’alliance avec le PD (Parti Démocrate) qu’il avait combattu farouchement pendant les législatures passées. Ce choix fut absolument calculé, la Ligue avait réussi à gagner dans la bataille de la communication, et les sondages montraient une chute vertigineuse des Cinq Étoiles si une nouvelle élection se réalisait. Des 32% le mouvement descendrait à environ 20%. Meloni n’hésitera pas à l’appeler il governo delle poltrone – « le gouvernement des fauteuils ». L’alliance entre le PD et le M5S servait les deux partis, leurs députés furent protégés d’une élection potentiellement dangereuse. Une union bizarre pour garder les sièges.

Ensuite, le Mouvement apporta son soutien au gouvernement d’union nationale de Mario Draghi. Là, une partie substantielle de ses militants décrocha. Si une entente avec le Parti démocrate pouvait, en certaines mesures, être acceptée – la logique d’une union entre la gauche lato sensu contre la droite – apporter le soutien à quelqu’un comme Draghi était trop. Le Mouvement, né pour défier les puissants et le monde de l’argent, s’inclina devant sa représentation presque caricaturale. Et les sondages ? Des 20% de 2019 aux 10% de 2022…

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Phénoménologie de la trahison et du traître

Luigi di Maio, possiblement la figure la plus iconique du Mouvement après Beppe Grillo, s’en alla. Le 21 juin, il Movimento voyait la désertion d’une figure presque irremplaçable. Luigi di Maio et les siens – une cinquantaine de députés – abandonnaient le parti pour créer Insieme per il Futuro – Ensemble pour l’Avenir.

Beppe Grillo reproduisait dans son blog un article de Pasquale Almirante – Phénoménologie de la trahison et du traître – pour cibler Di Maio, sans le nommer. La rupture irréparable était consommée. Plusieurs raisons ont poussé l’actuel ministre des Affaires étrangères à partir. Il nous paraît que les tensions avec Conte, devenu au fil du temps une figure de proue du mouvement, ne sont pas suffisantes pour expliquer la scission.

Di Maio a compris qu’un parti plus petit et plus responsable pourrait peser autant, sinon plus qu’un grand parti. Il l’a appris avec Matteo Renzi ; en créant Italie Vive, Renzi a lâché le PD et réinventa son futur politique, Di Maio essaie de l’imiter. Le rôle de Renzi et de son petit parti a été clef pour dynamiter l’union entre le PD et le M5S, qui comptait également avec l’appui d’Italie Vive, et ouvrir le champ au gouvernement Draghi.

Les Grillini devront, finalement, subir les conséquences de leurs désarrois – l’Italie revotera en 2023. Luigi di Maio sait que les électeurs seront implacables, il ne veut pas subir leur ire. Ainsi, il a fait ce que le parti ne peut pas faire, il a acté sa nouvelle position, celle d’un centriste responsable, gardien de la stabilité.

L’invasion de l’Ukraine et le tropisme russe des Italiens

Un autre élément, à ajouter aux tensions Conte-Di Maio et la viabilité du M5S, est l’invasion de l’Ukraine. Giuseppe Conte et Matteo Salvini ont presque réédité le gouvernement giallo-verde. Les deux leaders de parti ont alerté constamment sur l’impact de la guerre dans la vie quotidienne des Italiens, et ont essayé de ne pas jeter de l’huile sur le feu.

Luigi di Maio s’est révélé un ardent partisan de la politique bruxelloise, accusant la réticence de Conte à envoyer des armes à l’Ukraine comme une faute morale et un problème pour l’Italie en Europe.

Il est bien connu que l’Italie, la France et l’Allemagne sont plus réticentes à affronter la Russie que les pays de l’Europe de l’Est. Ces derniers sont poussés par les Anglo-Américains vers une confrontation extrêmement périlleuse avec la Russie. Le Mouvement Cinq Étoiles et l’Amérique est une histoire de désamour. Encore une fois, Luigi di Maio ne pouvait plus dissimuler – ou peut-être il a effectivement changé radicalement d’opinion – sa préférence. « Nous devons choisir quelle partie soutenir pendant que l’Histoire est faite », dit-il aux journalistes. Reste à voir si les électeurs italiens apprécieront les revirements de Di Maio.

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À propos de l’auteur
Alphonse Moura

Alphonse Moura

Géopolitologue, Master en sciences politiques et relations internationales.

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