Recueil d’articles parus dans le journal Zadig. Des enquêtes qui donnent à voir une image de la France et de ses évolutions.
Christophe Boltanksi, La fermière tuée par sa vache et autres faits divers, Autrement, 2024.
Journaliste et écrivain, Christophe Boltanski a publié de nombreux romans qui traduisent une recherche d’introspection, à la fois sur lui-même, mais aussi sur ses personnages. Il a été également correspondant de guerre au Moyen-Orient. Cet ouvrage, publié dans la nouvelle collection des éditions Autrement est un recueil de différents articles traitant de faits divers publiés entre décembre 2019 et décembre 2023.
Ces articles ont été publiés dans Zadig, la revue trimestrielle fondée par Éric Fottorino, ancien directeur du Monde, mais surtout fondateur de différents titres comme 1, América ou Légende. Le projet de ce prolifique créateur de journaux, par ailleurs romancier, est de retrouver l’âge d’or de la presse écrite, cette odeur de l’encre et du papier qui libère des connexions et que l’on emporte avec soi, quelles que soient les contraintes.
Sur les chemins de France
Les dix articles compilés dans ce livre qui lance la collection Zadig – Autrement donnent à voir une certaine image de la France, à la fois cruelle et attachante par ce que ces histoires racontent.
Le titre, « la fermière tuée par sa vache et autres faits divers », peut surprendre, mais rappelle surtout le terrible isolement de certains agriculteurs français comme Noëlle Aragon, morte accidentellement à 64 ans dans son étable. On parcourt ainsi la France des villes et des campagnes, les cités et les villages. Et ce que l’on y trouve n’a rien de reluisant, comme ce territoire de l’Aude, pollué irrémédiablement par l’arsenic extrait du complexe minier de Salsignes.
La France que raconte au fil de ses quatre numéros annuels la revue Zadig est celle des passions, souvent tristes d’ailleurs. Noëlle Aragon meurt seule, piétinée par une vache, dans l’indifférence, car personne n’a eu l’idée de l’aider à manipuler le bétail. De la même façon, dans une commune de Seine-et-Marne, une rumeur entretenue autour de « roms voleurs d’enfants », se termine par un lynchage commis par une cinquantaine d’individus. On pourra faire d’ailleurs le lien avec un autre épisode de ce type qui concernait les salons d’essayage de magasins de prêt-à-porter d’Orléans en 1969. Ces boutiques, tenues par des commerçants juifs, étaient censées capturer des jeunes filles pour un réseau de traite des blanches.
Christophe Boltanski a également enquêté sur les loups gris, ce mouvement nationaliste turc, lié au parti de l’action nationaliste et clairement soutien d’Erdogan. Les actions violentes se sont concentrées en France sur la communauté arménienne, particulièrement dans le contexte de la guerre du Caucase entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Les personnages qui apparaissent ainsi, au fil des pages sont plutôt quelconques comme Ahmed Cetin, largement mythomane, et difficilement classable.
Depuis quelques semaines, sur fond de violence entre mineurs, avec des conséquences souvent dramatiques, les commentateurs introduisent la différence entre ce que l’on appelle « les faits divers » et aujourd’hui les faits de société. Incontestablement les dix récits que l’on trouve dans cet ouvrage sont surtout révélateurs d’un pays aujourd’hui atomisé, dans lequel des individus, des groupes vivent côte à côte et parfois se retrouvent face à face.
Drames locaux
Dans une fête de village, dans le département de l’Aude, sur fond de rumeurs à propos de piqûres lors de concerts ou de rassemblements festifs, deux personnes, identifiées comme noires sont prises à partie par des habitants du village, y compris des personnalités locales. Rien n’est venu confirmer cette thèse des « piqûres sauvages » même si à l’échelle du territoire national plus de 2 000 plaintes, évidemment classées sans suite après les analyses toxicologiques, ont été recensées.
Des situations dramatiques peuvent ainsi apparaître, y compris dans les cœurs des villes, comme « ces petits drames entre voisins » liés à la volonté d’entretenir dans le 12e arrondissement de Paris un espace vert avec une mare. Les habitants se divisent entre ceux qui refusent le moindre rassemblement dans cet espace et une sorte de milice de quartier qui entend chasser « les indésirables ».
Cet ensemble d’articles donne à réfléchir sur ce que le pays est en train de devenir. L’autorité publique semble incontestablement dépassée par une accumulation d’événements largement amplifiés aujourd’hui par les réseaux sociaux. En même temps, car un épisode en chasse un autre, il reste sur le terrain de ces confrontations de laissés-pour-compte. Et c’est parmi eux que s’entretient l’exaspération, la colère, une sorte de rage impuissante face au mur de l’indifférence collective.