Article originellement publié le 1 septembre 2020 sur le site d’Yves Montenay
Liban, Syrie, Jordanie et Israël sont des terres de très vieille civilisation. Nous en avons des échos à mille et une occasions et pas seulement dans les livres d’histoire. Cette région qu’on appelait autrefois « Le Levant », puis le « Proche-Orient », est une partie du « Moyen-Orient » d’aujourd’hui. Après avoir largement participé aux racines de la civilisation occidentale, ce Proche-Orient est en train d’être détruit matériellement et humainement, comme nous le rappelle l’actualité quotidienne … depuis des décennies.
J’ai eu la chance de voyager dans cette région au début ou juste avant des destructions. Je vais évoquer ces voyages de façon un peu funèbre car j’ai en tête ce que chaque endroit est devenu depuis.
Une histoire qui nous concerne depuis des millénaires
Après avoir abrité quelques unes des plus anciennes villes de la planète, ce Levant a été particulièrement fécondé mais aussi malmené par l’histoire. Les Perses, les Grecs, les Romains, les Arabes, les croisés, les Mongols, les Turcs… et même Napoléon y sont passés. C’était la route de l’Europe vers l’Asie et l’Afrique, et réciproquement. Il y a sur la côte une pierre où chacun a laissé sa signature, y compris Alexandre le Grand.
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Les programmes scolaires français nous parlent d’abord des « Peuples de la mer » dénoncés sur les murs des temples égyptiens. Il s’agit probablement des Phéniciens déjà dans le pays au moins un millénaire avant Jésus-Christ et à qui on attribue l’invention de l’alphabet. Sous le nom de Philistins, c’est probablement eux que l’on retrouve dans la Bible, menés par le géant Goliath. Ils ont commercé dans toute la Méditerranée et fondé Cartage qui les arelayés jusque dans l’Atlantique.
Les Romains s’installent au Levant et en Égypte au début de l’ère chrétienne, et dispersent les Juifs en l’an 70 dans tout leur empire. 1800 ans plus tard ils suivront les Européens dans le monde entier.
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Au IVe siècle le christianisme devient la religion officielle de l’empire romain et le demeure dans l’empire byzantin.
Au VIIe siècle Arabes chassent les Byzantins. Les pays de la région sont rassemblés par les dynasties arabes abbassides et omeyades. Mais le Levant demeure néanmoins environ 1000 ans de plus à majorité chrétienne, tandis que langue araméenne est peu à peu remplacée par l’arabe, sauf dans certaines églises.
Les occupants arabes puis turcs imposent peu à peu l’islam sunnite, et les récalcitrants chrétiens, chiites ou druzes se réfugient dans les montagnes proches de la côte aujourd’hui syrienne, libanaise ou israélienne.
Vous trouverez une histoire plus détaillée de la région dans mon récent article « Géopolitique du Liban » et je vais maintenant passer à mes souvenirs personnels.
De cet article, vous pouvez retenir que les élites locales étaient largement francophones en Syrie et au Liban, même si cela s’atténue nettement depuis quelques décennies, et que les francophones originaires de France ou du Maghreb sont nombreux en Israël.
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Le Liban dans l’ombre de la guerre civile
De 1975 à 1990, le Liban est déchiré par une guerre civile atroce où s’entrecroisent rivalités intercommunautaires et influences étrangères contradictoires, notamment l’influence d’Israël sur certains groupes chrétiens, et les contre-influences qu’elle suscite.
13 avril 1975 La guerre civile au Liban
Ma première tentative de voyage tourne court : je ne peux pas quitter l’aérodrome ! J’ai tout juste le temps de recueillir quelques images du règne de la Kalachnikov…
Je profite d’une accalmie pour faire un nouvel essai, sérieusement agacé par les commentaires de la presse française qui, oubliant les amitiés séculaires entre français et chrétiens du Liban, suit la mode de l’époque qui porte au pinacle « les progressistes » et donc fustige les « chrétiens conservateurs ».
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L’adjectif « conservateur » n’était pas faux, mais s’expliquait par les nécessités de la simple survie et par la prospérité qu’ils avaient apporté au pays, Les « palestino-progressistes » étaient présentés comme le camp du bien ! Beaucoup de ces progressistes se révéleront islamistes, notamment chez les chiites. J’espère que le remords ronge les vieux journalistes du Monde !
Un pays dévasté
Je tombe sur un pays dévasté, la « ligne de front » divisant Beyrouth montre des façades massacrées. Je croise dans les ruines des chiites faméliques et inquiétants dans les faubourgs menant à l’aéroport, mais qui se révéleront finalement tout à fait accueillants à l’étranger que je suis.
Le centre-ville est détruit, la côte chrétienne du nord de Beyrouth à Byblos et au-delà est défigurée par les logements construit à la va-vite pour les réfugiés chrétiens de zones conquises par les musulmans ou les Druzes.
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L’autoroute qui longe cette côte a succédé à la route des invasions, seul passage depuis des millénaires entre la mer et la montagne pour les armées des peuples les plus variés. Cette autoroute est envahie par les animaux, les piétons et cyclistes … et j’y ai conduit de nuit !
Je vais, comme les correspondants de guerre, dans l’hôtel surplombant la ville sunnite de Tripoli et une des lignes du front, à cet endroit entre chrétiens et sunnites. L’hôtel voit passer des journalistes du monde entier et est animé par une propriétaire dynamique, digne représentantes de la bourgeoisie chrétienne cultivée francophone. Elle règne sur d’innombrables souvenirs antiques et contemporains comme c’était d’usage au bon vieux temps, avant que les pillards ne les détruisent ou les revendent dans le monde entier.
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Revenu à Beyrouth, je découvre les joies d’un petit verre sur la corniche qui surplombe les mythiques îlots rocheux de la « grotte aux pigeons »
Le Rocher (El Rawché) ou la Grotte aux Pigeons
Le tour du Levant avec les lecteurs du Monde
Quelques années plus tard, je saisis une autre occasion quand, en 1996, le journal Le Monde propose à ses lecteurs un voyage au Proche Orient, en Syrie, Jordanie, Israël et au Liban. Un avion complet est loué, rempli de fidèles lecteurs, flanqués de quelques bons guides, et en avant pour la tournée des officiels de ces pays, avec quand même un peu de tourisme.
La Syrie
Nous arrivons à Damas. La minorité alaouite, une branche du chiisme, est au pouvoir sous la houlette de la famille Assad, dont deux générations ont présidé le pays sous la poigne de leurs services spéciaux et de l’armée.
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Théoriquement socialiste et laïque, le régime est d’abord opportuniste et répressif, comme l’a illustré l’horreur de la guerre civile qui a suivi une dizaine d’années après notre passage, symbolisée notamment dans mon esprit par la décapitation du directeur du site archéologique de Palmyre.
Nous sommes royalement reçus : ce que pourrait écrire Le Monde compte dans l’image d’un pays. Comme j’ai été repéré, on me place entre 2 femmes élégantes et parfaitement francophones. La famille Assad est, elle, anglophone au point d’échanger des messages personnels dans cette langue, ce qui a été dévoilé bien plus tard par des opposants, ravis d’étaler sur la place publique que, pendant le massacre de ses sujets, le président parlait de faire cadeau d’un diamant à sa femme.
Nous avons droit un exposé de la politique syrienne par un officiel. Certains lecteurs du Monde, se croyant en France, posent des questions indignées sur l’autoritarisme très musclé du régime, déclenchant bien entendu des réponses courtoises et diplomatiques niant tout mauvais comportement.
Nous avons ensuite droit à un cours d’histoire rappelant que la région, aujourd’hui divisée entre Syrie, Jordanie, Liban et Israël avait comme nom romain puis arabe « la Syrie ». Il s’agit donc de reprendre ces territoires perdus et d’ailleurs « nos services savent que les peuples le demandent, et bientôt la volonté populaire permettra de reconstituer notre territoire ». « Mais Israël ? » demande un naïf, oubliant que ce pays n’existe pas aux yeux des « vrais » Arabes (ce n’est qu’en 2020 que Les Émirats Arabes Unis reconnaîtront Israël, longtemps après la Jordanie et l’Égypte).
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Oublions la politique et allons savourer les ruines romaines puis la fameuse mosquée des Omeyyades, à mon avis encore influencée par les églises alors omniprésentes. Et allons découvrir cette vallée chrétienne proche de Damas, mais naguère isolée dans la montagne de l’Antiliban. On y parle encore l’araméen. Le prêtre local semble crouler sous les dons des chrétiens américains et allemands, ce qui fait venir des musulmans arabophones pauvres, qui vont probablement noyer cette minorité locale.
La Jordanie
Nous passons ensuite en Jordanie, dirigée alors et aujourd’hui encore, par des survivants des Hachémites mis en place par les Anglais à la suite de l’épopée de Lawrence d’Arabie. Nous découvrons l’immensité de la capitale Amman et les palais des fortunes immobilières bénéficiant du financement par l’ONU des réfugiés palestiniens qui forment la majorité la population.
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Nous rencontrons les cadres chrétiens francophones spécialisés dans le tourisme religieux de l’origine du christianisme. Les sites légendaires y sont moins nombreux qu’en Palestine ou Israël, mais tout pèlerinage est bon à prendre. Nous goûtonségalement dans un club d’officiers à la tradition très « british » des hautes classes sociales de cette ancienne colonie britannique.
Nos naïfs lecteurs du Monde ne manquent pas d’interroger les officiels jordaniens sur les propos syriens prévoyant une prochaine demande de rattachement du pays à la Syrie. La réponse était prévisible : « effectivement, il y a régulièrement quelques agitateurs qui sont dénoncés par la population et que nous traitons comme il se doit ».
La question ne se pose plus aujourd’hui, la Syrie étant devenue un repoussoir avec sa guerre civile atroce, ses centaines de milliers de morts et ses millions de réfugiés en Turquie, au Liban et en Jordanie.
Israël
Je termine mon circuit en Israël.
C’est l’occasion de s’apercevoir à quel point les diverses communautés et sous communautés politiques et religieuses « se marchent sur les pieds » dans les zones non désertiques de ces petits pays : en quelques tours de roue de notre autobus nous passons du fameux pont Allenby sur le Jourdain à Jéricho, ville palestinienne sous pression de quelques centaines de colons surprotégés au détriment du reste de la population.
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Cela pour imposer une présence juive aux « tombeaux des patriarches », communs aujourd’hui au judaïsme et à l’islam, après avoir été également une église et avoir été contrôlés par les pouvoirs les plus divers.
En quelques minutes de plus, nous arrivons à la banlieue de Jérusalem puis à sa vieille ville où l’on change de religion tous les 3 pas. Non seulement en passant des juifs aux musulmans puis aux chrétiens, mais aussi aux variantes de chacune de ces communautés, qui ont souvent chacune des appuis extérieurs. Par exemple la Russie, pour la poignée d’Arabes orthodoxes.
Et nous avons droit à une magnifique démonstration de la division de la société israélienne :
– d’un côté, le discours d’un journaliste ashkénaze (c’est-à-dire de famille juive européenne) très familier aux lecteurs du Monde : « impératif sécuritaire au détriment, comme c’est dommage, des droits des Palestiniens »,
– de l’autre celui de son collègue sépharade (de famille originaire des pays arabes) nous ramène aux réalités locales : « je suis Marocain (juif de ce pays ayant choisi d’émigrer en Israël). Ma mission en Israël est donc de défendre ma communauté discriminée, sous-entendu par les Ashkénazes, et à l’extérieur de repousser les musulmans, comprendre les Palestiniens, le plus loin possible, comprendre en Jordanie »… Désespoir des lecteurs du Monde !
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Malheureusement, je dois renoncer au prolongement du voyage vers le Liban, du fait d’une obligation professionnelle.
Mes troisième et quatrième voyages au Liban
Je reviens au Liban dans les années 2000 quand la guerre s’est calmée : un colloque à Byblos et la proposition de diriger un IUT francophone, qui est surtout un prétexte pour rencontrer des Libanais différents.
Le port de cette Byblos a retrouvé son charme initial maintenant un peu « rétro », avec l’affichage dans les bars de photos des célébrités françaises passées par la ville depuis 50 ans. On peut se promener dans l’arrière-pays et notamment à Baalbek, encore désert ou dans la station de ski du Mont-Liban : « Skiez le matin, baignez-vous en Méditerranée l’après-midi », disait-on au bon vieux temps.
La dernière forêt de cèdres du pays est bien maigrichonne – heureusement les jardins français en ont recueilli beaucoup – je visite les hauts lieux du maronisme , en pleine falaise et déjeune d’un poisson grillé, pêché sous mes yeux dans un torrent par un parfait francophone.
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La vallée sainte au Liban monastère d’Edisha
Retour dans la région du Chouf, partagée entre chrétiens et Druzes, ces derniers ayant chassé leurs voisins pendant la guerre civile, puis ayant eu la lucidité, rare dans la région, de les inviter à revenir chez eux à la fin de la guerre pour éviter des représailles futures. Le fait que les Druzes soient la plus petite des communautés et donc potentiellement menacée, n’est peut-être pas étranger à cette lucidité.
Je retrouve donc le petit bourg de Dar el Kaymar , de nouveau chrétien, avec son église et son Institut français.
C’est l’occasion d’aller voir sur le versant d’en face de la même vallée le Palais de Beiteddine de l’émir des druzes, aujourd’hui musée. Les Druzes sont aujourd’hui représentés par la famille Joumblatt , ministres ou équivalent de père en fils. On y expose les documents fondant l’originalité de la communauté, que des historiens dénués de tout romantisme qualifient de « déviation du chiisme ».
Palais de Beiteddine – Cour intérieure
Je me risque même près de la frontière israélienne dans un mélange chiites-chrétiens, à la recherche de soldats français de la Finul que je n’arrive pas trouver.
Je reviens sur l’ancienne ligne de front surplombant Tripoli : « mon » hôtel est maintenant entouré de villas de la bourgeoisie sunnite de la ville, grignotant ce vieux plateau chrétien. Sa dynamique patronne est affaiblie par une opération cardiaque, ce qui symbolise crûment dans mon esprit les difficultés de sa communauté.
Impression renforcée par des retrouvailles à Acharafieh, le traditionnel quartier chic chrétien un peu décati de Beyrouth, de célibataires vieillissantes attendant le cousin installé en Europe, ou, à défaut l’étranger, qui leur mettra la bague au doigt et leur permettra d’émigrer.
Une autodestruction féroce
Ces voyages, complétés par la réalité d’aujourd’hui, laisse l’impression du massacre d’un Levant légendaire, cultivé et riche de millénaires de civilisations superposées, par le communautarisme, voire le fanatisme, des diverses religions et partis politiques.
Bien entendu, la récente destruction du quartier du port de Beyrouth, et notamment du quartier arménien, a encore aggravé la situation
Tous ces pays, sauf peut-être la Jordanie, vont devenir monomaniaques, les uns dans la dictature, islamiste ou non, les autres dans le déni de toute diversité.
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Même en Israël on commence à regretter la perte des vieilles cultures andalouses, allemandes et yiddish de leurs parents, effacées par une éducation ultra-nationaliste en hébreu. La réussite du pays dans la haute technologie mondiale renforce l’orgueil national, mais l’acculture encore davantage : le codage et l’intelligence artificielle ne remplacent pas les vieilles cultures, écartées pour « fusionner de héritages si différents ».
Les chrétiens et la vieille élite musulmane du Levant disparaissent à toute vitesse et se réfugient en Occident. L’État Islamique a détruit la magnifique ville romaine et pré-romaine de Palmyre sauvegardée par son environnement désertique… et le reste n’est -parfois- sauvé que parce que « cela attire les touristes ».
J’ai été heureux de voir quelques bribes de ce qui restait du Levant légendaire illustré par les magnifiques récits d’Amin Maalouf, mais suis catastrophé par l’évolution actuelle, illustrée, elle, par la récente exposition de l’Institut du monde arabe sur les villes syriennes millénaires broyées par la guerre civile.
Yves Montenay
La Traversée du Siècle, L’histoire depuis les années 50 et suivantes, évoquée à partir des souvenirs personnels d’Yves Montenay, féru de politique depuis son plus jeune âge.