La diplomatie « verte » du Congo-Brazzaville

27 novembre 2023

Temps de lecture : 9 minutes

Photo : Forêt au Congo (c) Pixabay

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La diplomatie « verte » du Congo-Brazzaville

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La protection de l’environnement est l’une des pierres angulaires de la diplomatie du Congo-Brazzaville. Une politique dictée par le potentiel d’atténuation du réchauffement climatique que représente le bassin du Congo, mais aussi par la manne financière que pourraient constituer ses forêts.

À l’heure où se multiplient les coups d’État par les armées africaines et où l’insécurité gagne une partie de l’Afrique sous la férule des groupes armés terroristes, le Congo-Brazzaville, petit pays de seulement 5,5 millions d’habitants, est un îlot de stabilité dans le paysage politique du continent. Le pays est discret et fait peu parler de lui. Il est d’ailleurs souvent confondu avec son géant voisin, le Congo RDC. « Les deux capitales les plus proches du monde », Brazzaville et Kinshasa, sont séparées de 4 kilomètres par un tumultueux fleuve-frontière qui donne le même nom à leurs deux États respectifs : le Congo. Mais les points communs des deux villes siamoises s’arrêtent là. Kinshasa est aussi chaotique, festive et dangereuse que Brazzaville est paisible, verte et aérée. L’une est la mégalopole polluée d’un État de 90 millions d’habitants, hérissée de tours et de bidonvilles, l’autre est une ville provinciale décontractée, aux avenues accueillantes dotées de larges trottoirs.

Le bassin du Congo : fer de lance de la diplomatie congolaise

La stabilité du Congo-Brazzaville doit beaucoup à la longévité exceptionnelle du président Denis Sassou-Nguesso, à la tête de l’État depuis bientôt quatre décennies cumulées. À 80 ans, le président congolais est devenu un sage dont les cadets viennent jusqu’à Oyo, son fief, recueillir avis et conseils. Une longévité qui lui a valu le surnom de « papa de l’Afrique ». Et qui permet au président congolais de porter des projets à long terme. Sassou-Nguesso est ainsi à l’initiative d’importantes médiations panafricaines, telles que la paix dans la région des Grands Lacs (dans le cadre de la Conférence internationale pour la région des Grands Lacs), ou le dossier de la crise libyenne (en tant que président du Comité de haut niveau de l’Union africaine sur la Libye).

Parmi les dossiers internationaux au long cours, il y en a un pour lequel le président congolais s’investit avec un zèle particulier : la coopération environnementale. Dès le Sommet de la Terre de Rio en 1992, la question de la protection de l’environnement est devenue la pierre angulaire du soft power congolais. Sassou-Nguesso se veut un président « durable ». Et après tout, la paix, c’est écolo.

Si le régime s’est mis au vert, ce n’est pas un hasard. Son pays se situe dans le bassin du Congo, le deuxième plus important massif de forêt tropicale après l’Amazonie. Ses forêts s’étendent sur six pays et couvrent une surface 180 millions d’hectares, soit plus de trois fois la France métropolitaine. Le bassin du Congo est en outre considéré comme le plus grand puits de carbone au monde, absorbant 750 millions de tonnes de CO2 par an1.

Les difficultés d’accès à ces forêts avaient, jusque-là, relativement épargné le bassin du Congo de l’exploitation forestière, contrairement à l’Amazonie et aux forêts d’Indonésie. Cela est de moins en moins vrai. Rien qu’en 2022, le Congo RDC a perdu plus d’un demi-million d’hectares de forêts primaires, selon Global Forest Watch2. À l’échelle du continent, les Nations unies rapportent qu’entre 2015 et 2020, dix millions d’hectares de forêts ont été détruits chaque année3. Déforestation, agriculture et extraction minière et de pétrole grignotent ce massif forestier.

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Mais il y a plus. Le bassin abrite une gigantesque tourbière qui a emmagasiné des milliers d’années durant, quelques 30 milliards de tonnes de carbone4. La dégradation de cette seule tourbière libérerait l’équivalent de 15 années d’émission de gaz à effet de serre par l’économie américaine. C’est pour éviter ce scénario catastrophe que Denis Sassou-Nguesso multiplie les initiatives diplomatiques pour sauver la forêt, qui couvre environ 70% de la superficie de son pays. De Belém (sommet sur l’Amazonie) à Saint-Pétersbourg (sommet Russie-Afrique) en passant par New York (assemblée générale de l’ONU) et jusqu’à la Semaine africaine pour le climat à Nairobi en septembre dernier, le président congolais ne rate pas une occasion d’enfiler son costume vert de héros de l’écologie. La dernière en date est le Sommet des Trois Bassins forestiers tropicaux de la planète, qui s’est tenu à Brazzaville du 26 au 28 octobre 2023.

Le Sommet des Trois Bassins à Brazzaville : du vert et des pas mûres

Une dizaine de chefs d’État africains (Congo-Brazzaville, Congo RDC, Burundi Centrafrique, Comores, Gabon, Guinée-Bissau, Kenya, Sao Tomé et Principe), des ministres, des représentants d’organisations internationales, mais aussi des chercheurs, environnementalistes, ONG et membres de la société civile: à première vue, le Sommet des Trois bassins ressemble à une grand-messe de plus pour le climat destiné à alerter, comme de rigueur, sur la nécessité de « relever les défis urgents posés par le changement climatique ». Coincée entre la Semaine africaine pour le climat à Nairobi du 4 au 8 septembre et la 28e Conférence annuelle des Nations Unies sur les changements climatiques (COP28), prévue à Dubaï du 30 novembre au 12 décembre, cette rencontre-là se déroule à Kintélé, dans la banlieue de Brazzaville.

L’objectif est de construire une coalition entre les trois principaux bassins de forêts primaires de la planète (forêt Amazonienne, bassin du Congo, forêt de Bornéo et du Mékong). Une telle organisation serait inédite, à l’heure où la déforestation est en train de repartir à la hausse5. À eux seuls, les trois bassins du Congo, d’Amazonie et du Bornéo-Mékong regroupent 80% des forêts tropicales du monde, mais aussi les trois quarts de sa biodiversité.

La rencontre se distingue surtout par son africanité6 et témoigne d’une quête d’unité avant la prochaine COP28. Mais l’habillage vert du sommet pourrait aussi bien évoquer celui des dollars qu’il compte attirer. Car il mêle aussi des enjeux financiers considérables. Derrière l’arbre, une forêt de revendications émane des États africains qui crient à l’« injustice climatique » en faveur des pays industrialisés. En misant sur la fibre écolo, Denis Sassou-Nguesso fait aussi le pari d’une manne économique importante.

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Le couvert forestier et les tourbières du bassin du Congo séquestrent ensemble l’équivalent de dix années d’émissions mondiales de CO27. Ils offrent donc un bénéfice invisible, mais crucial en empêchant le carbone verrouillé de contaminer davantage l’atmosphère. Pour ce « service » rendu à la planète, les États concernés souhaitent bénéficier d’une rétribution de la part des pays du Nord. C’est la question de la « dette écologique envers l’Afrique » qui est posée. Mais pour conserver les tourbières et les forêts qui les recouvrent en l’état, les besoins financiers sont massifs. Or les fonds destinés à protéger ces espaces ont encore du mal à affluer.

Un engagement avait notamment été pris en 2009 par les pays industrialisés à Copenhague de mobiliser 100 milliards de dollars par an pour aider les pays en développement à lutter contre le changement climatique. Un chiffre devenu symbole de « justice climatique » pour les pays en développement. Mais, pour l’heure, « ces milliards n’ont jamais été décaissés », nous fait remarquer Denis Sassou-Nguesso lors d’un entretien au palais présidentiel le 29 octobre 2023.

Des initiatives africaines ont aussi vu le jour. Le Fonds Bleu pour le bassin du Congo, créé par le président congolais lui-même, est un autre outil financier mis en place à cette fin. Signé en mars 2017 au Congo-Brazzaville par douze pays de la sous-région, le fonds était censé être alimenté à hauteur de 100 millions d’euros chaque année par les pays signataires et des partenaires internationaux. Un financement resté, là encore, à l’état de promesse.

De l’argent, il y en a, mais trop peu. Entre 2008 et 2017, le bassin du Congo n’a reçu que 11% des financements climatiques destinés à la protection des forêts des zones tropicales. Le reste fut alloué à l’Amazonie et aux forêts d’Asie du Sud. À eux le buzz et les caméras, à eux les subsides : les plus visibles sont les mieux servis. Le bassin du Congo, jusqu’ici relativement bien préservé, n’a pas la notoriété mondiale de l’Amazonie à la déforestation galopante ni les images anxiogènes de la forêt indonésienne dévorée par les flammes8 ; il est donc le parent pauvre de ces financements.

Il existe toutefois une alternative. À l’ère du « siècle vert » comme l’appelle Régis Debray9, les crédits-carbone sont devenus la « monnaie » de la décarbonisation globale de l’économie. Ces nouvelles stars de l’économie verte permettraient de monétiser le carbone séquestré et de tirer des revenus substantiels de la préservation des forêts. Le bassin du Congo et les tourbières qui s’y trouvent, véritables coffres-forts de carbone, pourraient alors se transformer en aubaine économique. Pour une fois, l’herbe n’est pas plus verte ailleurs.

La crédits-carbone pour sauver la forêt

Depuis les années 2000, les crédits-carbone sont devenus une piste incontournable pour pallier la quantité d’émissions de gaz à effet de serre émise par les sociétés humaines. Un crédit-carbone correspond à une tonne d’émission de CO2 non émise10. À l’heure où de plus en plus d’entreprises cherchent à « verdir » leur image, ce mécanisme leur permet de financer des projets d’évitement ou de séquestration du carbone pour contrebalancer leurs émissions.

Avec les crédits-carbone, des projets de conservation forestière et de reforestation appelée REDD+11 fleurissent un peu partout sur le globe. Ils sont dirigés par des ONG, des organisations publiques ou parfois par des entreprises privées. Ils se développent là où la forêt recule le plus : dans les pays en développement.

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Sur le papier, l’idée est séduisante. Chacun y trouve son compte. Les pays du Sud sont en mesure de financer des projets de développement durable, comme la préservation des forêts, tandis que les industries du Nord ont l’opportunité de réduire l’empreinte de leurs émissions de gaz à effet de serre.

Le marché des crédits-carbone est encore balbutiant, mais il est promis à de beaux lendemains. En 2021, les transactions ont tutoyé le milliard de dollars, selon l’ONG Forest Trends. Compte tenu des tendances, une étude de McKinsey prévoit que la demande mondiale en crédits-carbone volontaires sera multipliée par 15 d’ici 2030, et par 100 d’ici 205012. Une façon de répondre aux objectifs de l’Accord de Paris à horizon 2050. Et de laver un peu, au passage, la culpabilité des pays du Nord ?

Les mécanismes de compensation carbone : un marché contesté

Mais pour l’heure, les acquéreurs sont encore rares. On estime que l’Afrique ne génère que 2% de son potentiel annuel maximal de crédits-carbone13. Il faut dire que ces derniers font l’objet de controverses. On les compare aux indulgences de l’Église catholique : de même que cette dernière a pu promettre l’absolution des péchés à ses fidèles qui mettaient la main au porte-monnaie, ces crédits permettraient aux entreprises de s’acheter une bonne conscience écologique sans avoir à changer de modèle économique.

Les plus sceptiques doutent même de l’efficacité de ce mécanisme. En janvier 2023, une enquête menée par des journalistes du Guardian et de Die Zeita entaché la réputation de ce marché et fait du crédit-carbone une arnaque à la tonne. L’étude affirme que 90% des crédits-carbone du programme de protection des forêts tropicales de l’ONG américaine Verra (soit 40% des crédits vendus dans le monde) n’avaient pas d’impact significatif sur le climat.

Enfin, le « marché carbone », sur lequel les entreprises achètent des crédits, est opaque et hétérogène. C’est même « un véritable Far West » s’offusque la ministre de l’Environnement du Congo-Brazzaville, Arlette Soudan-Nonault14. S’il peine tant à se structurer, c’est qu’il fait l’objet de visions diamétralement opposées. D’un côté, il y a le marché « volontaire », contrôlé par des courtiers, largement rejeté par les pays forestiers détenteurs de carbone. En cause : la volatilité des prix, qui peut varier de quelques dollars par tonne d’équivalent-CO2 à plus de 110 dollars selon le type de projet et la région dans laquelle il se trouve. En Afrique, les entreprises polluantes imposent des prix modiques, oscillant parfois entre 3 et 10 dollars, insuffisants pour financer les efforts de préservation des massifs forestiers.

En lieu et place du marché volontaire, les États africains soutiennent la mise en place d’un marché de crédits-carbone dit « souverain », mieux régulé et à même de répondre aux attentes de développement des pays forestiers. Un « prix plancher » pour les crédits-carbone pallierait la fragmentation du marché15. Au Congo-Brazzaville, l’accès à un marché souverain du carbone pourrait, selon la ministre Arlette Soudan-Nonault, contribuer à augmenter le PIB de plus de 30 %, permettant dès lors de financer la transition énergétique et la création d’emplois durables. Cette perspective suscite de grands espoirs. Le Congo-Brazzaville deviendrait-il le prochain Danemark ? Pour l’heure, le pays broie du vert : cela ne reste que pure conjecture.

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  1. Nation unie, « Préserver les forêts du bassin du Congo pour sauvegarder l’absorption de 750 millions de tonnes de CO2 par an », ONU Info, 24 septembre 2019.

  2. Global Forest Watch, « La perte de forêts primaires tropicales s’est aggravée en 2022, malgré les engagements internationaux visant à mettre fin à la déforestation », GFW, 27 juin 2023.

  3. Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), La situation des forêts du monde 2020. Forêts, biodiversité et activité humaine, Rome, 2020, p. 13.

  4. Greta C. Dargie et al., « Age, extent and carbon storage of the central Congo Basin peatland complex », Nature, vol. 542, 2017, pp. 86–90.

  5. La déforestation mondiale a augmenté de 4 % en 2022 par rapport à 2021, selon le rapport de l’ONG Forest DeclarationAssessment,« Off track and fallingbehind », 23 octobre 2023.

  6. En l’absence des présidents brésilien et indonésien, le Sommet s’est déroulé essentiellement entre représentants du bassin du Congo.

  7. Le Monde, « Le bassin du Congo, deuxième puits de carbone du monde, entre préservation et exploitation », 29 octobre 2021.

  8. De vastes brasiers avaient eu lieu à Sumatra en 2015 et 2019 et à Bornéo en 2017.

  9. Régis Debray, Le Siècle vert, un changement de civilisation, Gallimard, coll. « Tracts », Paris, 2020.

  10. Cette unité a été créé dans le cadre du protocole de Kyotoentré en vigueur en 2005, qui contraignait les signataires à limiter leur production de gaz à effet de serre.

  11. Le mécanisme REDD+ (Réduction des Émissions dues à la Déforestation et à la Dégradation forestière) fait partie de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques.

  12. Christopher Blaufelder et al., « A blueprint for scaling voluntary carbon markets to meet the climate challenge », McKinsey, 29 janvier 2021.

  13. Africa Carbon Markets Initiative, « Tirer parti des marchés carbone en Afrique », ACMI, novembre 2022, p. 15.

  14. Intervention d’Arlette Soudan-Nonault au sommet des Trois bassins à Brazzaville le 28 octobre 2023.

  15. Selon un rapport de la Commission Stern/Stiglitz, publié à Berlin dans le cadre du Sommet Think20 en 2017, le corridor de prix minimum pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat serait de 50 à 100 dollars la tonne.

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À propos de l’auteur
Catherine Van Offelen

Catherine Van Offelen

Consultante en sécurité internationale, spécialiste des questions de sécurité et de terrorisme au Sahel et en Afrique de l’Ouest.

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