La diplomatie russe d’hier, pour servir aux temps présents

23 octobre 2020

Temps de lecture : 4 minutes

Photo : Le ministre turc des affaires étrangères Mevlut Cavusoglu (à gauche), le ministre russe des affaires étrangères Sergei Lavrov et le ministre de la défense Sergei Shoigu (de gauche à droite) lors de la conférence de presse qui a suivi la rencontre entre le président russe Vladimir Poutine et le président turc Recep Tayyip Erdogan au Kremlin de Moscou en mars 2020 (c) Sipa SIPAUSA30205983_000040

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La diplomatie russe d’hier, pour servir aux temps présents

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La Russie est redevenue un acteur incontournable dans les équilibres mondiaux. Si des régimes politiques profondément différents s’y sont succédés au XXe siècle, la conception russe de la géopolitique revêt une incontestable permanence depuis les Czars. Deux ouvrages récents permettent de comprendre cette conception géopolitique et sa traduction dans le gouvernement.

En 2014, sous l’auspice des troubles en Ukraine, Vladimir Poutine permit le retour de la Crimée à la Russie. L’événement pris le monde de court. Pourtant, déjà en 1783, grâce à Catherine II, la Crimée était intégrée à cette même Russie. Sergeï Lavrov, perpétuel ministre des Affaires étrangères de Vladimir Poutine déclarait alors : « La Crimée a beaucoup plus d’importance pour la Russie que n’en ont les Malouines pour le Royaume-Uni ». 

Celui qui ignore lhistoire est bel et bien condamné à la subir de nouveau. Le professeur Anna Gnedina-Moretti, d’origine russe, par son ouvrage Catherine II, nous en met à l’abri. Comprendre l’histoire sur le temps long, à travers la vie et l’œuvre de l’une des plus célèbres impératrices est chose fondamentale, passionnante même, grâce au présent ouvrage. Pourquoi Catherine II entre-t-elle en contact avec Pasquale Paoli, Corse des Lumières, si ce n’est pour résoudre le problème qui s’est imposé à tous les dirigeants russes, aujourd’hui encore : Comment donner à la Russie un accès et des ports dans les mers chaudes ?

Alors que les relations entre Russie et la Turquie connaissent des tensions notables aujourd’hui, il est, là encore, difficile de ne pas voir l’ombre de l’impératrice sur le Kremlin. Si les aspects diplomatique et géopolitique nous intéressent pour des raisons évidentes, la politique intérieure de l’impératrice n’est pas oubliée, bien au contraire. Dans cet ouvrage érudit, mais accessible à tous, Anna Gnedina-Moretti, nous dévoile une Catherine II réformatrice et législatrice, dont le dessein est de moderniser un empire féodal, et par nombre d’aspects encore archaïque. Ça sera le grand projet du Nakaz, code de lois dont un quart est rédigé par Catherine en personne, et destinée à révolutionner l’empire des Czars. C’est le triomphe des Lumières, qui louent son action. Mais réformer un si vaste empire est peut-être plus compliqué que d’en triompher d’un autre. L’histoire, encore une fois, se répète. Qu’il s’agisse de l’Empire russe, de l’URSS, ou de la Fédération de Russie, réformer a toujours été à la fois une impérieuse nécessité mais aussi un danger potentiellement fatal. Les réformes de la Grande Catherine se heurtent à la réalité du terrain et n’aboutèrent pas aux résultats espérés. Pour vaincre les défis intérieurs comme extérieurs, il faut s’entourer de gens de valeur. Si Anna Gnedina-Moretti a quitté sa Russie natale, au moment de ses études, pour s’installer en Corse, à l’inverse, des Corses ont quitté l’ile pour servir la Russie. C’est le cas de Carlo Andrea Pozzo di Borgo. Cousin de Napoléon, noble, quoique pauvre, il fut élevé dans la Casa Bonaparte par Laetizia. Si son cousin ressuscita l’empire romain sous les plis du drapeau tricolore, lui, deviendra selon Marx « le plus grand diplomate russe de tous les temps ». 

A lire aussi : Livre – Pierre le Grand. La Russie et le monde

Pozzo di Borgo : la diplomatie russe face à Napoléon.

C’est là que Michel Vergé-Franceschi, professeur émérite et auteur d’un grand nombre d’ouvrages qui font autorité, nous instruit avec son livre Pozzo di Borgo, l’ennemi juré de napoléon. Cet ouvrage, préfacé par Jean Tulard et récompensé par le Prix du Premier Empire, complète merveilleusement le précédent. Si Pozzo di Borgo ne fut pas le seul Corse au service des Czars, il en sera incontestablement le plus illustre. Disciple, comme Napoléon, de Paoli dans sa jeunesse, son action fut décisive dans les équilibres européens d’alors. Pour Balzac, Pozzo di Borgo est « un géant ». Et pour cause, il devient un proche conseillé du Czar, et marcha derrière lui lors de son entrée à Paris. Son rôle sera loin d’être celui dun spectateur et Napoléon le sait, lui qui dira à Las Cases : « En conseillant à Alexandre de marcher sur Paris, Pozzo di Borgo a, par ce seul fait, décidé des destinées de la France, de celles de la civilisation européenne, de la face et du sort de monde. » LEmpereur déchu précise : « Les Alliés, épouvantés de leur situation, agitaient de se mettre en retraite lorsque M. Pozzo di Borgo ouvrit lavis de marcher à linstant même sur Paris. Il en fut cru ; les Alliés furent sauvés, et mes espérances anéanties. » Sa vie fut une épopée européenne durant laquelle il côtoya lensemble des puissants auxquels il appartient. Il fut fait comte russe et devient, sans avoir la nationalité russe, ambassadeur du Czar à Paris, avant d’être envoyé aux côtés de la reine Victoria. Cest encore lui, partisan convaincu des Bourbons, qui part chercher Louis XVIII à Londres, en 1814, car proche de ce dernier quil a rencontré en 1804, à Mittau, et sur lequel il avait fait grande impression. À travers la vie de ce Corse célèbre, le Professeur Vergé-Franceschi nous révèle les grands bouleversements géopolitiques d’un des siècles les plus mouvementés et passionnants de notre histoire.

Les professeurs Vergé-Franceschi et Gnedina-Moretti nous offrent là deux ouvrages que tout passionné de géopolitique et d’histoire en général, de la Russie en particulier, sera heureux de compter dans sa bibliothèque.  

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Photo : Le ministre turc des affaires étrangères Mevlut Cavusoglu (à gauche), le ministre russe des affaires étrangères Sergei Lavrov et le ministre de la défense Sergei Shoigu (de gauche à droite) lors de la conférence de presse qui a suivi la rencontre entre le président russe Vladimir Poutine et le président turc Recep Tayyip Erdogan au Kremlin de Moscou en mars 2020 (c) Sipa SIPAUSA30205983_000040

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À propos de l’auteur
Antoine-Baptiste Filippi

Antoine-Baptiste Filippi

Diplômé de SciencesPo Paris et étudiant en droit à la Sorbonne

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