Peuple nombreux et sans Etat, les Kurdes habitent un territoire éminemment stratégique à cheval entre la Turquie, l’Irak, la Syrie et l’Iran. Leurs continuelles revendications à l’autodétermination trouvent un semblant de matérialisation dans le gouvernement autonome d’Erbil en Iraq. Tour à tour courtisée et abandonnée, parfois assaillie par les puissances du Moyen-Orient, la diplomatie du Kurdistan iraqien cherchent des relais à l’international pour échapper à ce carcan régional et infuser son soft power.
Introduction : Une première approche des acteurs non étatiques nécessaire à la reconnaissance internationale
La globalisation du monde fut certainement la clé de survie pour les Kurdes d’Irak. Dès 1961 le général Barzani[1]se préoccupe de faire connaître la Question kurde à l’opinion publique via la presse internationale. C’est la raison pour laquelle des journalistes se trouvaient sur les lieux durant l’exode de 1988, à la suite du massacre d’Anfal. Leur présence permit en 1991 l’intervention occidentale qui assura la zone de protection du territoire du Kurdistan irakien en devenir.
Aussi, l’une des missions principales des représentants kurdes à l’étranger était d’approcher les organisations humanitaires et les médias dans le but de trouver des soutiens. Les ONG humanitaires s’emparent alors de la Question kurde (leur intervention est permise par la Résolution 688 de 1991). De nouveau, les ONG reviennent en nombre lors des exactions commises par Daesh.
Dans une volonté d’être considérés comme des acteurs politiques crédibles auprès de la communauté internationale, le PDK[2] et l’UPK[3] sont accueillis par la gauche européenne. Grâce à la présence des partis kurdes aux Congrès des Partis socialistes, la Question kurde est introduite dans les débats. Cette place accordée aux Kurdes a permis un travail de lobbying au Parlement européen. Enfin, l’accueil des minorités religieuses (yesidis, kakaïs et chrétiens) sur le territoire ouvre à Erbil d’autres formes de soutien. Massoud Barzani, président du GRK[4] sera reçu deux fois (en 2015 et 2018) par le Pape François, afin de le remercier d’avoir accueilli les camps de réfugiés chrétiens.
1. La diplomatie régionale d’Erbil : à la recherche d’intérêts réciproques
1.1. La relation Bagdad-Erbil : émergence d’une diplomatie entre pouvoir central et région fédérée
Les rapports de forces entre Bagdad, capitale de l’État fédéral, et Erbil, capitale de la Région autonome du GRK, sont biaisés. Paradoxalement, Erbil se développe économiquement et militairement sans l’aide irakienne. Les diplomaties de chacune des capitales sont totalement distinctes malgré l’origine kurde de chacun des deux ministres des Affaires étrangères. Or, en 2007, des conflits d’interprétation de la Constitution apparaissent lorsqu’Erbil se fonde sur celle-ci pour faire ses propres contrats pétroliers (avec des entreprises telles que Chevron, Total, Exon-mobil, Gazprom). La relation s’envenime entre les Kurdes et le Premier ministre Al-Maliki, accusé de ne pas résoudre le dilemme Kirkouk[5] et de sanctionner la Région en la privant des 17 % du budget national. Rien ne s’arrange quand, en 2014, l’État islamique met en silence Bagdad. Erbil en profite pour s’affranchir des taxes irakiennes et continuer d’exporter son pétrole et celui de Kirkouk. À la suite du référendum réputé illégal, Bagdad impose des sanctions telles que la fermeture de l’aéroport d’Erbil et la récupération de Kirkouk. En 2018, avec l’aide américaine et l’arrivée au pouvoir d’Abdel Mahdi, il était prévu que les exportations pétrolières du GRK (250 000 barils de pétrole par jour) passent par la compagnie irakienne State Oil Marketing Company en échange de 12% du budget national et de la rémunération des fonctionnaires du GRK. Toutefois dès l’été 2019, les premiers différends réapparaissent, Bagdad paye les salaires des fonctionnaires, mais ne verse pas la part kurde.
Lors d’une conférence de presse fin août 2020, M. Barzani communique sur ses relations actuelles avec le gouvernement de Bagdad : « Malheureusement, après l’approbation de la Constitution en 2005, le peuple de la région du Kurdistan n’a pas senti que le gouvernement fédéral de Bagdad était attaché à la Constitution comme il le fallait, de sorte que tous les problèmes auxquels nous sommes témoins aujourd’hui sont le résultat de l’absence d’application de la Constitution ».
1.2. La persistance d’un ascendant turc sur le Kurdistan irakien
La Turquie représentait une terre d’asile pour les Kurdes d’Irak. En 1991 les bureaux de représentation des partis du PDK et de l’UPK leur permettaient d’entrer en contact avec les autres ambassades occidentales. En 2008, lorsqu’un accord indique clairement le départ des troupes américaines[6], Erbil cherche de nouvelles alliances pour se prémunir contre Bagdad. Ainsi un rapprochement s’effectue entre Erbil et Ankara, dans un contexte où la Turquie cherchait à contrer l’influence croissante des chiites. Ankara ouvre un consulat à Erbil et M. Barzani est reçu en Turquie comme le président du Kurdistan fédéré. Les investissements turcs dans la Région deviennent plus importants que ceux de Bagdad (la part turque dans le système économique du GRK s’élève à 70 %). À cela s’ajoute la mainmise de la Turquie sur le pétrole d’un Kurdistan irakien dépourvu d’accès à la mer. Ainsi, malgré une certaine hostilité envers les Kurdes, Ankara laisse transiter les camions de pétrole. D’un côté, elle signe en septembre 2010 avec l’Irak un accord pour la construction de l’oléoduc Kirkouk-Ceyhan en assurant qu’aucune importation de pétrole ne se fera sans l’aval du Gouvernement central ; de l’autre, elle annonce la construction d’un oléoduc qui relie le gisement de Tak Tak de sa société Genel Energy à l’oléoduc Kirkouk-Ceyhan (ce qui permet d’expliquer la suspension des salaires des fonctionnaires kurdes par Bagdad). En 2020 la quasi-totalité de la production pétrolière kurde part vers la Turquie, passerelle physique et culturelle entre l’Asie et l’Europe.
Forte de ce lien, une nette dépendance se crée. Elle permet à l’administration Erdogan d’instrumentaliser le PDK pour affaiblir le PKK[7]. M. Barzani donne les positions des camps du PKK et laisse l’armée turque intervenir militairement sur son territoire. Pour autant, Ankara continue de s’opposer vivement au référendum d’indépendance[8]. Le 25 septembre 2017 au soir, Erdogan parle de « trahison », réitère des menaces, pour enfin qualifier le referendum de « grave erreur ». Tenu par la bourse, M. Barzani rassure le président turc par le caractère « indicatif » du referendum. À partir de 2017, le GRK réalise pleinement le risque de menace que représente la Turquie : elle a soutenu l’Iran sur le dossier Kirkouk, et multiplie les attaques contre le PKK sur le sol kurde irakien.
En juin 2020, la Turquie va encore plus loin et annonce de nouvelles opérations contre le PKK au Kurdistan irakien. Le 15 juin, l’armée turque attaque 81 sites des rebelles kurdes dans le cadre de l’opération « Claw-Eagle » et lance une seconde opération le 17 juin, « Claw-Tiger ». Le 25 juin, elle fait part du projet de construction de trois bases militaires dans le nord de l’Irak. L’Iran soutient les opérations turques en laissant Ankara tirer l’artillerie depuis son territoire. Toutefois ces opérations font réagir certains acteurs en faveur du GRK. La Ligue arabe condamne l’opération en se fondant sur la violation de l’espace souverain irakien. Des manifestants protestent contre les frappes aériennes dans la province de Duhok, mais également dans plusieurs pays d’Europe.
Ces intrusions armées sont un moyen de faire pression sur le gouvernement kurde. La puissance de nuisance dont fait preuve Ankara s’utilise de manière systématique, mais mesurée afin de déplacer la ligne rouge sans pour autant déclencher la guerre. Ainsi la Turquie se sert de la lutte contre le PKK pour avoir des bases (pour certaines sans aucune légalité) dans la Région autonome. Barzani mène une politique de court terme avec la Turquie. Ces relations étroites lui permettent d’être reconnu et respecté comme partenaire commercial. Cependant Ankara a conscience que l’économie kurde dépend de la sienne et qu’elle dispose d’outils de pression que même Bagdad ne possède pas.
1.3. La présence de Téhéran sur le territoire du GRK
Historiquement, l’UPK se trouvait tributaire de l’Iran pour un approvisionnement en vivres et en armes lors de la guerre civile contre le PDK. Aussi, l’Iran se servit de cette alliance pour la répression armée des autonomistes kurdes iraniens. Téhéran apprend à composer avec le PDK et la capitale kurde devient rapidement le supermarché des consommateurs iraniens. Ils y trouvent les produits manufacturés devenus rares en Iran. Durant les différents salons à Erbil, quelques centaines de sociétés iraniennes se réunissent afin de présenter les dernières avancées technologiques, scientifiques et électroniques. En février 2015, le Kurdistan irakien signe un protocole d’entente avec l’Iran pour l’exportation de gaz et d’essence, ce dernier représentant l’un des principaux exportateurs de pétrole raffiné.
Néanmoins, après avoir fermé son espace aérien au Kurdistan irakien suite au référendum en septembre 2017, Téhéran interdit temporairement le transport de produits pétroliers depuis cette Région. C’est seulement après consultation de Bagdad que les frontières sont rouvertes en janvier 2018. Les échanges reprennent et les relations économiques s’intensifient avec le projet de créer une zone de commerce de libre-échange à la frontière entre Baneh et Marivan.
La grande limite du lien politique entre Téhéran et le PDK s’illustre en 2017. Les Gardiens de la Révolution sous la direction du Général Quassem Soleimani (garant de la sécurité de la ville de Kirkuk face à la menace de l’État islamique), laissèrent l’armée irakienne reprendre le contrôle de Kirkouk à la suite d’une entente tacite passée entre Bagdad, l’UPK et Téhéran. De plus, l’Iran continue de combattre les Kurdes iraniens sur le territoire du GRK. En septembre 2018, des coups de feu sont tirés sur des locaux du PDK. Officiellement, il s’agit d’une lutte contre les militants indépendantistes kurdes iraniens. À nouveau en juillet 2019, les Gardiens de la Révolution reconnaissent publiquement les bombardements sur ce qu’ils considèrent comme les bases arrière des mouvements d’opposition kurdes iraniens, au milieu des montagnes du Kurdistan d’Irak. Si les autorités du GRK condamnent encore ces attaques, aucune riposte armée ne s’organise. Le 8 janvier 2020, c’est la base américaine d’Erbil qui fait l’objet d’une frappe iranienne pour venger le général Soleimani. Cette dernière rappelle la position complexe du GRK dans l’affrontement irano-américain. Si Erbil a nettement fait le choix historique des États-Unis, rien n’est jamais manichéen et l’Iran reste le deuxième partenaire commercial de la Région. Il est donc difficile pour le Kurdistan irakien de respecter l’ensemble des sanctions américaines contre l’Iran.
1.4. Les autres acteurs moyen-orientaux de la diplomatie d’Erbil
Damas établit un lien avec le PDK, sous la politique d’Hafez Al-Assad dans un but de jeu d’alliances stratégiques, mais la relation se dissipe et finit par s’éteindre en 2011.
Les Kurdes de Syrie sont longtemps restés sous la dépendance du PDK jusqu’à ce que le PYD[9] acquière une crédibilité politique. Du fait du succès de son autonomie et de l’accueil massif des réfugiés kurdes syriens sur son territoire, le GRK se considère suffisamment légitime pour participer au développement du Rojava. En 2013, le PDK formait militairement des centaines de jeunes kurdes de Syrie. Officiellement, la relation des deux partis se caractérise par la solidarité sans faille face à la barbarie de l’État islamique. Dans les faits, le PYD se rapproche davantage du PKK. Toutefois, le Conseil National kurde de Syrie, parti très proche de M. Barzani, représente la majorité de la classe moyenne kurde en Syrie, mais celui-ci n’est que sans grand impact sur le terrain. Au lendemain de la guerre contre l’État islamique, ce sont les États-Unis qui maintiennent ces relations par le biais d’accords [10].
Dans le reste de la région du Moyen-Orient, Erbil tisse des liens avec de nombreuses autres capitales où se trouvent des bureaux de représentations tels que le Caire, Amman, Beyrouth, Abou Dabi[11] ou encore avec Riyad pour qui le GRK représente un rempart au développement chiite.
A lire aussi : Kurdistan, un peuple au milieu de l’histoire
2. L’élargissement des relations diplomatiques aux puissances occidentales
2.1. La perception américaine de la dépendance d’Erbil
Le lien s’illustre quand, en 2001, les États-Unis font suffisamment confiance pour prévenir les Kurdes de leur volonté de renverser le régime irakien afin qu’ils s’y préparent. Le 27 mars 2003, des centaines de parachutistes américains débarquent près d’Erbil. Dès le début de l’invasion de l’Irak, les Kurdes sont intégrés comme un allié et deviendront par la suite l’interlocuteur stratégiquement placé dans la région. Pour certains formés aux États-Unis, ils furent placés dans l’administration provisoire de l’Irak aux côtés des conseillers américains pro kurde tels que Jay Garner et colonel Naab.
La société pétrolière et gazière américaine Exxon Mobil devient en 2015 le plus grand exportateur en volume, suivie de près par d’autres grands groupes américains. En revanche, on constate un manque notable d’investissements américains dans d’autres secteurs économiques. Sur un plan militaire, l’armée américaine est positionnée près d’Erbil depuis 2003. En septembre 2014, les États-Unis prennent l’initiative de monter la Coalition internationale contre Daesh travaillant de concert avec les Peshmergas. Ces derniers deviennent rapidement dépendants des armes et de la formation de l’armée américaine.
Le GRK dispose d’un bureau de représentation diplomatique aux États-Unis et l’on trouve un important consulat américain à Erbil. Les dirigeants ne se sont pas étrangers, Masoud Barzani rencontre Barack Obama au début de la guerre contre l’État islamique, plus récemment en janvier 2020, Nerchivan Barzani rencontre Donald Trump au sommet de Davos.
Avant le 25 septembre 2017, il était possible de croire à une politique ambiguë à l’égard des Kurdes, puisque les États-Unis ont permis le processus d’autonomisation de la Région. Cependant les États-Unis sont clairs et considèrent que l’État naissant serait difficilement indépendant économiquement sans une aide américaine. De manière générale, les politiciens américains sont opposés à l’indépendance du Kurdistan irakien, craignant que l’éclatement de l’Irak ne torpille la sécurité de la Turquie et ne provoque un conflit armé avec l’Iran. Les intérêts primordiaux de Washington résident dans la stabilité de l’Irak permettant un acheminement serein du pétrole. Le positionnement géographique de la Région autonome (800 km de frontières avec l’Iran) la rend très sensible au conflit américano-iranien. Ceci explique les nombreuses visites des officiels Américains à Erbil et Bagdad notamment pour proposer une nouvelle équation de sécurité pour la ville de Kirkouk.
2.2. La relation avec Israël, une amitié taboue
Massoud Barzani n’est pas étranger aux autorités israéliennes. Dans le passé, il fit sortir clandestinement des Juifs irakiens à l’extérieur du pays. Il existait également des liens dans le domaine du renseignement : avant 1990, les services secrets israéliens étaient présents sur le territoire du Kurdistan irakien, via des anciens soldats des forces spéciales de l’État hébreu envoyés pour former des unités kurdes.
Israël est le seul pays à avoir soutenu le référendum, Erbil et Tel-Aviv partagent des périodes de persécutions, d’exodes, un lien fort avec les États-Unis, une volonté de prendre possession d’une terre qu’ils considèrent comme la leur et des voisins qui leur sont hostiles. Fort de cette affinité, le Kurdistan irakien est surtout riche en pétrole. En 2017, Israël fut le principal acheteur de pétrole brut kurde. Elle justifie ces échanges par le soutien à la lutte contre l’État islamique. Cependant, la société de raffinerie Paz ainsi que le ministre de l’Énergie israélien ne souhaitent pas communiquer sur les chiffres concernant le pétrole kurde. Ce dernier est expédié du port turc de Ceyhan en Méditerranée permettant au président Erdogan d’avoir une emprise sur ces échanges.
Dans les faits, la relation entre les deux capitales contestées n’est pas toujours celle qu’Erbil souhaiterait. Le GRK attendait un réel soutien israélien lorsque l’armée irakienne reprit les territoires contestés en 2017. Aujourd’hui il est dit qu’Israël pourrait pallier le retrait américain dans le domaine de la formation des peshmergas. Néanmoins, aucune preuve ne l’atteste.
2.3. Les relations avec le Royaume-Uni entretenues par la diaspora kurde et les compagnies pétrolières
Sous mandat britannique le Royaume-Uni a tout particulièrement contribué au développement du secteur pétrolier du Kurdistan irakien. Les liens sont forts entre les hommes de pouvoir kurdes et britanniques. À titre d’exemple, ces rapports conduisent, en 2006, la famille Barzani à placer le Kurde Hawrami, propriétaire et directeur d’une société d’ingénierie et de services de la société britannique Duke Energy Corp, au ministère des Richesses naturelles. Ainsi les compagnies pétrolières britanniques sont très présentes et le Royaume-Uni cherche à y protéger ses intérêts : en 2014, il s’enrôle dans la Coalition anti-Daesh, et s’engage à fournir une aide humanitaire une fois le conflit terminé.
Londres s’essaie également à la médiation, le 18 septembre 2017, le ministre de la Défense se rend à Bagdad puis à Erbil afin de tenter de convaincre le Président kurde de renoncer à son référendum. De son côté, M. Johnson encourage le Premier ministre irakien, Haider al-Abadi, à lever le blocus sur l’aéroport d’Erbil.
La diaspora kurde en Angleterre s’implante dans les sphères sociales, politique et économique. Le Royaume-Uni fait état d’environ 11 200 Kurdes d’Irak sur son territoire. Économiquement, il est possible de trouver des collaborations d’entrepreneurs kurdes (tel que Kurdish House London). Des manifestations culturelles sont également très développées et de nombreuses associations kurdes renseignent sur des questions liées à l’immigration comme le logement, le travail, l’éducation et la langue. Certaines font un travail de sensibilisation à la situation du Kurdistan irakien en suscitant notamment l’intérêt de parlementaires, journalistes et chercheurs. Enfin les pratiques de lobbying en Grande-Bretagne sont le reflet de la politique diasporique. Deux Kurdes britanniques, investis dans la cause de leur communauté, ont été élus aux élections législatives : le travailliste Feryal Clark et le député et ministre des Affaires et de l’Industrie, Nadhim Zahawi.
2.4. La réactualisation française des relations historiques
En avril 1991, le président Mitterrand prend l’initiative de saisir le Conseil de Sécurité pour proposer un projet de résolution : l’intervention des Nations Unies afin de protéger les Kurdes de la répression menée par Saddam Hussein. Bernard Kouchner, secrétaire d’État à l’Action humanitaire, et Mme Mitterrand, surnommée « la mère des Kurdes », se battront également en faveur de la cause kurde en envoyant, par exemple, les premiers manuels scolaires dans le souci d’y poursuivre l’éducation.
La France contribue au développement de la Région par l’installation de quelques d’entreprises françaises (France Telecom, Lafarge, Total, Carrefour, Orange ou encore Lacoste depuis 2018). Cependant, les sociétés françaises montrent une certaine prudence, elles ont besoin de garanties bancaires et internationales.
La diplomatie française a toujours été pro-arabe, mais elle donne l’impression d’une exception kurde. Le Consulat de France fut l’un des premiers consulats étrangers à s’établir à Erbil. Le lien fut consolidé par le Président Hollande et poursuivi par Emmanuel Macron. Entouré de personnes témoignant d’une sensibilité pro-Kurde telles que Bernard Henri Levy, le président prend l’initiative de rompre l’embargo politique et diplomatique imposé à la Région du Kurdistan en 2017. Tout en restant clair sur son rejet du référendum, il reçoit le Premier ministre Nechirvan Barzani, le 2 décembre 2017. Il y avait une carte à jouer dans un contexte où les États tournaient le dos à Erbil, aussi vouloir l’unité de l’Irak n’exclut en rien un soutien diplomatique, militaire et financier. Toutefois, selon l’analyse du spécialiste de la Question kurde, Hamit Bozarslan, le président français vit une double déception dans ses aspirations au sein de la Région. En effet, il pensait pouvoir amener Erdogan sur un chemin plus pragmatique et l’inciter à pacifier ses actions envers les Kurdes. Il espérait également pouvoir entamer un dialogue avec l’Iran en se servant dans un premier temps de la Question kurde. Pour autant les rencontres diplomatiques continuent, Jean-Yves Le Drian se rend à Erbil en 2018 et en juillet 2020 afin de mettre en place les projets convenus : un réseau d’adduction d’eau pour Duhok et un soutien financier pour l’hôpital d’Halabja. Les visites s’intensifient avec le passage de la ministre des Armées le 27 août 2020, et celle du président Macron le 2 septembre 2020, toujours dans un but d’assurer la continuité du soutien de la Coalition anti-Daech, de rappeler l’implication de la France dans l’aide à l’accueil des réfugiés et des personnes déplacées, la médiation entre Erbil et Bagdad, la formation des Peshmergas ainsi que la lutte contre la Covid-19.
A écouter aussi : Médias : Les Kurdes face à l’offensive turque
3. Erbil conquit par les puissances asiatiques
3.1. Le GRK, séduit par le grand jeu russe
La Russie est un acteur incontournable pour les Kurdes de Syrie, elle l’est également pour ceux d’Irak. Elle établit son premier contact officiel avec le Gouvernement du Kurdistan irakien en 2007, à travers l’ouverture d’un consulat général. En 2012, malgré les sommations de Bagdad, le géant énergétique russe Gazprom signe un contrat d’exploration et de production gazier avec le GRK. La machine est lancée et l’année suivante, à Moscou, Massoud Barzani rencontre le président russe Vladimir Poutine et le PDG de Gazprom. En 2016, quand les temps sont durs pour le GRK, Rosneft signe un contrat d’une valeur de 2,1 milliards de dollars pour du gaz prépayé jusqu’en 2019. C’est un véritable sauvetage économique, cependant la Russie ne s’arrête pas là : M. Barzani se rend de nouveau au Forum de Saint-Pétersbourg en juin 2017, où trois nouveaux accords y seront signés. Le 18 septembre de la même année, une semaine avant la tenue du référendum, le GRK annonce le développement d’un projet de gazoduc prévu avec Rosneft. Celui-ci sera relié au réseau gazier turc et pourra exporter du gaz kurde vers l’Europe. Officiellement, la Russie se déclare neutre à l’égard du référendum sur l’indépendance. Cependant, ses différents contrats ont permis au Kurdistan irakien d’échapper à l’effondrement économique et de gagner suffisamment d’assurance pour poursuivre ce référendum le 25 septembre. De plus, cet investissement à haut risque ne représente toujours pas une affaire rentable pour la Russie. Pourtant ce contexte incertain n’empêche pas la « diplomate russe » Rosneft de continuer à conclure des accords avec le GRK (mai 2018). De fait, la compagnie gazière a joué un rôle central dans les pourparlers entre Erbil et Bagdad, notamment en relançant ses relations économiques avec Bagdad en 2019, mais également par la proposition de reprendre le gazoduc Kirkouk-Baniyas qui permettrait de contourner la Turquie et de passer par la Syrie pour atteindre la Méditerranée.
Le lien russo-kurde ne se limite pas aux relations gazières, il existe une importante communauté kurde émigrée en Russie permettant le développement de travaux culturels universitaires. Moscou représente également un soutien militaire, durant les combats contre l’État islamique, en dehors de la Coalition internationale menée par Washington. Enfin, dans un contexte où les entreprises occidentales se font plus petites au vu des problématiques sécuritaires, l’investissement russe continue de se développer et interroge sur la succession de l’emprise anglo-américaine.
3.2. Le lien commercial entre Pékin Erbil
Depuis une dizaine d’années, la Chine s’engage dans la conquête économique du Moyen-Orient et le Kurdistan d’Irak ne fait pas exception à la règle. Elle débute en 2009, par le rachat de la compagnie Suisse Addax Petroleum, très présente dans les champs pétroliers kurdes, par le géant chinois Sinopec. Satisfaite de ses rendements, la Chine continue d’investir dans le pétrole kurde via China National Petroleum Corporation et PetroChina. Globalement la présence chinoise à Erbil n’a que peu à voir avec la Question kurde, en revanche son implication traduit la crédibilité économique de la Région. S’inscrivant dans sa politique de non-ingérence, l’implication de Pékin au Kurdistan irakien s’est longtemps résumée aux accords pétroliers.
Dans le contexte de guerre contre l’État islamique, au moment où les grandes puissances ont les yeux rivés sur Erbil, Pékin ouvre un consulat général en décembre 2014, sans pour autant permettre l’installation d’un bureau de représentation du GRK. Mais la relation n’est pas encore régulière et en mars 2018, Barzani appelle la Chine à jouer un plus grand rôle dans le développement de son territoire. Tout en restant des relations limitées et superficielles, les rencontres se font plus fréquentes. L’Université de Pékin ouvre un département de langue kurde et vice-versa, un département de langue chinoise sera ouvert à l’Université Salahuddin à Erbil. La crise de la Covid-19 fournit à la Chine l’opportunité de s’imposer comme un partenaire providentiel par l’envoi d’une aide médicale.
[1] Un homme fort politique à la tête du mouvement autonomiste kurde
[2] Parti Démocratique du Kurdistan
[3] Union Patriotique du Kurdistan
[4] Gouvernement de la région du Kurdistan, créé par la Constitution irakienne de 2005.
[5] Ville disputée entre l’État islamique, Bagdad et Erbil, comportant 30% des ressources pétrolières mondiales.
[6] L’accord prévoyait le départ des troupes pour 2011.
[7] Parti des travailleurs du Kurdistan, considéré comme terroriste par la Turquie.
[8] Le référendum du 25 septembre 2017 illustre la volonté d’indépendance des Kurdes avec 92% de vote positif.
[9] Parti de l’union démocratique de Syrie.
[10] Un accord de principe est signé entre partis kurdes en juillet 2020.
[11] Les Émirats arabes unis apportent une conséquente aide médicale à la suite de la crise sanitaire.