<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> La désintégration de nos monnaies implique la disparition de nos libertés

21 novembre 2022

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La désintégration de nos monnaies implique la disparition de nos libertés

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La monnaie n’a pas qu’une fonction économique, elle est aussi l’instrument d’une politique et d’une vision de la société. Manipuler la monnaie, c’est réduire les libertés publiques. Dans le combat monétaire que se livrent les États-Unis et la Chine se joue donc aussi l’avenir politique de l’Europe.

Nous avons changé de monde et le monde « libre » ne mérite plus ce titre. Nos libertés sont en train d’expirer tout simplement parce que nos monnaies sont gérées par des criminels.

Je m’explique.

Une monnaie doit avoir trois fonctions :

Moyen d’échange.

Étalon de valeur.

Réserve de valeur.

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Commençons par la fonction « moyen d’échange »

La monnaie comme moyen d’échange est émise au nom du souverain, autrefois le roi et maintenant un peuple et cette monnaie a cours légal dans le pays. Pour détruire l’identité des peuples, « on » a supprimé le franc, monnaie de la France, par l’intermédiaire de laquelle le peuple français, en payant ses impôts, assurait la marche de son État. Or le rôle de l’État est de protéger contre toutes les attaques la pérennité de la nation et l’identité nationale. En abandonnant notre souveraineté monétaire et budgétaire, nous avons perdu notre identité nationale, car cette suppression du franc implique que la France est devenue une province soumise à la loi d’un souverain extérieur. Et nous en voyons les résultats tous les jours.

Première folie.

Venons-en à la monnaie comme étalon de valeur

Il est d’usage de mesurer la valeur des biens et services dans une économie en utilisant la monnaie qui a cours dans le pays où elle circule. Et c’est là qu’apparaît la première difficulté.

1/ Dans un pays, à chaque moment, coexistent deux sortes de biens, les premiers qu’il est convenu d’appeler « rares », un bijou, un Van Gogh, une once d’or, et ces biens ont une caractéristique commune, ils ne versent aucun dividende et ne peuvent être produits en masse. Cette valeur rareté est la plus ancienne des valeurs reconnues.

2/ Mais il existe aussi une deuxième catégorie de biens ou de services, les biens « efficaces » ou « productifs », un outil, un programme d’ordinateur, une machine-outil. De ces biens, leur propriétaire peut tirer des revenus. Peu de gens le savent, mais « capital » vient du mot latin ancien « tête de bétail » dont le propriétaire pouvait tirer des revenus (veaux, laitage, fromage, etc.). C’est donc dire que le capitalisme signifie avoir un capital pour en tirer des revenus, c’est-à-dire avoir des vaches, et il est donc à peu près aussi vieux que l’humanité.

La croissance économique ne vient que de l’accumulation au travers du temps de plus en plus d’« outils » (capital productif) qui permettront de faire monter le niveau de vie de chacun au travers des gains de productivité obtenue grâce à ce que les économistes appellent un approfondissement de l’intensité capitalistique, chaque travailleur ayant de plus en plus de capital à sa disposition.

Ce qui suppose qu’existe un processus systématique permettant de transformer l’épargne de chacun en capital productif(car tout le monde épargne, dans des proportions différentes cependant, selon les âges de la vie et les préférences personnelles) et cela se passe en fonction de ce que Schumpeter appelait la « création destructrice » qui requiert que l’épargne aille à celui qui saura l’utiliser le mieux et qu’elle soit enlevée à celui qui l’utilise mal. C’est très exactement ce que nous dit la parabole des talents dans les Évangiles.

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Capital et épargne

Quelques remarques sont nécessaires à ce point.

Sans épargne (si on mange les bovins cette année), il n’y aura ni fromage ni veaux pour passer l’hiver. Sans épargne, il ne peut y avoir d’accumulation capitalistique, et ceux qui disent le contraire en préconisant et en pratiquant l’euthanasie de l’épargnant chère à monsieur Keynes sont des menteurs.

Mais apparaissent aussi dans cette parabole trois autres notions absolument indispensables pour que l’accroissement de l’intensité capitalistique ait lieu.

Le droit de propriété. Aucun des deux bons serviteurs ne s’est voté des stock-options ou des salaires mirobolants et nulle puissance étatique n’est venue nationaliser les talents qui appartenaient au maître et à lui seul. La propriété individuelle est constamment défendue dans les Évangiles comme un absolu (paraboles de la vigne et des serviteurs, parabole des talents, parabole de la vigne et du fils du maître, etc.).

La prise de risque. Ce qui confirme le rôle éminent de l’entrepreneur (les deux bons serviteurs) dans les Évangiles. Celui qui ne prend pas de risque est toujours condamné (le mauvais serviteur), celui qui en a pris est toujours pardonné même s’il a fauté (la femme adultère, la Samaritaine à qui Jésus demande de l’eau, etc.).

La distribution inégale des résultats et des revenus, et je cite les paroles du Christ à la fin de la parabole : « À celui qui a, on donnera encore, et il sera dans l’abondance ; mais celui qui n’a rien se verra enlever même ce qu’il a. » Ces paroles ne sont rien d’autre que l’expression de la loi de Pareto dite des 80/20. 80 % de la richesse dans un pays est créée comme chacun le sait par 20 % des gens, les entrepreneurs… Et pour qu’une économie marche, il faut donc laisser tranquille les entrepreneurs.

Et pourtant, chacun à ce point remarquera que dans la réalité d’aujourd’hui, nous faisons exactement l’inverse. Il semble que le but de nos élites gouvernantes est d’abord de s’enrichir elles-mêmes sans prendre de risque tout en créant autant de réglementations qu’elles le peuvent pour empêcher les entrepreneurs d’émerger, car les entrepreneurs sont leur seule vraie concurrence. En fait, nos pays sont gouvernés par le mauvais serviteur. Et pour vraiment empêcher les entrepreneurs (les bons serviteurs) de réussir, le plus simple est de faire le contraire de ce que le Christ recommande, de prendre les talents de ceux qui réussissent pour les donner à ceux qui les enterrent. Ce qui résume assez bien nos systèmes fiscaux actuels et empêche bien sûr toute augmentation du stock de capital. Il faut donc se rendre compte que nos systèmes fiscaux et sociaux ont été créés de toutes pièces pour permettre à ceux qui ne prennent aucun risque (les hommes politiques, les passagers clandestins) de voler légalement la valeur ajoutée créée par ceux qui, eux, ont pris des risques, les entrepreneurs.

Deuxième folie.

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Venons-en à la troisième fonction, qui, elle aussi, est essentielle, celle de réserve de valeur.

Et ici, il nous faut faire encore une fois une distinction essentielle entre valeur de rareté et valeur d’efficacité.

La valeur de l’or (LA valeur de rareté par excellence) à l’instant T sera égale à son dernier prix, et c’est tout.

La valeur d’un outil, d’une usine, d’une société sera égale à la valeur actualisée des profits à venir, c’est-à-dire la somme des profits qui va être fournie par cet outil dans le futur, actualisée par un taux d’intérêt incorporant une prime de risque. La valeur d’efficacité incorpore donc la somme actualisée du travail futur qui va être fournie par les hommes avec cet outil. Et cette valeur actualisée s’exprimait dans une monnaie nationale qui réfléchissait non seulement les qualités et les défauts des différentes nations, mais aussi le stock de capital efficace que chaque nation avait accumulé et que reflétait l’évolution de son taux de change. Un taux de change fixe entre différentes nations ayant des stocks de capital différents amènera automatiquement à ce que tous les investissements nouveaux aillent vers la nation ayant la plus forte intensité capitalistique (et donc la plus forte productivité) et les autres pays feront faillite. C’est ce que nous voyons avec l’euro.

Que veut dire « actualisée » ?

Tout simplement que la valeur d’efficacité incorpore une tentative de faire rentrer le travail futur de ceux qui utiliseront cet outil dans la valeur assignée aujourd’hui à cet outil. Et pour la calculer, il faut que nous ayons des prix de marché pour les taux d’intérêt et les taux de change.

1/ Le taux d’intérêt s’essaie à mesurer l’incertitude venant du temps et du risque de faillite.

2/ Le taux de change lui s’attache à mesurer l’incertitude venant de la géographie.

Et bien entendu, ces deux outils doivent être des prix déterminés dans un marché concurrentiel et libre. Or nos banques centrales ont décidé de façon totalement antidémocratique de supprimer ces deux prix, tout simplement parce que ces deux prix étaient essentiels pour mesurer la qualité des politiques suivies par nos dirigeants. (Les pays mal gérés ont en effet une fâcheuse tendance à avoir des monnaies faibles et des taux d’intérêt élevés, ce qui est embarrassant pour notre inspection des finances.)

Troisième folie.

Et donc, aujourd’hui, et en particulier dans la zone euro, nous n’avons plus ni taux de change de marché ni taux d’intérêt de marché. Ce qui veut dire que nous sommes devenus totalement incapables d’incorporer dans nos calculs économiques aussi bien le risque géographique que le risque temporel. Et donc, la somme de capital imparti à chaque travailleur ne peut que baisser, ce qui veut dire que le niveau de vie des travailleurs va continuer de s’effondrer tant que ces politiques resteront en place.

Devant cet état d’appauvrissement généralisé qui risque d’amener à des révolutions ici ou là, les apprentis sorciers qui nous gouvernent ont pris une autre décision extraordinairement lourde de conséquences. Puisque la quantité de valeurs d’efficacité créée dans l’économie ne cessait de baisser (et ce bien avant la crise du Covid), ils ont décidé de remplacer les « valeurs d’efficacité » non créées par des masses gigantesques de création monétaire.

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Je vais donner un exemple simplifié de ce qu’ils sont en train de faire.

1/ Imaginons qu’un travailleur produise 1 000 euros de biens et services à partir d’un capital valorisé à 10 000 euros et imaginons que ce travailleur n’ait plus accès à ce capital en raison d’une pandémie par exemple.

2/ Imaginons ensuite que le secteur dans lequel notre travailleur exerce ses talents ait été complètement dynamité par la pandémie et que la valeur du capital employé passe de 10 000 à une somme très inférieure.

La Banque centrale va décider de verser au compte du travailleur 1 000 euros, alors même qu’il n’y a plus rien de produit en contrepartie et que le stock de capital « utile » s’est extraordinairement réduit compte tenu de la chute de la valeur du capital efficacité.

C’est-à-dire que la Banque centrale est en train de faire une erreur gigantesque en confondant création de valeur et création de monnaie.

Et c’est de cette confusion que sont nés la plupart des désastres économiques dans l’histoire quand l’absence de prix de marché pour les taux d’intérêt et les taux de change interdit de fait toute mesure de la valeur

Ce qui va arriver est certain puisque :

1/ Le travail ne vaut plus 1 000 euros. Maintenir son prix à 1 000 euros va automatiquement amener à une hausse gigantesque du chômage.

2/ Nul ne peut donner un prix au capital efficacité puisque nul ne connaît plus ni le prix du temps ni celui de l’espace. Et donc, puisque personne ne peut estimer la valeur du capital dont tout le monde sait cependant qu’elle a baissé, nul ne peut prendre le risque de le racheter pour en faire un autre usage, tel que faire des bicyclettes à la place des avions. Et donc la quantité de capital disponible va continuer de s’effondrer, ce qui rendra mon ouvrier encore moins productif et encore plus pauvre.

Toute l’épargne disponible va donc se précipiter vers les valeurs de rareté puisqu’elles, elles ont un vrai prix qui ne nécessite ni taux d’intérêt, ni taux de change, ni connaissance du futur.

Quatrième folie.

Et c’est ce qui se passe en France depuis l’arrivée de l’euro et ce que l’on voit en comparant les marchés des actions (outils) à la valeur de l’or (rareté).

Mais comparer le cours de l’or à l’indice des actions est un peu comme comparer un flux à un stock, c’est-à-dire effectuer une comparaison qui n’a aucun sens. La bonne méthode consiste à comparer le cours de l’or depuis au moins une décennie et l’indice des actions de dividendes réinvestis.

C’est ce que le graphique suivant montre. Dès que les taux réels sur dix ans deviennent négatifs (euthanasie du rentier), il faut acheter de l’or puisque la banque vous dit qu’elle veut que votre épargne aille vers les valeurs de rareté et non plus vers les valeurs d’efficacité.

C’est le cas aujourd’hui…

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Depuis l’arrivée de l’euro, l’or a fait trois fois mieux que les actions françaises de dividendes réinvestis, et ce n’est pas près de s’arrêter puisque la politique choisie a pour but d’empêcher l’épargne de se transformer en capital (euthanasie du rentier). L’épargne file donc vers les valeurs de rareté…

De ces deux prix (taux de change et taux d’intérêts) découlent en effet tous les prix de marché. Ce qui revient à dire que les économies de la zone euro ne sont plus dans une économie de marché, mais dans une économie purement étatique, un peu comme l’URSS. Et comme cette économie est bien incapable de créer la moindre richesse, les gouvernements essaient de créer de la monnaie pour compenser l’absence de création de richesse, ce qui signifie qu’ils confondent création de monnaie et création de richesse, comme John Law au xviiie siècle, ce qui est invraisemblable d’incompétence.

Cinquième folie.

La seule et unique solution est de revenir à des prix de marché pour les taux d’intérêt et les taux de change, ce qui suppose la fin de l’euro et l’abolition des banques centrales qui devraient être remplacées par des ordinateurs faisant croître la masse monétaire de 3 % par an, ce qui serait une très bonne chose. Les banques centrales sont en effet devenues les pires ennemies de la croissance économique tant elles ont comme seul et unique but aujourd’hui de financer des États en faillite en produisant de la fausse monnaie.

Il faut que la monnaie redevienne ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être, un bien commun à une nation, à un peuple, et non un outil pour manipuler les électeurs au profit d’une classe dirigeante. Il ne peut y avoir de démocratie si la monnaie n’est pas un bien commun.

Le chemin est étroit et dangereux, mais il n’y en a pas d’autres.

À propos de l’auteur
Charles Gave

Charles Gave

Économiste et financier, Charles Gave s’est fait connaitre du grand public en publiant un essai pamphlétaire en 2001 “ Des Lions menés par des ânes “(Éditions Robert Laffont) où il dénonçait l’Euro et ses fonctionnements monétaires. Son dernier ouvrage “Sire, surtout ne faites rien” aux Editions Jean-Cyrille Godefroy (2016) rassemble les meilleurs chroniques de l'IDL écrites ces dernières années. Il est fondateur et président de Gavekal Research (www.gavekal.com).

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