Dans des fables imprégnées de culture méditerranéenne, Bertrand d’Ortoli revient sur les grands enjeux de notre civilisation. Le combat pour la culture et la beauté, le travail sur la langue, véhicule de la pensée. Le style littéraire de la fable ouvre à une compréhension de l’homme et de sa cité.
Bertrand d’Ortoli est corse, issue d’une vieille famille de Sartène, cité dont il est le premier adjoint. Diplômé de la faculté de droit de Nice, il exerce la profession d’avocat au barreau de Nice depuis 1988. Me d’Ortoli est aussi l’un des fondateurs des Rencontres napoléoniennes de Sartène, incontournable rendez-vous universitaire estival depuis maintenant une décennie, dont Conflits est partenaire.
Propos recueillis par Mathilde Legris
Bertrand d’Ortoli, Fables du chêne, Hérodios, 2024.
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire des fables ?
Arrivé à un âge mûr, sans doute la perception très vive des défis existentiels auxquels notre civilisation est confrontée. À l’évidence, le délitement de notre culture, des valeurs fondatrices de notre société, mais aussi des désordres de la nature et la volonté de les combattre.
Tous ces maux, tels les cavaliers de l’apocalypse chevauchant ensemble, concourent à notre destruction.
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Qu’entendez-vous par délitement de la culture et désordre de la nature ?
La culture est l’essence même de toute civilisation. Elle en est son âme et son ciment.
La langue en est l’élément fondateur. Elle est le véhicule de la pensée ainsi que le dit Monsieur le Subjonctif dans l’Hommage à la langue, elle façonne notre vision du monde et nos rapports avec nos semblables.
Nous avons le privilège en France d’être les héritiers d’une langue d’une rare beauté dans son vocabulaire, dans ses sonorités, qui permet d’exprimer toutes les nuances de l’esprit humain.
L’écriture inclusive en est un danger mortel en ce qu’elle la rend incompréhensible et porte atteinte à son rôle premier de transmission de la pensée.
Les désordres de la nature sont le reflet de notre société, coupée de toute valeur spirituelle, gouvernée par l’individualisme et le profit immédiat qui entendent l’asservir à ses seules ambitions.
Il est temps d’engager une révolution humaniste, au sens premier de ce terme, en replaçant l’Homme et la nature au centre de la création, ainsi que cela a été le cas à la Renaissance.
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Elles sont le fruit d’une identité profondément ancrée dans la culture méditerranéenne, héritière de la Grèce, de Rome et de la civilisation judéo-chrétienne.
La Corse et Sartène, dont je suis originaire, avec sa vieille ville médiévale, ses traditions séculaires telles que le Catenacciu qui chaque vendredi saint fait revivre la passion du Christ, m’ont inculqué le culte du beau et de la fidélité à mes racines, ce que je m’efforce de transmettre dans mes Fables.
L’Occident est en proie à de grands dangers qui menacent sa survie même. Il doit en lui-même trouver les ressources pour s’en prémunir et au premier chef, promouvoir ses valeurs.
Le combat contre le sectarisme religieux, que j’ai évoqué dans le Hachichin et le Moine, mais également dans Vénus et l’Iconoclaste, est d’abord un combat culturel. En effet, les armes sont impuissantes à convertir les esprits.
Seul un message d’ordre spirituel peut le faire.
La Fable vous paraît-elle un moyen adéquat pour mener ce combat ?
Il appartient sans doute à chacun de lutter par ses propres moyens, mais la Fable m’a paru pouvoir exprimer des réflexions profondes de manière apparemment légère et accessible au plus grand nombre. J’apprécie d’user de tous les sens des mots, propres et figurés, pour en tirer une richesse dans la pensée et l’expression.
Le Valeureux Zéro, héros d’une de mes fables, exprime très bien ce paradoxe, entre un nombre aux propriétés uniques et une personne nulle.
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Et La Fontaine dans tout cela ?
C’est un génie incomparable et inégalé, auquel j’ai d’ailleurs rendu hommage dans l’une de mes fables Le Paradis de La Fontaine et à qui j’adresse de discrets clins d’œil dans d’autres apologues.
Mais il traitait des problématiques de son temps, alors que je m’intéresse à celles de mon époque, même si certains thèmes sont intemporels.
Vos Fables ne sont-elles pas destinées seulement à un jeune public ?
En aucun cas. Elles sont écrites pour tous les publics et chacun les lit et les comprend avec le prisme de son âge, de son expérience et de sa culture. L’essentiel étant d’en retirer le message, que l’on soit un enfant, un adolescent ou un adulte.