Un an après la prise de Kaboul, où en sont les talibans en Afghanistan ? Comment s’organise la résistance, notamment dans les vallées du nord et la vie des populations locales ? Entretien avec Ali Maisam Nazary, responsable des Relations extérieures du Front de résistance nationale d’Afghanistan.
Propos recueillis par Jean-Baptiste Noé
Les talibans sont parvenus à prendre la vallée du Panchir en septembre dernier. Quel est l’état du rapport de force aujourd’hui dans cette région ?
Le Front national de résistance d’Afghanistan (FNR) dirigé par Ahmad Massoud s’est étendu à 12 provinces depuis septembre 2021. Depuis début mai 2022, le FNR a lancé son offensive de printemps et a réussi à chasser les talibans du nord de l’Afghanistan. Au cours des deux derniers mois et demi, les talibans ont perdu dans toutes les batailles qui les ont opposés au FNR. Ils ont perdu plus de 1 500 hommes et plus de 40 commandants. En juin, nous avons abattu un de leurs hélicoptères et fait prisonniers l’équipage et le commandant. Beaucoup de leurs commandants locaux ont fait défection et ont rejoint nos forces. Début juillet, les talibans ont lancé une contre-offensive contre le FNR dans les districts d’Andarab et de Khost, dans la province de Baghlan et dans la province de Panjshir. Les mollahs Yaqub et Faseehuddin, deux éminents dirigeants de leur mouvement, étaient présents sur les lignes de front. Pourtant, ils n’ont pas réussi à prendre une seule base, ils ont subi de lourdes pertes et Yaqub et Faseehuddin ont fui à Kaboul il y a quelques jours. Les terroristes talibans ont montré au cours des derniers mois qu’ils n’étaient pas capables de maintenir leur contrôle sur l’ensemble du pays et que la libération du pays, du moins de certaines parties à court terme, était inévitable. Ils ont subi une défaite stratégique et il n’y a aucun moyen de revenir en arrière.
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Le porte-parole du gouvernement taliban, Zabihullah Mujahid, a nié l’existence de votre offensive sur 12 provinces en mai dernier. Cette stratégie de cacher vos actions de résistance réussit-elle à convaincre l’opinion populaire et internationale que les talibans contrôlent l’Afghanistan ?
Les talibans ont menti non seulement sur ce sujet, mais aussi sur toutes les questions relatives à l’Afghanistan. Ils ont menti sur les droits des femmes et sur les crimes qu’ils commettent. Ils ont menti sur le terrorisme et ont violé leur accord avec les Américains en permettant aux groupes terroristes internationaux, en particulier Al-Qaïda, de se reconstituer en Afghanistan depuis le 15 août, et ils ont menti sur la résistance actuelle. La vérité est que les talibans sont nerveux et qu’ils se rendent compte qu’ils manquent de soutien populaire et que la Résistance grandit chaque jour. C’est pourquoi vous avez vu leurs hauts dirigeants se rendre dans le nord de l’Afghanistan chaque semaine, car leurs hommes perdent le moral et la motivation et ils voient à quelle vitesse le FNR se développe. Un exemple de leur mensonge : le Washington Post s’est rendu dans le Panjshir début juin et Mujahid a menti en affirmant qu’il n’y avait pas de combats, alors que le Post a vérifié qu’il y en avait. Le FNR est présent dans 12 provinces et nous combattons activement dans au moins six d’entre elles.
Les talibans soutiennent un pouvoir islamique rigoureux, mais paradoxalement le poids et la menace de l’État islamique se sont accrus depuis la prise de Kaboul. On peut tenter d’expliquer cette question par l’opposition entre le nationalisme des talibans et l’internationalisme de l’État islamique. Quelle est votre analyse sur ce paradoxe ?
Les talibans ont promu le récit d’ISIS en Afghanistan pour des raisons évidentes. Ils pensaient qu’en montrant une grande menace d’ISIS émanant de l’Afghanistan, ils pouvaient exploiter la communauté internationale et recevoir une reconnaissance. La réalité est qu’ISIS n’est pas si important en Afghanistan et que les talibans ne le combattent pas comme ils le devraient. Dans de nombreuses régions, ISIS coopère avec les talibans, comme lors des récents combats qui ont eu lieu dans le nord-ouest de l’Afghanistan, dans le district de Balkhan, lorsqu’un commandant taliban Hazara a fait défection et rejoint la résistance. Au cours de ces combats, les talibans ont recruté de nombreux combattants d’ISIS dans la province de Sar-i Pul pour combattre les chiites hazaras. Les talibans font partie du terrorisme international et depuis le 15 août 2021, ils ont permis à l’Afghanistan de devenir un sanctuaire pour le terrorisme. Aujourd’hui, Al-Qaïda est plus fort en Afghanistan qu’en septembre 2001 et il y a plus de combattants étrangers sous la protection des talibans que jamais auparavant. Les talibans distribuent des passeports à ces terroristes étrangers afin qu’ils puissent s’infiltrer dans d’autres pays et perturber la sécurité mondiale. Fin juin, le soi-disant chef suprême des talibans a déclaré qu’ils ne succomberaient pas à la pression internationale, même si l’Occident les menaçait de bombes atomiques. Dans son discours, il a également fait savoir que leur djihad n’était pas terminé et qu’il se poursuivrait jusqu’à la fin des temps. Il s’agit d’un message clair au monde entier : ils aideront d’autres terroristes dans leur quête d’attaques contre d’autres pays et ne changeront pas en fonction des attentes occidentales.
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L’État islamique attaque de plus en plus violemment le pouvoir taliban. Ils menacent directement les activités économiques et industrielles. Pensez-vous que l’acteur islamique pourrait faire tomber, à terme, les talibans ?
Il y a eu beaucoup de rumeurs et de discussions entre les partisans des talibans dans la région et en Occident, selon lesquelles ISIS défiera les talibans au printemps. Certains analystes occidentaux continuent de répéter qu’ISIS est un véritable défi pour les talibans et que nous devons les renforcer pour contrer ISIS. Depuis mars 2022, y a-t-il eu des offensives majeures d’ISIS contre les talibans ? ISIS est encore faible en Afghanistan et est divisée en plusieurs factions. Les talibans travaillent avec de nombreuses factions en Afghanistan. Si ISIS était contre les talibans ou si ISIS était capable de lancer une offensive, pourquoi ne l’ont-ils pas déjà fait ? La réalité est que la seule force qui défie les talibans et les autres groupes terroristes comme Al-Qaïda et ISIS est le Front de résistance nationale qui lutte pour la démocratie et la liberté. Nous avons montré au cours des derniers mois que nous sommes le groupe qui peut défier les talibans et les autres terroristes et que nous serons en mesure de combler le vide que les talibans créeront à l’avenir dans de nombreuses régions du pays.
Dernièrement, un séisme a causé la mort de plus d’un millier de personnes, provoquant une importante crise humanitaire. La catastrophe risque d’aggraver la crise sociale générale qui touche le pays. Cet évènement a-t-il un impact sur votre stratégie ?
Le tremblement de terre a été un événement tragique et nous cherchons des moyens d’aider les victimes. Malheureusement, l’Afghanistan est encore aujourd’hui dans un état d’anarchie et manque d’institutions pour faire face à de tels problèmes et catastrophes. Les talibans n’ont pas l’intention ni l’objectif de servir le peuple et ils cherchent tous les moyens de l’exploiter pour leurs propres intérêts, comme le ferait toute organisation criminelle. Après le tremblement de terre, l’un de leurs hauts responsables a déclaré qu’il s’agissait d’un acte de Dieu et que nous n’avions aucune responsabilité à cet égard. C’est leur état d’esprit et nous ne pouvons pas attendre d’eux qu’ils créent un gouvernement avec une telle mentalité.
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Les investissements chinois sont une source d’aide pour le régime des talibans. Mais les entreprises chinoises font aussi preuve de prudence compte tenu des pressions de l’État islamique. Craignez-vous le rapprochement entre Pékin et les talibans ?
Les talibans collaborent étroitement avec la Chine en raison de leurs relations avec le Pakistan. La Chine aide aujourd’hui les talibans dans de nombreux domaines, notamment la sécurité, le renseignement et les télécommunications. Les talibans sont prêts à signer tout contrat avec la Chine qui profite aux intérêts de leur groupe et sont prêts à permettre à de nombreux pays d’utiliser le sol afghan pour menacer les intérêts et la sécurité des autres. Aujourd’hui, la Chine est l’un des principaux acteurs de la scène internationale qui s’efforce de donner plus de légitimité aux talibans et de faire en sorte que la communauté internationale les reconnaisse.