La Chine commence à mener des opérations de « liberté de navigation »

16 septembre 2024

Temps de lecture : 4 minutes

Photo : Exercice de visite de bâtiment croisé avec la marine chinoise sur la frégate légère furtive Courbet, le jeudi 4 mai 2017, à l'embouchure du port de Shanghai en Chine. De février à juillet 2017, un groupe composé du BPC Mistral et de la FLF Courbet se déploye pour la mission Jeanne d'Arc 2017. Ce déploiement a pour objectif des missions de connaissance-anticipation, des actions de coopération internationale. À cette occasion, environ 120 officiers-élèves français de la promotion EAOM 2017 et étrangers, vont se former tout au long de cette mission pour acquérir une stature de chef militaire et d'expert en systèmes navals.

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La Chine commence à mener des opérations de « liberté de navigation »

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À l’image des opérations de liberté de navigation menées depuis des années près de ses côtes, la Chine commence à afficher sa présence militaire à proximité de ces mêmes pays, parfois en collaboration avec la Russie. Cela suscite des réactions de surprise de la part des nations qui en étaient à l’origine. Avec l’augmentation des tensions et des rencontres plus fréquentes, il devient crucial que tous les acteurs fassent preuve de plus grande prudence afin de réduire les risques de malentendus ou d’incidents militaires.

Freedom of Navigation Operations (FONOPs)

Bien que les États-Unis ne soient pas signataires de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS : United Nations Convention on the Law of the Sea), [1]  qui définit le cadre juridique des opérations dites de « Liberté de navigation » (Freedom of Navigation Operations, ou FONOPs), ils mènent régulièrement de telles opérations, avec une intensification notable ces dernières années, notamment à proximité de la Chine, en mer de Chine méridionale. D’autres membres du G7 suivent de près l’exemple américain. Selon eux, ces opérations ont pour objectif de réaffirmer le droit de passage inoffensif dans les eaux internationales, même si les routes maritimes commerciales de cette zone n’ont jamais été entravées.

Les FONOPs se sont intensifiées, avec une augmentation notable depuis 2015 sous l’administration Obama. Cette politique a été maintenue et renforcée sous les administrations suivantes de Trump et Biden. Les opérations ont été menées régulièrement, souvent plusieurs fois par an.Durant la période 2020 – 2023, les États-Unis ont mené environ 8 à 12 FONOPs par an en mer de Chine méridionale. Ces opérations impliquent souvent des destroyers ou des croiseurs américains. Les opérations sont également parfois soutenues par des survols d’avions de reconnaissance ou de bombardiers américains.

La Chine réagit régulièrement aux FONOPs en dénonçant ces opérations comme des provocations et des violations de sa souveraineté. Les forces armées chinoises (notamment la marine et les garde-côtes) suivent souvent de près les navires américains et ceux de ses alliés, et il y a eu des incidents de quasi-collision ou de tensions accrues entre les parties.

Pour les Chinois, ces opérations menées par les États-Unis et leurs alliés sont perçues comme du sel sur des plaies encore ouvertes. Ils considèrent que ces passages de navires et d’avions de guerre ne sont pas innocents, d’autant plus que les pays qui les réalisent sont les mêmes qui ont tenté de coloniser la Chine par la force durant le « siècle des humiliations ». L’histoire laisse des traces et suscite des réactions actuelles. La Chine estime qu’elle dispose désormais de la puissance nécessaire pour faire entendre sa voix et considère qu’il est temps de le faire dans le cadre du droit international.

Des silhouettes inhabituelles dans des zones inhabituelles

Récemment, des rapports ont signalé la présence accrue de navires et d’avions militaires chinois à proximité des côtes américaines, anglaises et françaises. Les silhouettes inhabituelles ont été aperçues dans les zones inhabituelles. Examinons quelques cas.

Cas 1 et 2 : Le 8 juillet, peu avant le sommet de l’OTAN à Washington, la Chine a envoyé des troupes de l’Armée populaire de libération pour participer à des exercices militaires en Biélorussie, près de la Pologne, ce qui peut être interprété comme un message stratégique montrant la capacité de la Chine à projeter des forces loin de ses frontières et sa proximité avec Minsk et Moscou. Peu après, le 10 juillet, la garde côtière américaine a signalé la présence de quatre navires militaires chinois près des îles Aléoutiennes, en Alaska, déclarant que cette présence respectait les normes internationales. Ces événements illustrent l’expansion des activités militaires chinoises en dehors de ses zones traditionnelles.[2]

Cas 3 : Le 24 juillet 2024, des avions militaires chinois et russes ont survolé la mer de Béring près de l’Alaska, mais sont restés dans l’espace aérien international sans pénétrer dans l’espace souverain des États-Unis ou du Canada. Le NORAD a intercepté deux bombardiers russes TU-95 et deux avions chinois H-6 dans la zone d’identification de défense aérienne de l’Alaska (ADIZ).[3]

Cas 4 : Le 28 juillet, deux navires chinois, le destroyer CNS « Jiaozuo » et le pétrolier-ravitailleur CNS « Honghu », ont participé à la Journée de la marine russe à Saint-Pétersbourg, puis ont effectué un exercice avec une corvette russe dans le golfe de Finlande avant de retourner en Chine. Les navires chinois, lourdement armés et équipés de radars sophistiqués, ont été surveillés tout au long de leur voyage par diverses marines européennes, notamment lors de leur passage près des côtes portugaises, françaises, britanniques, et belges. La Royal Navy a coordonné la surveillance avec plusieurs autres navires et un hélicoptère pour suivre le duo chinois, démontrant ainsi l’attention portée par les forces occidentales à la présence militaire chinoise en Europe.[4]

Cas 5 : Le mois dernier, le destroyer américain USS Rafael Peralta a rencontré des navires de la marine chinoise lors d’une patrouille dans le Pacifique occidental, signalant que les forces chinoises opèrent de plus en plus loin de leurs côtes. Les interactions entre les navires américains et chinois ont été qualifiées de « sûres et professionnelles » par un porte-parole de la Septième Flotte des États-Unis. Le Rafael Peralta, basé au Japon et armé de missiles et d’un canon principal, a également été impliqué dans la protection de Guam lors des déploiements chinois et russes dans la région, bien que cette mention ait ensuite été retirée d’une publication officielle.[5]

Une plus grande prudence est nécessaire

La Chine commence, donc, à pratiquer la liberté de navigation comme d’autres pays. Ces passages ont été conformes au droit international, ils reflètent l’influence croissante de ce pays réémergé dans les affaires maritimes mondiales et ont servi de rappel de la complexité des relations internationales actuelles. C’est un fait à accepter comme les opérations de liberté de navigation effectuées par d’autres pays. Cela ne signifie pas que la Chine soit un ennemi systémique des États-Unis ou de l’OTAN. Notre analyse ne devrait pas tomber dans la logique du double standard.

En même temps, avec l’augmentation des tensions et des rencontres plus fréquentes, il devient crucial que tous les acteurs fassent preuve de plus grande prudence afin de réduire les risques de malentendus ou d’incidents militaires.

[1] Convention de Montego Bay (CNUDM) et droit de la mer, GéoConfluence, Texte original : (ST et MCD). Dernières modifications (JBB), novembre 2022, mars 2023, mai 2024

[2] Laurent Lagneau, Au moins quatre navires de guerre chinois sont surveillés par l’US Coast Guard au large de l’Alaska, Zone militaire Open360.com, 11 juillet 2024

[3] Paolo Garoscio, Sécurité aérienne : des bombardiers russes et chinois au-dessus de l’Alaska, Armée, le 26 juillet 2024

[4] Laurent Lagneau, Le patrouilleur « Commandant Blaison » a surveillé deux navires de guerre chinois près des côtes françaises, Zone militaire Open360.com, 10 août 2024

[5] Newsweek, U.S. Warship Encountered Chinese Vessels on Pacific Patrol, Navy Says, Aug 12, 2024

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À propos de l’auteur
Alex Wang

Alex Wang

Titulaire de deux doctorats (philosophie et ingénierie) et familier des domaines clés de la NTIC, Alex Wang est ancien cadre dirigeant d’une entreprise high tech du CAC 40. Il est également un observateur attentif des évolutions géopolitiques et écologiques.

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