« La Chine a pris une avance significative » dans l’industrie automobile. Entretien avec Serge Cometti

4 novembre 2024

Temps de lecture : 6 minutes

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« La Chine a pris une avance significative » dans l’industrie automobile. Entretien avec Serge Cometti

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Alors que l’UE se décide à taxer lourdement les véhicules chinois, le Mondial de l’auto 2024 a une nouvelle fois vu de nombreux constructeurs automobiles chinois. Les industriels européens ont de plus en plus de mal à camoufler leurs difficultés qui, petit à petit, se transforment en retard. 

Serge Cometti a 35 ans d’expérience automobile chez des Constructeurs, Groupes de Distribution, Réseau National Après-Ventes, Location longue durée,  Conseil et Formation, en Europe, Amérique du Sud et Maghreb dans des fonctions de Directeur Sales &Marketing, Directeur Général. Il s’est spécialisé il y a 10 ans dans l’électromobilité et les nouvelles mobilités. À ce titre, il a créé en 2020 une société avec laquelle il a lancé en France comme importateur trois marques de véhicules électriques, MG, Aiways et MAXUS. Il intervient dorénavant en tant que conseil auprès de grands groupes européens.

Renault a longtemps été un acteur majeur dans l’industrie automobile mondiale, notamment en Russie. Pouvez-vous expliquer comment cette position a évolué ces dernières années, particulièrement avec les événements récents, comme la guerre en Ukraine ?

Renault a effectivement eu une position dominante sur le marché russe, surtout grâce à son partenariat avec Lada. Ensemble, ils représentaient environ 50 % des ventes automobiles dans le pays. C’était un marché crucial pour le groupe, et cela a contribué à la domination de Renault-Nissan sur la scène mondiale en 2017 et 2018. Cependant, la guerre en Ukraine a bouleversé cette dynamique. Avec l’escalade du conflit et les sanctions internationales, Renault a cédé toutes ses activités en Russie pour un montant symbolique de 1 €. Cette vente a marqué la fin de l’ère européenne dans l’industrie automobile russe. Depuis, ce sont les constructeurs chinois qui ont pris le relais. Ils se sont rapidement implantés en Russie, en utilisant les anciens réseaux de concessionnaires occidentaux dont Renault pour distribuer leurs véhicules. La majorité des voitures vendues aujourd’hui en Russie sont d’origine chinoise, soit importées, soit partiellement assemblées localement dans des usines reprises ou construites par ces nouveaux acteurs, en particulier dans les anciennes d’Asie Centrale.

Vous avez mentionné une forte présence chinoise sur le marché automobile russe. Quelle est la situation de l’industrie automobile russe elle-même après ces bouleversements ?

L’industrie automobile russe a connu une lente érosion depuis la chute de l’Union soviétique. Il y a eu une tentative de revitalisation avec l’aide des constructeurs européens, mais cette phase est désormais terminée. L’industrie locale a été largement supplantée par des importations, principalement chinoises. En fait, ce que font les constructeurs chinois, c’est qu’ils concluent des accords pour assembler des véhicules directement dans des pays de l’ex-Union soviétique, comme le Kazakhstan et l’Ouzbékistan. Ils envoient des kits à assembler sur place, ce qui permet d’éviter des droits de douane tout en ajoutant une valeur locale. Quant à la Russie, je ne saurais dire exactement si les usines locales fonctionnent encore ou non. Mais une chose est sûre, l’industrie automobile russe, telle qu’on la connaissait, n’existe plus réellement. C’est aujourd’hui un marché où dominent les importations et les produits chinois.

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La Chine semble avoir pris une place centrale dans l’industrie automobile mondiale. Quelles sont les clés de leur succès, selon vous ?

L’industrie automobile chinoise a réalisé une progression impressionnante, et ce succès repose sur plusieurs facteurs. Tout d’abord, il y a la taille du marché chinois, qui est tout simplement gigantesque. En 2023, le marché chinois a atteint environ 24 millions de voitures, soit presque l’équivalent des marchés européen et américain combinés. Ils ont produit 30 millions de véhicules, dont 4 millions ont été exportés. Cela leur permet d’atteindre des volumes de production qui engendrent des économies d’échelle considérables, ce qui réduit leurs coûts de fabrication de manière drastique. Un autre facteur clé de leur succès est la planification étatique. La Chine a mis en place un plan ambitieux appelé « Made in China 2025 », qui vise à faire du pays un leader dans les nouvelles énergies et les technologies. Cela inclut des objectifs très précis dans le domaine de l’automobile, comme celui de répondre à 80 % de la demande nationale en véhicules à nouvelle énergie en 2025. Avec cette politique rigoureuse, les constructeurs chinois sont aujourd’hui capables de produire à grande échelle des voitures électriques, avec une compétitivité redoutable.

Comment cette domination chinoise affecte-t-elle les autres grands marchés automobiles, en particulier en Europe et aux États-Unis ?

La montée en puissance de la Chine pose de sérieux défis à l’industrie automobile européenne et américaine. Aux États-Unis, par exemple, on a assisté à la mise en place de politiques protectionnistes, avec des droits de douane allant jusqu’à 100 % sur les véhicules chinois. L’objectif est de protéger l’industrie locale et de ralentir l’invasion des véhicules chinois sur leur marché. L’Europe, quant à elle, essaie d’adopter une approche plus équilibrée. Des enquêtes sont menées pour déterminer si les constructeurs chinois reçoivent des subventions de la part de leur gouvernement, et en fonction des résultats, des droits de douane ajustés sont appliqués pour rétablir une certaine concurrence équitable. Mais malgré ces mesures, il est indéniable que la Chine a pris une avance significative, notamment dans le domaine des véhicules électriques. Ils ont su tirer parti de leur taille et de leurs capacités de production pour offrir des voitures à des prix compétitifs. En Europe, cela met les constructeurs sous pression pour innover et se démarquer. Toutefois, les constructeurs européens ne sont pas en reste et continuent à développer des technologies de pointe. Mais la concurrence chinoise, surtout sur le segment des véhicules électriques, est aujourd’hui très difficile à ignorer.

L’industrie automobile française est-elle capable de faire face à cette concurrence mondiale, notamment avec la transition vers les véhicules électriques ?

L’industrie automobile française a toujours été particulièrement performante dans les segments des petites voitures et des voitures familiales. Des modèles comme la Renault Clio ou la Peugeot 208 ont connu un succès énorme. Avec l’émergence des véhicules électriques, la France voit une opportunité de relocaliser certaines productions. En effet, les voitures électriques nécessitent moins de main-d’œuvre à assembler que les véhicules thermiques, ce qui pourrait rendre la production locale plus viable. Cela dit, il ne faut pas sous-estimer la concurrence des batteries produites en Chine, qui sont souvent moins chères. Renault, par exemple, prévoit de commercialiser une version électrique de la Renault 5 avec une batterie plus abordable d’ici 2026. Mais l’un des défis majeurs pour les constructeurs français reste de garder des prix compétitifs tout en répondant aux attentes des consommateurs. En Chine, les voitures électriques sont déjà moins chères que les voitures thermiques, ce qui constitue une vraie menace pour les constructeurs français, qui doivent également investir massivement dans les infrastructures et l’innovation pour rester dans la course.

Renault mise sur la nostalgie avec des modèles comme la Renault 5. Pensez-vous que cela puisse vraiment séduire les consommateurs, surtout face à la concurrence chinoise ?

Renault fait un pari intéressant en jouant sur la nostalgie avec la relance de la Renault 5. C’est un modèle qui évoque des souvenirs chez beaucoup de consommateurs, notamment en Europe. Le message est clair : « Nous étions là il y a 50 ans, et nous sommes toujours là aujourd’hui. » Cela leur permet de se différencier des nouveaux entrants sur le marché, comme BYD ou NIO, qui n’ont pas cette histoire. C’est une stratégie intelligente, mais qui dépendra en grande partie du prix. Par exemple, Renault prévoit de vendre la nouvelle Renault 5 électrique à environ 25 000 €, ce qui reste compétitif dans le contexte actuel du marché des véhicules électriques. Si ce positionnement tarifaire est maintenu, cette stratégie pourrait effectivement séduire un certain public, notamment les acheteurs européens attachés à l’histoire de la marque. Cependant, il ne faut pas sous-estimer la concurrence, surtout des constructeurs chinois, qui proposent des véhicules similaires à des prix plus bas.

Et pour finir, pensez-vous que l’industrie automobile française pourrait se repositionner comme un acteur de luxe, à l’instar de secteurs comme la mode ou les parfums ?

C’est une idée qui pourrait sembler naturelle, étant donné la réputation mondiale de la France dans le domaine du luxe. Cependant, l’industrie automobile française a toujours eu du mal à s’imposer dans le segment du haut de gamme. Historiquement, il y a eu des tentatives, comme avec la Citroën DS ou la Renault 25, mais elles n’ont jamais vraiment rivalisé avec les marques allemandes comme Mercedes, BMW ou AUDI. Aujourd’hui, certains constructeurs, comme Peugeot, tentent de monter en gamme, notamment avec des designs plus premium et des innovations technologiques. Mais cela reste un défi. L’image de marque est difficile à transformer, et les consommateurs associent toujours le « premium » automobile à l’Allemagne. La transition vers les véhicules électriques offre une opportunité à la France de se repositionner. Les marques françaises pourraient tirer parti de leur savoir-faire en matière de design et d’innovation pour proposer des véhicules haut de gamme électrique, pour séduire un public à la recherche de produits à la fois Haut de Gamme et respectueux de l’environnement.

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Serge Cometti

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