La bataille des Ardennes (1944), la chimère d’Hitler. Entretien avec Philippe Guillemot

21 novembre 2024

Temps de lecture : 4 minutes

Photo : Soldats américains du 290e régiment d'infanterie près d'Amonines.

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La bataille des Ardennes (1944), la chimère d’Hitler. Entretien avec Philippe Guillemot

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La bataille des Ardennes est la dernière tentative d’Hitler de remporter la guerre à l’Ouest. Une offensive repoussée qui a permis d’assurer la libération du territoire français. Entretien avec Philippe Guillemot.

Philippe Guillemot, spécialiste de la Seconde Guerre mondiale, auteur de plusieurs ouvrages, dont La bataille des Ardennes, la dernière chimère de Hitler, publié chez Perrin (2024), nous éclaire sur les enjeux et le déroulement de cette bataille, ultime tentative de l’Allemagne nazie pour inverser le cours de la guerre. De l’importance cruciale de la logistique, jusqu’aux défis stratégiques rencontrés par les forces allemandes et américaines, cet échange approfondit les multiples facettes d’une bataille décisive, qui, malgré des conditions hivernales extrêmes et la perte de nombreux moyens, a marqué un tournant dans la défaite imminente de l’Allemagne.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Noé

J.-B. N. Avant de revenir sur le déroulement de l’offensive, pouvez-vous nous resituer le contexte ? En décembre 1944, les forces alliées ont libéré Paris, Strasbourg et la plus grande partie du territoire français. La situation devient également difficile pour les Allemands sur le front soviétique. Pourquoi cette offensive allemande dans les Ardennes, malgré les échecs successifs de l’armée du Reich ?

P. G. Il est essentiel de rappeler que cette offensive, bien qu’on l’appelle « la bataille des Ardennes », se déroule principalement en Ardenne belge, un point géographique déjà symbolique depuis l’offensive allemande de 1940. Cependant, en 1944, l’offensive est plus au nord, vers une zone particulièrement difficile sur le plan du terrain. Hitler, dans son plan, cherchait le chemin le plus rapide vers la Meuse. Cela a contraint les troupes allemandes à évoluer dans un réseau routier très limité, ce qui a causé de nombreuses complications logistiques. Côté forces engagées, l’effort allemand en 1944 est conséquent : deux armées blindées, parachutistes, commandos… Un sacrifice majeur de production et de moyens a été consenti, au détriment du front de l’Est.

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J.-B. N. Une offensive aussi ambitieuse avait-elle réellement une chance de succès pour Hitler ?

P. G. Pour Hitler, oui, c’était son ultime espoir de changer le cours de la guerre. Son but était d’enfoncer le front allié, forcer les Britanniques à une retraite similaire à Dunkerque, et ainsi affaiblir les Alliés pour les contraindre à négocier une paix séparée. Ensuite, il comptait redéployer ses forces contre l’Armée rouge. Mais à mon avis, cette offensive n’avait aucune chance réelle de succès, car les troupes allemandes étaient épuisées et mal équipées. La 6e armée blindée, bien qu’imposante sur le papier, était une force hétérogène avec seulement 50 % de vétérans de Normandie, les autres étant souvent des recrues mal formées.

J.-B. N. Vous soulignez dans votre ouvrage l’importance de la logistique, et en particulier de l’essence, pour mener une offensive de cette ampleur. Pouvez-vous nous en dire plus ?

P. G. La logistique est en effet centrale. Contrairement aux idées reçues, ce n’est pas tant le manque d’essence en lui-même qui a entravé l’offensive, mais plutôt l’incapacité à acheminer cette ressource. La région des Ardennes est mal équipée en termes de routes, et les rares chemins disponibles étaient rendus impraticables par la pluie. De plus, le ravitaillement en carburant et en munitions était limité par les restrictions matérielles de l’armée allemande, déjà à court de camions et de véhicules tout-terrain.

J.-B. N. Et quel a été le rôle de l’armée française dans cette bataille ?

P. G. La bataille des Ardennes est avant tout une bataille américaine. Ce sont les unités américaines qui ont essuyé les premières attaques, et elles ont également mené les principales manœuvres de contre-attaque. L’armée française était engagée au sud, notamment dans la poche de Colmar. Une rumeur évoque une équipe française de renseignement qui aurait aidé le général Patton à anticiper certains mouvements, mais cela reste à confirmer.

J.-B. N. Le renseignement a-t-il joué un rôle déterminant dans cette bataille ?

P. G. Absolument. Avant l’offensive, le renseignement est crucial. Les Allemands avaient étudié en détail les positions alliées, bien qu’ils aient manqué des informations essentielles, comme le déplacement de la 2e division d’infanterie américaine. Du côté des Alliés, ils s’appuyaient beaucoup sur les décryptages d’Ultra, mais dans ce cas précis, le dispositif n’a pas permis d’anticiper l’attaque.

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J.-B. N. Pourriez-vous rappeler ce qu’est Ultra ?

P. G. Ultra est le nom donné au projet de décryptage des communications allemandes, notamment celles codées par la machine Enigma. Grâce à ce système, les Alliés ont pu obtenir des informations stratégiques cruciales pendant la guerre. Cependant, pour l’offensive des Ardennes, les transmissions téléphoniques allemandes n’ont pas pu être interceptées par Ultra, ce qui a laissé les Alliés en aveugle.

J.-B. N. La bataille des Ardennes s’est achevée fin janvier 1945. Comment les Allemands ont-ils finalement été repoussés ?

P. G. Les Américains ont réussi à résorber le saillant des Ardennes. Ils ont reconduit les Allemands à leurs positions initiales, sans coup de théâtre militaire décisif. Patton, par exemple, aurait préféré laisser les panzers franchir la Meuse pour les écraser ensuite, mais cette idée a été jugée trop risquée. Finalement, la bataille a surtout permis aux Allemands de ralentir les Alliés, mais au prix de pertes matérielles et humaines considérables.

J.-B. N. Vous évoquez dans votre livre les conditions extrêmes de la bataille, en plein hiver, en terrain montagneux. Ces conditions ont-elles influencé le cours des opérations ?

P. G. Ces conditions étaient redoutables pour les soldats des deux camps, avec des épisodes de neige, de verglas et des températures glaciales. Les Allemands, malgré leur expérience du front de l’Est, n’étaient pas toujours équipés pour ce type de conditions. Leurs manteaux et leurs bottes de mauvaise qualité ont contribué à des pertes par hypothermie et pieds gelés. En fin de guerre, la qualité des équipements s’était fortement dégradée.

J.-B. N. La défaite allemande dans les Ardennes a-t-elle scellé le sort de la Wehrmacht ?

P. G. Cette bataille a marqué la fin des grandes offensives de la Wehrmacht sur le front de l’Ouest. Les divisions blindées, bien qu’encore opérationnelles, étaient épuisées et manquaient de ressources. Peu de temps après, en janvier, les Soviétiques ont lancé une offensive sur le front de l’Est, précipitant l’effondrement du Reich. Les Ardennes ont donc été le dernier baroud de l’armée allemande en Occident, et une défaite stratégique qui a affaibli de manière irréversible les capacités militaires allemandes.

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Photo : Soldats américains du 290e régiment d'infanterie près d'Amonines.

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