Le jeune archéologue français, très écouté à Moscou, multiplie les découvertes sur les différents champs de bataille européens. Il travaille actuellement au rapatriement du corps du général Gudin aux Invalides lors du bicentenaire de la mort de Napoléon, le 5 mai 2021.
Entretien avec Pierre Malinowski. Propos recueillis par Hadrien Desuin.
Tandis que les relations franco-russes sont au point mort, vos initiatives archéologiques contrastent par leur dynamisme. Pensez-vous que cette année Napoléon, placée sous le signe de la réconciliation franco-russe sera un succès ?
En effet, les relations franco-russes sont au point mort. Et il y a toujours de nouvelles inventions côté européen pour les détériorer tandis que les Russes demandent simplement à apaiser nos relations et à retrouver un semblant de coopération avec la France. Nous sommes un pays ami de la Russie avec une histoire commune depuis presque mille ans. Par exemple, on proteste à propos de l’emprisonnement d’Alexeï Navalny alors que cela ne nous concerne absolument pas. Avec tout ce qui se passe en France, je ne sais pas pourquoi on se permet de donner des leçons. À l’inverse, nos projets apportent du positif puisque l’on parle de la mémoire de nos soldats, de notre histoire. Et cela est absolument inattaquable.
Napoléon, même s’il a attaqué la Russie, est très respecté, non pas comme un ennemi, mais comme un grand homme. Les Russes ont un immense respect pour les grands chefs qui ont réussi à venir jusqu’à Moscou. Napoléon et le Tsar étaient relativement proches, surtout au moment du traité de Tilsit en 1807. Après des promesses n’ont pas été respectées de part et d’autre, en grande partie du fait de l’Angleterre.
On vous dit proche du porte-parole de Poutine, Dimitri Peskov et de sa fille. Est-ce que ces relations vous permettent d’espérer voir Poutine aux Invalides pour ce double centenaire napoléonien?
Proche, c’est sans doute un peu fort. Mais il est vrai qu’on n’est pas beaucoup de Français à pouvoir le rencontrer quatre ou cinq fois par an. J’ai été flatté de l’entendre dire dans le Wall Street Journal « on ne s’ennuie jamais avec les projets de Malinowski ». Peskov a bien compris que nos projets étaient très positifs pour la France et la Russie. Peskov étant proche de Poutine, Macron a pu parler de Gudin à Brégançon.
Sa fille est indépendante, c’est une amie de 5 ans, qui est aussi ma vice-présidente, donc on travaille ensemble.
C’est une année décisive puisque nous allons fêter le 5 mai les 200 ans de la mort de l’empereur. Si Emmanuel Macron tient parole, ce sera la première fois qu’un président de la République honore la mémoire de Napoléon. Et si tout va bien, une cérémonie de retour des restes du général Gudin aura lieu. Ce compagnon d’armes de l’Empereur deviendrait alors un symbole du rapprochement franco-russe. Les Russes nous ont autorisés à le retrouver, et potentiellement à le rapatrier. Avoir deux Présidents qui se réunissent autour de sa dépouille serait un très grand symbole de paix.
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Vous êtes en contact avec Bruno Roger-Petit, le conseiller mémoire de l’Élysée. Pensez-vous pouvoir le convaincre ?
Mes relations avec l’Élysée sont des relations de travail. Je discute avec Bruno Roger-Petit, qui est quelqu’un de très ouvert, non par amitié, mais par intérêt. Il a reçu les foudres de la presse après m’avoir reçu plusieurs fois, mais on est bien au cœur de son travail mémoriel. Il est d’ailleurs très positif sur ce sujet. Grâce à la note qu’il a faite au président, il a pu le persuader de faire quelque chose autour du général Gudin, appuyé bien sûr par Catherine Bréchignac de l’Académie des sciences et Hélène Carrère d’Encausse de l’Académie française. Mais c’est évidemment au Président de décider dans les semaines à venir les modalités de cette cérémonie.
Les commémorations historiques ont toujours joué un rôle important dans la diplomatie, est-il difficile d’articuler l’archéologie et la diplomatie ?
J’aime énormément les projets archéologiques, mais je fais ça surtout pour que cela ait une incidence sur nos relations au plus haut niveau de l’État. Les projets archéologiques ne manquent pas en Europe, mais mon but final est bien d’améliorer nos relations extérieures. La première phase est archéologique, mais la seconde, la plus importante, est la partie diplomatique.
Nos projets archéologiques n’ont pas de barrières. Bien sûr, il y a de la politique et de la diplomatie derrière tout cela, mais cela peut être profitable des deux côtés. C’est très médiatisé et dans le contexte actuel de la pandémie, des projets comme cela changent et redonnent un peu de baume au moral des gens.
Vous avez participé à des fouilles en Crimée, où l’armée française s’est illustrée à Sébastopol et à l’Alma. La France n’a pas envoyé de délégation. Craignez-vous d’être instrumentalisé par la diplomatie russe ?
Le projet en Crimée est à mon initiative et je savais qu’il y avait un grand risque de prendre des attaques en provenance d’Ukraine et d’Europe. Étant donné le régime de sanctions, la diplomatie ne pouvait pas faire grand-chose si ce n’est un communiqué assez positif sur cet événement. Quant aux Russes, ils me laissent faire, c’est moi qui finance et qui organise aussi la communication de l’événement. Je suis complètement libre tout en respectant évidemment les lois russes. Je prépare d’ailleurs quelque chose au Kamtchatka et je le ferai quoiqu’il arrive. Heureusement il est très difficile d’attaquer la mémoire des soldats morts pour la France. Eux n’ont rien demandé depuis 150 ans qu’ils reposent sous terre.
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