<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Kurdistan, un peuple au milieu de l’histoire

3 janvier 2020

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Photo : Une affiche montrant le président du Parti démocratique kurde d'Irak, Barzani, lors des manifestations à Bagdad, le 23 décembre 2019, Auteurs : Nasser Nasser/AP/SIPA, Numéro de reportage : AP22411306_000004.

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Kurdistan, un peuple au milieu de l’histoire

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En passe de mettre fin, sur le terrain, à l’Etat islamique, l’Irak peine à se défaire d’un second problème : les Kurdes. Peuple sans Etat, il peut tout de même prétendre au titre de principal combattant de Daech. Mais ce statut ne lui permet pas d’échapper au tumulte politique et social qui règne à Bagdad, aux conséquences du retrait américain et aux ambitions turques. Face à ces problématiques d’odres régionales, le Kurdistan d’Irak s’apparente encore à un oasis de paix dans un désert de violence et tente de survivre au gré des volontés de ses puissants voisins.

 

L’existence du Kurdistan d’Irak, une région d’environ 5 millions d’habitants et de 85 000 km², tient à deux accidents historiques : la création d’une zone de non-survol destinée à protéger les Kurdes menacés par les forces de Saddam Hussein après leur retrait du Koweït (1991) et l’intervention américaine destinée à « remodeler le Grand Moyen-Orient » (2003). Entretemps, les Kurdes se sont livrés à une guerre civile (barzanistes contre talabanistes) que seuls les États-Unis ont pu stopper. Tandis que Washington accumulait les erreurs politiques à l’origine de la création des mouvements islamistes, rien n’était réglé, ni le sort de Kirkouk, ni celui de l’équilibre religieux ou ethnique. En 2007, le Premier ministre, Sirwan Barzani, décida, malgré Bagdad, de commercialiser directement le pétrole du sous-sol kurde. L’accord de la Turquie permit un désenclavement profitable aux deux parties et l’économie kurde connut alors un décollage. Les rapports entre barzanistes et talabanistes continuèrent d’être conflictuels, ce dont profitaient la Turquie et l’Iran. Les rapports avec Bagdad restèrent médiocres, même si le président de la république irakienne était officiellement kurde. Le développement fut rapide, certes entaché de corruption (contre laquelle s’élevait le parti Goran), et favorisa la formation d’une classe moyenne, dynamique et consommatrice.

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L’offensive foudroyante de l’organisation État islamique (Daech) après la prise de Mossoul, la proclamation du califat et l’investissement du Sindjar dont les Yézidis firent tragiquement les frais, fin juillet 2014, se poursuivit de façon inattendue par l’invasion du Kurdistan irakien. Les peshmergas ne surent pas opposer une résistance appropriée et le Kurdistan d’Irak ne fut sauvé, à la demande des autorités kurdes, que par l’intervention aérienne des États-Unis, le 8 août. Du matériel fut fourni par les Occidentaux (notamment par l’Allemagne) permettant grâce à l’appui aérien des alliés de contenir l’organisation de l’État islamique, le long d’une longue frontière. L’organisation de l’État islamique contrôlait par ailleurs une partie de l’Irak. Celle-ci ne fut reconquise qu’en 2017 par l’assaut conjoint des troupes de Bagdad chargées de reprendre Mossoul et des peshmergas qui, en tenaille, avançaient vers le même objectif. La zone disputée entre Bagdad et les Kurdes autour de Kirkouk fut appelée par Massoud Barzani à voter pour l’indépendance. Celle-ci, qui n’était soutenue par aucun État, fut un vote symbolique, montrant l’enthousiasme des Kurdes pour l’objectif de l’indépendance. Ce fut aussi l’occasion pour Massoud Barzani de s’afficher comme le représentant majeur du nationalisme kurde. Très mal reçue par Bagdad, cette initiative amena l’État irakien à réoccuper les territoires disputés, dont les champs pétrolifères de Kirkouk, à exiger un visa d’entrée délivré par Bagdad pour pénétrer au Kurdistan et autres mesures de rétorsion. Ce fut le Premier ministre de l’époque, Sirwan Barzani, qui n’était pas partisan de ce vote pour l’indépendance, qui négocia avec Bagdad une normalisation des relations. Depuis, le cours du pétrole étant très avantageux pour les pays producteurs, la situation économique est redevenue favorable.

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Le Kurdistan d’Irak, quelles que soient ses insuffisances par ailleurs, représente une aire de paix. Les minorités ethniques et religieuses y sont protégées. La région compte quelque 1,5 million de réfugiés originaires d’Irak et de Syrie. Dotée d’une force armée, mais divisée entre nord et sud, la région autonome dispose de représentants dans différents pays et de nombreux consulats dont ceux des États-Unis, de la France et de la Grande-Bretagne. La sécurité reste le souci majeur. À l’heure actuelle, le Kurdistan d’Irak dépend étroitement de la Turquie, s’inquiète des désordres religieux et sociaux de Bagdad et souffre d’un affaiblissement de l’Iran. Sur la durée, il s’agit de survivre en tenant compte d’Ankara, de Téhéran, et bien sûr de Bagdad.

 

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À propos de l’auteur
Gérard Chaliand

Gérard Chaliand

Géopolitologue de terrain, Gérard Chaliand a parcouru de nombreuses zones de guerre, dont le Kurdistan, où il se rend régulièrement depuis de longues années.

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