Marché de l’armement en Europe, échec du « Paquet défense »

30 mars 2021

Temps de lecture : 4 minutes

Photo : Maquette 1:1 du Dassault-Airbus SCAF (Le système de combat aÃ'rien du futur, (en anglais Future Combat Air System, FCAS)). Salon international de l'aeronautique et de l'espace de Paris-Le Bourget, France, le 18 Juin 2019. PARIS AIR SHOW 2019. International Air and Space Show Paris-Le Bourget, France, June 18, 2019. //04NICOLASMESSYASZ_2019_06_18b_2324a/1906182026/Credit:NICOLAS MESSYASZ/SIPA/1906182027

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Marché de l’armement en Europe, échec du « Paquet défense »

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Les deux directives européennes adoptées en 2009 et appelées « Paquet Défense » n’ont pas donné les résultats escomptés. Elles devaient permettre de faciliter le développement d’une industrie européenne de l’armement mais cela est encore loin d’être le cas aujourd’hui. Nombreux sont les pays de l’UE qui préfèrent acheter leurs armes aux États-Unis. Les récents atermoiements allemands autour du SCAF en sont un autre exemple.

 

« Dieu rit de ceux qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes », écrivait Bossuet. Sur de nombreux sujets, il serait possible de se joindre aux rires divins en ce qui concerne l’Union européenne, si les conséquences de ces contradictions n’étaient pas si inquiétantes pour les peuples.

 

Dernier exemple en date, lors de la session plénière de la fin du mois de mars, le Parlement européen a voté en faveur d’un rapport portant sur la mise en œuvre de deux directives européennes adoptées en 2009, appelées « Paquet Défense », et qui visent à créer une base industrielle de défense européenne, en stimulant la concurrence et en facilitant les achats transfrontaliers. Force est de constater qu’il s’agit d’un échec, de l’aveu même de la Commission européenne d’ailleurs.

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L’explication donnée par la Commission est en revanche grotesque : elle condamne les États, qui n’auraient pas appliqué ces dispositions de la même manière, et qui contourneraient le cadre réglementaire en utilisant les exceptions permises par les traités.

Et les adeptes du tout marché sans frontière ni protection face à la concurrence, de se rendre enfin compte qu’il n’en va pas de l’industrie de l’armement comme de n’importe quel produit. L’enjeu est la souveraineté même des États. Aveuglée idéologiquement, la Commission ne peut imaginer un instant l’hypocrisie régnant dans ses services et parmi de nombreux États membres refusant, et c’est normal, de jouer le jeu de la solidarité européenne, préférant leur souveraineté nationale.

Favoriser l’industrie de l’armement en Europe

 

L’Europe voulue par Monnet et Schuman est une Europe soumise aux intérêts américains qui, en contrepartie d’assurer sa défense via l’OTAN, font de l’Union européenne un grand marché pour les entreprises américaines de l’armement. Cette structure, pourtant obsolète depuis la chute de l’URSS, empêche ainsi toute tentative de construire une base industrielle pour les États membres, gage d’indépendance et d’autonomie stratégique, que nous souhaitons nationale.

L’Union européenne n’est pas capable de mettre en place la préférence communautaire. Certains d’ailleurs, ne le souhaitent pas car elle favoriserait d’abord la France, premier industriel européen dans le domaine de la défense. Le rapport d’évaluation, dirigé par un député allemand du groupe du Parti Populaire Européen, fait pratiquement l’impasse sur cette question du manque totale de solidarité, dont pâtissent en premier lieu les entreprises françaises de défense.

 

Les résultats sont là :  la part des ventes américaines dans les achats de produits de défense est colossale. Les ventes américaines via le système Foreign Military Sales, ont représenté l’équivalent de 70 milliards d’euros entre 2016 et juillet 2020, dont 19 milliards pour la Pologne, 7 milliards pour la Belgique et 5 mil­liards d’euros pour la Roumanie, soit entre un tiers et la moitié du total des dépenses de défense de tous les États membres de l’UE suivant les années.

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Par ailleurs, les récents développements autour du SCAF (où les Allemands cherchent, sans vergogne, à en prendre le contrôle au dépens de Dassault) sont la nouvelle illustration que la vision naïve de la France de Macron, parmi les seuls pays européens à encore avoir une industrie de défense, de construire une Europe de la défense est purement onirique et illusoire. Il ne peut, en effet, y avoir de véritable marché européen de défense dans une Europe où la concurrence est étouffée par la domination des États-Unis et de son Agence de coopération pour la défense et la sécurité (DSCA) ainsi que par l’OTAN.

S’agissant de la politique d’exportation, également couverte par ce Paquet défense, la formulation du rapport adopté par le Parlement brille par son ambigüité en plaidant notamment pour « une interprétation et une mise en œuvre plus cohérentes de la position commune de l’Union sur les exportations d’armes ». La France ne peut accepter aucune mainmise sur ce qui demeure de la seule compétence des États membres !

Atouts de la France dans le secteur de l’armement

Les industriels et PME françaises figurent parmi les entreprises les plus performantes dans l’UE, mais elles souffrent néanmoins de la concurrence massive et intimidante des États-Unis. À quoi bon alors demander aux États, dont les industries sont les plus développées, de jouer le jeu, si les dés sont pipés (OTAN, soumission aux Américains, etc.) ?

Cerise sur le gâteau, le rapport réclame un marché européen des équipements de défense ouvert ! Comment comprendre alors la petite concession provenant de Renew de « réduire la dépendance croissante de l’Union à l’égard des importations dans le domaine de la défense » si ce n’est comme l’illustration du regrettable et stérile « en même temps » macronien ?

La France, et ses industriels méritent mieux ! Certaines nations européennes défendent leurs intérêts, elles, telle l’Allemagne, profitant des programmes communs d’armement pour avaler les compétences françaises, et n’offrir rien en retour.

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La Défense de la France doit être française comme le disait le Général de Gaulle, du treillis de combat jusqu’aux avions Rafale. Cette position n’exclut pas les partenariats, mais elle refuse les abandons de compétences, les dépendances aux autres États, et la sous-traitance de sa position militaire.

 

 

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À propos de l’auteur
Jérôme Rivière

Jérôme Rivière

Membre du cabinet de François Léotard au Ministère de la Défense (1993-1995), il a également été député UMP des Alpes-Maritimes. Depuis 2019, il est député européen RN, président de la délégation française du groupe ID, membre de la commission des affaires étrangères.

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