L’île des Serpents, située en mer Noire face au delta du Danube, a changé de mains plusieurs fois depuis l’Antiquité. L’offensive lancée le 24 février dernier constitue un nouvel épisode dans cette histoire, et il n’est pas des moindres, car il est à prévoir qu’elle se situera à l’avenir sur la future ligne de front entre l’OTAN et la Russie.
L’île a d’abord été occupée par les Grecs dans l’Antiquité. C’est d’ailleurs de cette époque que date son nom, donné à cause des nombreuses couleuvres qui la peuplaient[1]. Elle a ensuite fait partie de l’Empire romain, puis de l’Empire byzantin, lequel finit par la céder aux Génois au XIVe siècle. Elle passe ensuite sous la souveraineté de la principauté de Moldavie, avant de tomber entre les mains des Turcs à la fin du XVe siècle.
Entre Russes et Turcs
C’est en 1788 qu’elle entre dans l’Histoire en étant le théâtre d’une bataille navale lors de la 7e guerre russo-turque, même si elle ne constitue pas alors un enjeu en soi. Elle devient de facto russe à la suite du traité d’Andrinople en 1829, avant de retourner à l’Empire ottoman en 1856 suite à la guerre de Crimée et du traité de Paris, puis elle est attribuée à la Roumanie en 1878 lors du traité de San Stefano.
Néanmoins, l’île reste à l’écart des tourments de l’époque, sa principale construction humaine étant un phare, qui sert de point de repère pour les navigateurs de la région. Pendant la Première Guerre mondiale elle sera cependant bombardée par un croiseur allemand, mais l’objectif est purement symbolique. Elle devient ensuite une réserve naturelle dans les années 1930.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle abrite une station radio roumaine, et les eaux qui l’environnent sont le théâtre de plusieurs incidents. Toutefois, ce n’est qu’en 1944 que les troupes soviétiques en prennent possession. En 1947, les traités de paix attribuent la Bessarabie[2] à l’Union soviétique, mais sans évoquer explicitement le devenir de l’île. Celui-ci n’est réglé que l’année suivante par un protocole qui la concède à Moscou, qui y installe alors une base militaire, comprenant notamment une station d’écoute et un centre d’entraînement pour les Spetsnaz.
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À l’effondrement du bloc soviétique, le sort de l’île est incertain à cause de l’ambiguïté des traités d’après-guerre. Cependant, la Roumanie accepte en 1997 de la laisser à l’Ukraine, tout en conservant ses revendications sur les eaux situées au large. En août 2004, elle porte le litige devant la Cour Internationale de Justice de La Haye, laquelle tranche en 2009, en accordant à la Roumanie 80% de ses revendications. L’enjeu n’était pas négligeable, puisque ces eaux renferment des gisements pétroliers et gaziers.
Lors de l’offensive lancée le 24 février, l’île a fait partie des premiers objectifs attaqués, preuve de son importance. Elle a été prise le jour même après un bombardement qui aurait détruit la totalité de ses installations. Selon les Ukrainiens, les 13 gardes-frontières présents sur place ont été tués, tandis que les Russes déclarent que 82 soldats se seraient rendus à l’issue des combats. Dans tous les cas, la résistance des Ukrainiens a fortement marqué les esprits, en particulier grâce aux derniers propos tenus à la radio par l’un des gardes-frontières avant le bombardement : « le bâtiment russe qui appelle, va te faire foutre »[3].
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À l’heure actuelle, il est difficile de prévoir avec précision les futurs contours de l’Ukraine et surtout quel sera le degré de souveraineté de la Russie sur les territoires qu’elle aura conquis. Toutefois, l’île des Serpents, de par sa localisation stratégique, sera certainement utilisée de façon directe par Moscou comme poste avancé face au bloc otanien, selon une configuration qui n’est pas sans rappeler celle des archipels de mer de Chine du Sud, occupés par Pékin. En tout cas, elle ne manquera pas de faire parler d’elle dans les mois et années à venir.
[1] Elles ont disparu aujourd’hui, ayant été éradiquées à l’époque soviétique
[2] Région correspondant pour l’essentiel à l’actuelle Moldavie
[3] Traduction adaptée. En version originale : « russkiy voennyy korabl’, idi na khuy », littéralement « bâtiment de guerre russe, va te faire foutre ».