Un caillou isolé revendiqué par quatre pays. Tel est Rockall, perdu dans l’Atlantique
Isolée dans l’Atlantique Nord au milieu de l’écume, Rockall n’est pas vraiment une île paradisiaque. Un simple caillou qui dépasse de l’eau, inconstructible, et battu par les vents de cette région du globe. L’écrivain James Fisher le qualifiait même « d’îlot le plus isolé de toutes les mers du monde ». Pourtant, pas moins de quatre pays ou entités se le disputent : le Royaume-Uni, l’Irlande, les îles Féroé – représentées par le Danemark – et l’Islande.
Cette rivalité, quoique feutrée, a tourné à l’incident au mois de juin 2019, lorsque le ministre en charge des affaires extérieures de l’Écosse, Fiona Hyslop, annonce qu’elle a l’intention d’envoyer des navires de contrôle des pêches pour sanctionner les navires irlandais opérant dans les eaux territoriales autour du rocher. Ce à quoi l’Irlande a répliqué que ces eaux étaient une zone économique exclusive, où les navires irlandais avaient le droit de pêcher, du moins tant que le Royaume-Uni fait partie de l’Union européenne, où celles-ci sont versées dans un « pot commun »[1].
Fin juin 2019, l’Islande n’a pas voulu rester inactive, et a rappelé ses propres revendications[2]. En revanche, le Danemark s’est montré plus discret, les médias danois et féringiens n’ont d’ailleurs guère évoqué l’affaire.
Pourtant rien ne prédisposait Rockall à être aussi disputé. Il était connu depuis longtemps des habitants de l’île Saint-Kilda, située dans les Hébrides extérieures, qui l’appelaient « Rocabarraigh », du nom d’un rocher maudit dont, selon les légendes celtes, l’apparition doit annoncer la fin du monde[3]. Quoi qu’il en soit, la zone, parsemée de récifs, est dangereuse pour les navigateurs, et plusieurs naufrages s’y sont produits au cours de l’histoire, dont celui du paquebot danois SS Norge en 1904, où périrent 635 des 727 personnes à bord.
C’est en septembre 1955 qu’il est officiellement annexé par le Royaume-Uni, qui envoie le HMS Vidal, dont trois membres de l’équipage viennent installer une plaque et un mât d’armes pavoisé aux couleurs de l’Union Jack pour matérialiser les revendications britanniques[4]. Il s’agit alors de couper l’herbe sous le pied aux Soviétiques, et éviter qu’ils ne s’y installent pour espionner les essais de missiles britanniques. La Convention de Montego Bay, signée en 1982 et entrée en vigueur en 1994, qui a été ratifiée par les États qui revendiquent Rockall, est censée résoudre le problème de sa souveraineté pour de bon. Selon l’article 121, « Les rochers qui ne se prêtent pas à l’habitation humaine ou à une vie économique propre n’ont pas de zone économique exclusive ni de plateau continental ».
En 1985, Tom McLean, un ancien des forces spéciales britanniques, prit toutefois ces dispositions au pied de la lettre pour légitimer les revendications de la Perfide Albion : il séjourna sur le rocher durant le temps biblique de 40 jours. Cependant, cette tentative constitue autant un échec qu’un exploit, car il avait prévu d’y rester six mois, et a ainsi démontré la difficulté d’habiter le lieu.
Depuis, ce record a été battu à deux reprises. En 1997, trois militants de Greenpeace établirent le record à 42 jours, avec le projet d’en faire un État utopique, dénommé Waveland, et surtout l’objectif de protester contre la prospection pétrolière dans les eaux environnantes[5]. En 2014, l’aventurier Nick Hancock a poussé la performance jusqu’à 43 jours, déclarant lors de son retour sur le plancher des vaches avoir envie « d’une part de pizza et d’une pinte de bière » [6]. Vivre à Rockall nécessite un moral d’acier.
Finalement, même entre pays d’Europe occidentale, des conflits territoriaux peuvent parfois subsister, y compris lorsqu’ils sont supposés être tranchés par un droit international qu’ils sont tous censés reconnaître. Même si la situation n’est pas comparable à celle de la Chine du sud, les tensions risquent de s’exacerber avec le Brexit. Du reste, le rattachement administratif du rocher à l’Écosse pourrait rajouter une couche de complexité si celle-ci prenait le chemin de l’indépendance. Verra-t-on Boris Johnson, à la façon du président philippin Rodrigo Duterte, promettre d’enfourcher un jet-ski pour aller sur Rockall y affirmer la souveraineté britannique ?
Notes
[1] https://www.irishtimes.com/news/politics/who-owns-rockall-a-history-of-disputes-over-a-tiny-atlantic-island-1.3919668
[2] https://www.bbc.com/news/world-europe-48724832
[3] https://irelandbyways.co.uk/top-irish-peninsulas/irelands-northwest/co-donegals-offshore-islands/rockall/
[4] http://news.bbc.co.uk/onthisday/hi/dates/stories/september/21/newsid_4582000/4582327.stm
[5] https://www.theguardian.com/theguardian/2011/jan/01/john-vidal-rockall
[6] https://www.dailymail.co.uk/news/article-2696222/Nick-Hancock-spends-43-days-Rockall-island-Scotland-missing-World-Cup.html