Entretien avec Jean de Gliniasty – Les relations franco-russes, histoire des frères ennemis

26 février 2021

Temps de lecture : 4 minutes

Photo : Russian President Vladimir Putin (L) and French President Emmanuel Macron attend a joint news conference following their talks at the Palace of Versailles, near Paris, FRANCE - 29/05/2017. Vladimir Putin visits France on the invitation of French President Macron. //JEE_emvp.08/Credit:J.E.E/SIPA/1705301020

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Entretien avec Jean de Gliniasty – Les relations franco-russes, histoire des frères ennemis

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À l’approche des prochaines élections présidentielles, souvenons-nous qu’il y un peu moins de quatre ans, Emmanuel Macron avait promis un rapprochement entre la France et la Russie. Si cela s’avère être une réalité dans de nombreux domaines, bien des divergences et oppositions nous séparent encore aujourd’hui. C’est dans cette situation délicate que Son Excellence, Monsieur l’Ambassadeur Jean de Gliniasty, qui a officié par le passé en Russie, vient nous livrer son analyse pertinente et visionnaire sur les relations qui existent entre nos deux pays.

 

 Jean de Gliniasty est ambassadeur. Il a été notamment en poste à Moscou de 2009 à 2016. Propos recueillis par Étienne de Floirac.

 

La relation franco-russe semble différente aujourd’hui par rapport à hier. Si l’histoire a vu nos deux pays s’opposer, la période contemporaine semble être marqué par une véritable hostilité (réciproque ?) qui traduit des désaccords de fond. Comment expliquez-vous cela ?

 

Je ne parlerai pas d’hostilité réciproque, mais plutôt de fortes tensions. De nombreuses tentatives de rapprochement ont eu lieu toutes sans lendemain, mais qui manifestent un souci de rapprochement qui demeure. Il est vrai que les choses ont changé en profondeur. Du temps de De Gaulle, de Pompidou, de Giscard ou de Chirac, la relation avec la France, parfois difficile, était perçue par les Russes comme spécifique. De nombreux éléments l’expliquaient : des références historiques communes telles la Première Guerre mondiale ou le Régiment Normandie-Niemen en 1944, la connaissance au sein d’une partie de la population cultivée de la langue et de la culture de l’autre, le positionnement particulier de la diplomatie française au sein de l’Alliance atlantique, l’existence en France d’un Parti communiste encore puissant… La plupart de ces facteurs ont disparu ou se sont affaiblis avec le temps. La Russie a connu à partir de la chute de l’URSS une évolution rapide des mentalités fortement marquée par l’influence américaine, la France, comme le reste du monde s’est aussi américanisée. Les liens culturels se sont banalisés. La politique étrangère française s’est donné comme priorité de construire l’ « Europe puissance », au prix de nombreuses concessions à l’esprit de l’Alliance atlantique, au point de rentrer en 2009 dans son organisation intégrée pour pouvoir faire progresser l’Europe de la Défense.

Mais l’Union européenne était désormais élargie à des États membres qui avaient quelques raisons de se méfier de la Russie et comptait plus sur Washington que sur Bruxelles ou Paris pour leur sécurité. Paris n’a pas pu, ni voulu vraiment, infléchir le cours de la diplomatie d’une Europe où le poids de l’influence américaine au sein des nouveaux adhérents se faisait de plus en plus sentir. En sens inverse la Russie après l’effondrement des années 1990 était résolue à reprendre son statut de grande puissance au besoin par un interventionnisme accru, dès lors qu’elle estimait, à tort ou à raison, que les voies pacifiques et non conflictuelles étaient bouchées. C’est le sens du discours de Poutine à Munich en 2007. Cette réaffirmation de la Russie comme grande puissance est très mal acceptée par un bloc occidental où la France est de plus en plus intégrée.

 

Dès le début de son mandat, le président Macron a souhaité faire un pas en direction de la Russie. Par rapport à ses prédécesseurs, pourriez-vous qualifier sa politique russe de succès pour nos deux pays ?

 

Le président  Macron a pris de nombreuses initiatives appréciées par la Russie : l’invitation de son homologue russe à Versailles dès son investiture, la création du Dialogue de Trianon entre les sociétés civiles, l’invitation à Brégançon, l’appel à une réorientation de l’OTAN dont la Russie ne devrait  plus  être l’ennemi systémique,  la volonté de construire une « nouvelle architecture de sécurité » en Europe qui permettrait de régler les conflits gelés et de mettre fin à la tension… À chaque fois ces ouvertures ont été fortement critiquées par nos alliés européens, l’Allemagne notamment. À la volonté française de ne pas trop malmener la solidarité européenne, s’est ajoutée l’accumulation de manifestations d’un durcissement politique interne de la part des autorités russes qualifiées par la France de « dérive autoritaire » (lois restrictives des libertés publiques, empoisonnement au neurotoxique de Skripal au Royaume-Uni, de Navalny en Russie…)  entrainant le vote  de nouvelles sanctions  en plus des restrictions imposées à Moscou après l’annexion de la Crimée et de la guerre au Donbass. La crise de la Covid, bloquant les visites au Sommet, n’a pas arrangé les choses. Du côté russe on estime que la priorité est d’établir un dialogue, aussi difficile soit-il, avec le nouveau président américain, on attend la succession de madame Merkel en Allemagne et sans doute aussi l’élection présidentielle française en 2022. Pour l’instant la situation est plus ou moins au point mort malgré la poursuite des contacts à bas bruit. On ne peut parler de succès.

 

Globalement, quelle est la représentation russe de la France au XXIe siècle ?

 

Il y a dans l’opinion russe envers la France une petite affection que l‘on pourrait qualifier de résiduelle, héritée de la Russie tsariste et paradoxalement de la période soviétique. Mais les médias d’État traitent maintenant la France plutôt comme un adversaire, parmi d’autres, de la Russie. La banalisation de la relation est manifeste. La chute rapide en une dizaine d’années de l’enseignement du français en Russie et de la langue russe en France en est le signe. La Russie est souvent tentée de faire des États-Unis l’interlocuteur principal pour le bloc occidental et de l’Allemagne un partenaire déterminant pour l’Union européenne. Cette tendance sera accentuée en cas d’achèvement du gazoduc Nordstream 2 apportant directement le gaz naturel russe à l’Allemagne, encore soutenu par madame Merkel, auquel Moscou tient beaucoup et Paris s’oppose.

 

Pensez-vous, aux vues de nos nombreuses oppositions géopolitiques, que la relation franco-russe soit encore marquée par un état d’esprit de « Guerre froide » ? Dans quelle mesure notre appartenance à l’OTAN amplifie-t-elle ces antagonismes ?

 

Il manque pour faire une « Guerre Froide », les deux idéologies opposées et conquérantes qu’étaient la démocratie libérale et le communisme. Or la Russie, malgré une pratique autoritaire, est économiquement libérale, accepte les références à l’état de droit, aux droits de l’homme ou à la démocratie et n’a aucunement l’intention d’exporter son système politique. De plus l’émergence de la Chine comme très grande puissance, érigée en adversaire principal par Washington, change la donne. Il y a de fortes tensions géopolitiques en Ukraine, au Moyen-Orient ou en Afrique. Mais elles restent du domaine de la négociation classique. Il est clair que la réintégration de la France dans l’organisation intégrée de l’Alliance Atlantique rend ces négociations plus difficiles.

 

Dans quels domaines peut-on et doit-on espérer un rapprochement entre nos deux pays ?

 

Le champ de la coopération est immense, y compris dans le domaine des vaccins, mais tout est bloqué par les sanctions économiques provoquées par la crise ukrainienne et renforcées progressivement. La période préélectorale qui s’ouvre en France est évidemment peu propice à de nouveaux développements positifs.

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À propos de l’auteur
Etienne de Floirac

Etienne de Floirac

Étienne de Floirac est journaliste

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