« Je vais former mes fils à prendre la relève ». Rencontre avec Abu Said

11 juillet 2024

Temps de lecture : 6 minutes

Photo : Faisal Bashir / SOPA//SOPAIMAGES_SOPA0201/Credit:SOPA Images/SIPA/2409301026

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« Je vais former mes fils à prendre la relève ». Rencontre avec Abu Said

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À Saïda, l’antique Sidon, le Hamas est implanté pour former ses troupes et maintenir la lutte contre Israël. C’est dans un café de la ville que nous a donné rendez-vous « Abu Said ». Une rencontre pour comprendre le fonctionnement de l’organisation et ses ressorts dans le temps long.

Abu Said est commandant militaire du Hamas pour la région de Saïda au Liban.

Le Liban est une des rares bases arrière où l’on peut rencontrer des cadres du Hamas alors que les combats font rage à Gaza, toujours inaccessible aux journalistes. J’ai réussi à rencontrer « Abu Said », le responsable militaire du Hamas au Sud Liban. Pour Conflits, il a accepté de revenir sur son enfance et son parcours initiatique où dès le plus jeune âge, son mouvement, le Hamas, l’a plongé dans l’apprentissage de la foi islamique et l’a militairement formé.

Le parti islamique a su aussi tirer à son profit le ressentiment de la population palestinienne vis-à-vis à des actions israéliennes comme la colonisation et les bombardements massifs de civils. C’est en profitant du terreau propice créé par Israël et en encadrant de manière stricte ses membres que le Hamas crée des individus entièrement dévoués aux objectifs du mouvement.

Dans un café de Saïda

Parvenus au lieu de rendez-vous, un café dans la ville de Saïda, nous prévenons Abu Said, par SMS, de notre arrivée. Il nous répond : « Je sais que vous êtes là. ». Signe que le Hamas sait parfaitement qui rentre et sort de la ville. Nous l’attendons et les minutes passent. Soudain, un homme au regard suspicieux passe devant le café. Il semble inspecter les lieux. Il regarde à l’intérieur de l’établissement. Satisfait, il ressort et examine les voitures garées aux alentours. L’individu repart d’où il vient. Nous avons compris. Il était là pour s’assurer qu’Abu Said serait en sécurité. Quelques instants après son départ, nous recevons un message de l’intéressé : « J’arrive. ».

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Par mesure de sécurité, pour éviter d’être écoutés ou ciblés par un drone israélien, nous déposons nos téléphones portables dans la voiture. Un SUV noir et massif se gare devant le café, c’est Abu Said. Il nous rejoint à notre table. Il commande un café, s’allume une cigarette puis un avec un regard sévère il nous demande « Vous n’avez rien d’électronique sur vous ? Vos téléphones sont-ils dans votre voiture ? » Nous lui répondons par l’affirmative. Il nous confie que lui aussi est venu sans téléphone. Les assassinats ciblés israéliens ont fait effet. Le Hamas a dû renforcer ses mesures de sécurité. La crainte d’être éliminé par un drone ou une frappe aérienne est bien réelle. Il ingurgite une gorgée de café puis tire longuement sur sa cigarette avant de nous raconter son histoire.

Une vie dans les camps

Né dans un camp de réfugiés palestinien au Liban, Abu Said a vécu une enfance marquée par les récits de la Palestine. Sa famille a précieusement gardé la clé de leur maison en Palestine, « c’est le symbole de la terre qui nous a été prise. » Sa famille, à l’instar de beaucoup d’autres, l’a élevé dans l’idée qu’un jour les Palestiniens seront assez forts pour reconquérir leurs terres perdues. « On me parlait sans cesse du jour où notre peuple serait libre, » se souvient-il. Comme il le dit lui-même, ces récits ont semé en lui les « graines de la résistance et de la nécessité de prendre les armes ». Des convictions qui se sont renforcées au fil des années. Il a aussi été inspiré par des gens autour de lui. Comme son grand-père et ses amis morts en combattant en Israël.

Mais il a surtout suivi l’exemple de Sheikh Yassine, le fondateur du Hamas. « Malgré son lourd handicap, il a mené le jihad contre l’ennemi sioniste. Avec un tel exemple, qui peut avoir une excuse pour ne pas faire le djihad ? ». Il a grandi dans un environnement où tout le conduisait à prendre les armes. Au-delà du cercle familial, les idées de luttes armées se sont aussi transmises à travers l’école et ses amis. Aussi loin qu’il se souvienne, il a toujours joué à la guerre avec ses camarades. Des pierres et des bouts de bois leur servaient d’armes. Dans sa madrasa (école religieuse) en plus d’apprendre par cœur le Coran, ses professeurs lui parlaient de la Palestine et de la nécessité de continuer la lutte. Pour eux, c’est un devoir sacré qui incombe à chaque nouvelle génération. Abu Said explique que les jeunes sont éduqués et formés pour assumer cette responsabilité. Comme tous ses amis, il voulait être un combattant et il a été formé très tôt pour le devenir.

« Ce qui a été pris par la force ne peut être récupéré que par la force. »

La madrasa est nécessaire pour avoir une formation idéologique, explique-t-il. Dans cet établissement, quand un jeune apprend par cœur un chapitre du Coran, il est récompensé. « Cela motive les enfants à continuer l’apprentissage du Coran. Nous avions aussi le jour du salut. Les professeurs nous donnaient un peu d’eau et une datte. Nous devions tenir deux jours avec ça. »

Il poursuit en expliquant que cette journée a un double objectif. Cela permet aux enfants d’apprendre progressivement à jeûner et à les endurcir. Cependant, la formation physique et militaire se fait en dehors de l’école religieuse. À l’âge de six ans, Abu Said a rejoint les scouts. Cette première étape est faite pour que les enfants s’habituent à la vie en communauté et à la rusticité de la vie militaire. À partir de neuf ans, les jeunes commencent les entrainements sportifs. La course à pied, la marche en montagne, l’escalade et les sessions de camping renforcent leurs capacités physiques. Lorsqu’il a fêté son douzième anniversaire, il a pu commencer le maniement des armes à feu. Se sentant « plus militaire que religieux », Abu Said quitte sa madrasa à l’adolescence afin de se consacrer entièrement à sa formation militaire.

Le Hamas et le terrorisme : une étude de cas instructive

Une fois sa majorité atteinte, il était un combattant formé et opérationnel. Entraîné à la plongée sous-marine, au combat en montagne et au maniement de différentes armes, il était prêt pour le combat. Pour lui, il n’y a pas d’alternative à la guerre. « Ce qui a été pris par la force ne peut être récupéré que par la Force ». Il précise que durant tout le processus de formation, les officiers du Hamas et surtout le service de sécurité observent très attentivement chaque recrue. Le parti islamiste examine ses membres durant leur formation dans les camps ou à l’école et même dans leur vie privée. « C’est comme cela que sont sélectionnés les meilleurs combattants et surtout les plus fidèles. » Ce processus dure en moyenne trois à quatre ans. Il poursuit en expliquant que cette surveillance est permanente, même une fois devenu officier. Pour le devenir « il faut faire partie des plus doués et des plus motivés ».

Après avoir été sélectionnée, leur candidature est soumise au vote des cadres militaires. Une fois élus, les candidats reçoivent une formation d’officier dans un camp dédié à cela. « Quant à moi, j’ai été formé pour devenir commandant sur le terrain. » Ces commandants ont la charge d’une zone bien définie. « Moi, j’ai été affecté dans la zone de Saïda, que je commande depuis quatre ans. »

Une enfance au cœur du Hamas

Lorsqu’il est interrogé sur les motivations qui l’ont poussé à rejoindre le Hamas, Abu Said, marque une pause. Il s’allume une autre cigarette. Il prend le temps de réfléchir avant de répondre. Il revient sur son enfance dans les camps de réfugiés où l’insécurité était grande. Il se souvient que depuis sa maison il entendait les coups de feu, « Les gens s’affrontaient dans le camp, on voyait des personnes se faire assassiner. Cela marque énormément un enfant ». Pour lui il n’y avait qu’une seule organisation qui pouvait mettre fin à cela. C’était le Hamas. Il a été attiré par son sens de la discipline, son amour de la religion et surtout par les rapports très « humains » qu’entretiennent entre eux les membres de l’organisation, explique-t-il. « Je sais que j’ai fait le bon choix ».

Il prend pour exemple la popularité grandissante du parti islamiste auprès de la population palestinienne et notamment auprès des plus jeunes. Père de famille, il considère qu’à présent il doit transmettre à ses enfants les principes dans lesquels il a été éduqué. « Mon fils de six ans veut ressembler à Abu Obayda [porte-parole du Hamas]. Il veut son uniforme et son bandeau. Cela me rend fier. Je vais former mes fils à prendre la relève. Je veux qu’à partir de neuf ans ils sachent monter et démonter une arme. »

Il est vrai que dans les camps palestiniens au Liban, la popularité du Hamas est grandissante. L’attaque du 7 octobre a renforcé la popularité de l’organisation. Cependant, il se dit pragmatique et réaliste sur la situation militaire entre les factions palestiniennes et Israël à Gaza. « Nous pouvons perdre un bout de Palestine, comme c’est déjà arrivé par le passé. Mais un jour, nos enfants reprendront tous les territoires perdus. Les Israéliens ne comprennent pas que plus ils nous tuent, plus la détermination de notre peuple grandit ».

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À propos de l’auteur
Pierre-Yves Baillet

Pierre-Yves Baillet

Journaliste indépendant spécialisé sur la géopolitique du Moyen-Orient.

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