Détruit en 1945 et interdit de posséder une véritable armée l’année suivante, la puissance japonaise n’est plus que le reflet d’elle-même au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Allié du camp occidental, elle se doit de composer avec les ambitions de ses voisins chinois ou russes. Son avenir, imprévisible car imprédictible, n’est pas sans poser de question. Comment l’alliance d’un soft power des plus influents aux volontés économiques d’un archipel qui se cherche une place sur la scène régionale aboutera-t-il ?
L’Empire du soleil levant entretient une relation complexe avec la notion de puissance. Il s’est souvent protégé. Contre la Chine d’abord, dont il a emprunté bien des éléments civilisationnels : les typhons (vents divins, kamikazes) balaient la flotte mongole venue l’envahir. Archipel, il inscrit dans sa Constitution de 1946, à la demande de l’occupant américain où régnait le proconsul MacArthur, l’interdiction du maintien d’un potentiel de guerre, d’où le terme de « forces d’autodéfense », assigné à son armée, qui figure au 7e rang pour ses défenses, qui sont passées de 39 milliards d’euros en 2018 à 42 milliards en 2019. Toutefois, ce budget militaire reste encore en deçà du plafond symbolique fixé en 1976 à 1% du PIB, limite correspondant à l’esprit pacifiste de la Constitution japonaise, même si sous l’impulsion de Shinzo Abe, Premier ministre depuis 2012, la posture de défense de l’archipel s’est considérablement renforcée.
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Dès les débuts de la guerre froide, à la faveur de la guerre de Corée, le Japon s’est arrimé durablement au camp occidental dont il a besoin pour assurer sa sécurité. Il est intéressant de remarquer que durant le règne de l’apartheid, le régime sud-africain, qui avait soigneusement défini les différentes races, ne classait pas les Japonais parmi les Asiatiques, mais les « Blancs d’honneur ». La diplomatie japonaise, très liée à celle de Washington, a réussi à jouir d’une relative autonomie, en partie grâce au miracle économique qu’a connu ce pays. Lors des années 1960, le pays connut des taux de croissance à deux chiffres, d’où le titre de l’ouvrage de Robert Guillain longtemps correspondant du journal Le Monde à Tokyo : Le Japon, troisième Grand. C’est dès la fin du XIXe siècle, avec la révolution du Meiji, que le Japon fait le pari de la modernité. Depuis 1991, après l’éclatement de la bulle immobilière et boursière devenue « folle », le Japon est entré dans une stagnation de longue durée, alors que sa population vieillit. Les défis auxquels il doit faire face sont nombreux. Il a mal vécu la prodigieuse ascension de la Chine avec laquelle il avait normalisé ses relations en 1972, mais qu’il traitait avec une légère condescendance. Il n’a toujours pas signé de traité de paix avec la Russie, butant toujours sur la question des territoires du Nord, désireux de récupérer les quatre îles Kouriles que Moscou n’entend pas lâcher, envisageant tout au plus une sorte de cogestion sur deux d’entre elles. La liste des questions s’est depuis allongée. Comment forcer la Corée du Nord à renoncer à son programme nucléaire ? Comment contenir la puissance maritime chinoise ? Comment réagir face à une administration américaine protectionniste et un régime chinois supposément libre-échangiste ? Cet ouvrage collectif, coordonné par Guibourg Delamotte, maîtresse de conférences en sciences politiques à l’Inalco et enseignante à Sciences Po Paris, offre un panorama du rayonnement du Japon dans le monde et de ses limites. Il aborde d’abord les paramètres intérieurs de la puissance japonaise (aspects politiques, économiques et sociaux), le particularisme japonais, son insularité, la longue hégémonie politique du PLD, Parti social-démocrate qui a exercé le pouvoir presque continûment depuis 1946 ; autant de caractéristiques de ce pays à nul autre pareil. Ce qui se dégage principalement, c’est le paradoxe japonais, le contraste grandissant entre la puissance économique mondiale et la réclusion sociale. L’un des indices est le très faible taux de l’IDE (investissement direct étranger) qui représente 4% du PIB contre environ 30% en France, plus de 20% en Allemagne et plus de 30% aux États-Unis. Par ailleurs, le nombre d’étrangers, s’il augmente, représente à peine 2% de la population nationale, alors que plus de 5% de la population suédoise est composée d’étrangers hors UE, un pourcentage qui atteint 6,3% en Allemagne et 8,5% en Suisse. Puis l’ouvrage se concentre ensuite sur les défis sécuritaires (nature des menaces régionales) et les réponses apportées (alliance nippo-américaine, relation Japon-Union européenne), pour se concentrer enfin sur les instruments multilatéraux de la diplomatie de puissance japonaise. Le bilan de la présidence Trump pour l’alliance nippo-américaine est donc pour le moment contrasté. Sa pratique de l’alliance a fondamentalement renforcé les tendances qui préexistaient : mise en évidence d’un repli stratégique américain, renforcement des craintes d’abandon de la part du Japon et, en réaction, rééquilibrage des rôles au sein de l’alliance et mis en place, par Tokyo, de stratégies d’enfermement comme l’intégration des États-Unis au sein d’un réseau de partenaires asiatiques. On notera un article fort détaillé sur les relations Japon-UE : la signature, par l’Union européenne et le Japon à l’occasion de leur 25e sommet bilatéral, le 17 juillet 2018 à Tokyo, de l’Accord de Partenariat stratégique (APS) et de l’Accord de Partenariat économique (APE), a été célébrée de part et d’autre comme un « moment historique » dans la relation UE-Japon.
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Selon le classement annuel des nations les plus influentes, Soft Power 30, le Japon, après avoir amélioré son rang d’année en année, a néanmoins rétrogradé de la 5e place en 2017 à la 8e en 2018 sur la scène internationale. Le Japon bénéficie aujourd’hui d’une grande attractivité culturelle et sa puissance économique et technologique lui permet de contribuer à la résolution de multiples défis mondiaux. Pour autant, l’archipel pourrait encore révéler davantage le potentiel exceptionnel de son soft power en étoffant son image au-delà de ses simples attraits culturels, industriels et technologiques. Le développement d’une vision stratégique lui permettrait de renforcer la diffusion de l’information sur ses multiples activités en langue étrangère tout en se forgeant une identité plus affirmée sur la scène internationale.
Sous la direction de Guibourg Delamotte, Le Japon dans le monde, CNRS Éditions, 2019, 252 pages