<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> La construction nationale de l’Italie

23 novembre 2020

Temps de lecture : 3 minutes

Photo : La ville de Florence, en Italie. Photo : Pixabay

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La construction nationale de l’Italie

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Nos souvenirs historiques sont jalonnés de mots et de formules à succès. Malheureusement, ces mots ne sont pas toujours aussi « historiques » qu’il semble. Débusquer le caractère apocryphe de certains d’entre eux, ou retrouver leur sens original en retraçant leur contexte, telle est l’ambition de cette rubrique.

« Nous avons fait l’Italie, maintenant nous devons faire les Italiens. »

Voilà une formule sans doute vouée à rester anonyme. En effet, l’auteur auquel elle est le plus souvent attribuée – Massimo d’Azeglio (1798-1866) – ne l’a jamais formulée, même s’il en partageait probablement l’approche.

Elle résume en tout cas très bien le paradoxe de la construction nationale au XIXe siècle, plus encore dans des espaces politiques restés morcelés jusque-là. Ici la construction nationale s’est faite tardivement sous l’impulsion des populations urbaines, instruites, et comme résultante d’un rapport de forces géopolitique favorable à des États fédérateurs, poursuivant un plan préétabli : la Prusse pour l’Allemagne, le Piémont pour l’Italie. L’Italie s’est d’ailleurs faite en plusieurs étapes : après un échec en 1848-1849 face à la réaction autrichienne, l’appui français en 1859 permet au Piémont de rallier le Nord de la péninsule après les victoires de Magenta et Solférino, et l’expédition des « Mille » de Garibaldi emporte la Sicile et l’Italie du Sud en 1860. Il faudra quand même attendre 1866 pour récupérer la Vénétie et 1870 pour occuper les États de l’Église et Rome, qui devient enfin capitale après Turin et Florence.

Si la bourgeoisie urbaine, imprégnée de l’idéologie nationale – au double sens politique et patriotique –, accueille cette unification avec enthousiasme, il n’en va pas forcément de même des autres catégories sociales : l’aristocratie foncière y perd une partie de son pouvoir (cf. le roman de Lampedusa, Le Guépard) et les masses rurales restent largement indifférentes, voire hostiles quand l’unification se traduit par une baisse de leur niveau de vie, comme c’est le cas dans l’Italie du Sud (le Mezzogiorno) ; l’unité italienne entraîne en effet une inversion des polarités économiques tandis que la fin des douanes intérieures et de la cour de Naples ruine les industries méridionales au profit de la puissante Lombardie – le Mezzogiorno est désormais dominé par un prolétariat rural d’ouvriers agricoles, encadré par les « mafias » naissantes.

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Pour fédérer ces régions disparates, l’Italie utilise les mêmes outils que les autres nations : l’instauration d’un service militaire obligatoire, en 1872, et un système d’enseignement gratuit et public, dès 1877. C’est l’année même où paraît, en France, un ouvrage destiné aux écoliers, le Tour de France par deux enfants, qui sera imité une dizaine d’années plus tard par de Amicis avec un récit initiatique intitulé Cuore (« Le Cœur ») qui décrit les richesses et la diversité italiennes en exaltant le sentiment national transcendant les particularismes. Ce livre aura un grand succès, pourtant il semble qu’au moment de la Première Guerre mondiale, les ruraux, qui composent la grande majorité de l’infanterie comme en France, par exemple, soient encore peu touchés par cette culture unitaire.

La Grande Guerre, avec son mélange de désastres (Caporetto) et de succès (Vittorio Veneto) contribue à ancrer et à généraliser la culture patriotique, sur laquelle jouera pleinement le fascisme qui reprend, à sa manière, l’obsession de « faire des Italiens » – en partant de la conviction que cette tâche n’est pas encore accomplie, ou qu’elle est menacée par les idéologies libérales ou internationalistes ; il se réclamera d’un « second Risorgimento » ? Il n’est d’ailleurs pas indifférent que les deux États où s’épanouirent le nazisme et le fascisme soient aussi ceux dont le processus d’unification était le plus récent et largement inachevé – s’ajoutant à la déception de la fin du conflit.

Née un siècle après l’Italie, l’Europe n’est-elle pas dans une situation similaire ? Elle s’est faite par un processus de construction porté par les classes urbaines et libéralo-progressistes, mais ne reste-t-il pas à faire des Européens ?

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Photo : La ville de Florence, en Italie. Photo : Pixabay

À propos de l’auteur
Pierre Royer

Pierre Royer

Agrégé d’histoire et diplômé de Sciences-Po Paris, Pierre Royer, 53 ans, enseigne au lycée Claude Monet et en classes préparatoires privées dans le groupe Ipesup-Prepasup à Paris. Ses centres d’intérêt sont l’histoire des conflits, en particulier au xxe siècle, et la géopolitique des océans. Dernier ouvrage paru : Dicoatlas de la Grande Guerre, Belin, 2013.
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