Le monde est contaminé. Le covid-19 – ou coronavirus – infecte toute la planète. L’Italie, le pays le plus touché en Europe, est face à un défi titanesque et encore une fois les Italiens se sentent ignorés et abandonnés.
Christine Lagarde est la cible de la furie italienne après ses propos désobligeants sur la situation dans le Belpaese. De la droite à la gauche tous sont d’accord pour dire que les organisations européennes devraient tacler la pandémie avec véhémence, sans retenues comptables ni calculs bureaucratiques. La Française a rétropédalé, en disant que la BCE veut éviter une quelconque fragmentation de la zone euro. Peu importe, son commentaire sur le spread reste gravé dans les têtes cisalpines.
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Dans la péninsule italique au temps du coronavirus
Le Partito Democratico, où l’européisme fervent est souvent visible, a dû se coller aux propos de von der Leyen et a désavoué la froideur de Lagarde. Emanuele Felice, l’un des responsables des questions économiques du parti, a dit que les paroles de la présidente de la BCE sont surprenantes. Il a aussi appelé à un changement de cap : « Aujourd’hui plus que jamais il faut que les institutions européennes mettent en marche tout le nécessaire pour affronter une émergence sans précédent. »
Giorgia Meloni, meneuse des Fratelli d’Italia, tire à boulets rouges sur l’establishment bruxellois. Elle est profondément convaincue que l’UE est dirigée par un axe franco-allemand qui se soucie peu des autres pays. Elle craint que la crise actuelle puisse être instrumentalisée par les forces étrangères pour affaiblir l’Italie et lui enlever ses ressources. Selon Meloni, le gouvernement italien doit demander la démission de Christine Lagarde. Elle a rappelé à travers les réseaux sociaux que la BCE doit être la banque centrale des Européens et non la banque centrale allemande ou française. On ajoutera que la fragilité de l’euro peut réapparaître, une monnaie que Meloni classifia jadis comme inadaptée.
Un échange tendu entre un journaliste italien et Matteo Renzi est la preuve que les Italiens se méfient de plus en plus des structures européennes. Renzi voulait amoindrir l’importance des mots de Lagarde et déclara que dire que l’Europe est immobile est populiste. Le journaliste, Massimo Giletti, s’exalta et rétorqua enflammé : « Vous devez avoir le courage de demander la démission de ce type de personne, parce que sinon, ce pays, l’Italie, n’est même pas pris en considération. »
L’Italie courtisée par plus d’un
Les contradictions d’un système à bout de souffle rappellent aux Italiens le sort des Grecs. Avant que la situation ne devienne trop sérieuse nous étions témoin des colonnes qu’Erdogan voulait lâcher sur la Grèce, pays martyr s’il en est. Malgré les inimaginables privations qu’elle a subies, la Grèce essayait de tenir tête à l’État turc. Les Autrichiens continuent leur tradition, vieille de six siècles, de résistance face au projet européen de la Sublime Porte, en envoyant des hommes pour protéger la frontière grecque. La focalisation médiatique sur la pandémie détourne les yeux des Européens des nouvelles vagues populationnelles venues d’ailleurs ; l’administration turque s’empresse d’en profiter.
La Chine a apporté son aide aux Italiens, en envoyant un avion plein d’objets utiles pour faire face à la pandémie – des masques, des vêtements de protection, des gants, etc. La Russie, à son tour, est montée au créneau; Poutine a pris la décision d’envoyer neuf avions en Italie. Huit groupes mobiles de virologues sont attendus sur place pour fournir leur expertise aux autorités italiennes. La Russie a également mis à la disposition de l’Italie des véhicules de désinfection hautement performants. Il va sans dire que la présence russe est vue comme suspecte au-delà de l’Atlantique.
Le gouvernement nord-américain sait que l’Italie reste dans sa sphère d’influence depuis 1945, mais au fur et à mesure que le temps s’écoule elle regagne une autonomie préoccupante. Pensons tout simplement aux relations tendres entre Silvio Berlusconi et Vladimir Poutine ou aux liens supposés entre Matteo Salvini et des agents d’influence dans l’orbite de Moscou. Ces deux exemples montrent que l’angoisse nord-américaine n’est pas forcément dépourvue de raison. Sur ce point, l’Italie partage le même destin que l’Allemagne – trop émotionnellement et économiquement liées à la Russie.
Et que dire de la somptueuse pompe des Italiens quand ils ont reçu les Chinois en 2019. À l’époque, le gouvernement était constitué par une alliance entre la Ligue de Salvini et le Mouvement 5 Étoiles de di Maio. Les images d’Antonio Conte et Xi Jinping parcoururent la planète et les accords signés furent promptement dénoncés par Washington. La rupture du gouvernement giallo-verde a un rapport direct avec cette entente entre Rome et Pékin. La diplomatie trumpienne a fait comprendre à Salvini qu’un rapprochement avec les Russes pourrait être accepté pour les séparer des Chinois, mais qu’une entente avec ces derniers était hors de question. La suite déboucha sur un coup de théâtre, Salvini essaya de forcer les élections, mais fut désarmé par un accord entre le Mouvement 5 Étoiles et le Parti Démocrate, anciens rivaux devenus alliés pour lui barrer la route.
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L’éternelle lumière de Rome
La guerre d’influence entre l’Amérique, la Russie et la Chine atteint des niveaux paroxystiques en Italie. Bien au milieu de la Méditerranée le pays de Dante se trouve coincé entre un nord riche, mais vieux et un sud pauvre, mais en pleine explosion démographique. Le conflit géoéconomique sino-américain autour de Gênes et Trieste s’accentue et il demeure l’une des données pour saisir si notre siècle appartiendra à l’aigle ou au dragon. La Russie poutinienne pourra être le kingmaker, cet élément qui tranchera en choisissant entre les deux colosses. Durant les pénibles épreuves actuelles, à cause du coronavirus, l’Italie renforce sa centralité dans cette guerre de propagande pour conquérir âmes et cœurs.