Signe que les affaires reprennent avec l’Iran, le président Rohani est en France cette semaine. Pour les directeurs commerciaux toutefois, l’un des obstacles à la négociation avec les Iraniens est une perception différente du temps : dans le monde persan, le temps semble suspendre son vol.
Dans la culture iranienne, la patience incarne en effet la noblesse d’une administration plurimillénaire, la force inexorable du droit, et la sérénité dans l’exercice de la justice. Bref, la lenteur est fondamentalement associée à la majesté.
Même s’il est très difficile de prendre la mesure du rythme des empires, plusieurs indices permettent d’affirmer que le temps immobile est une notion aussi étrangère à la Perse antique qu’à Rome : la monarchie Achéménide doit son expansion à la rapidité des opérations militaire, commerciales et administratives. Ce trait de civilisation perdure sous la dynastie Sassanide. Il trouve un écho dans la culture juridique romaine dans laquelle tout acte s’inscrit dans un temps contraint. À cet égard, le Moyen-âge représente un moment décisif où la Perse et la France s’éloignent dans leur rapport au temps. En Perse, nait une culture de l’inertie qui s’enracine à la fois dans le fatalisme et l’esprit de résistance aux conquérants étrangers. À l’inverse, la culture romaine des délais contraints est consolidée en France par un christianisme où chacun doit donner du fruit dans l’espace d’une vie limitée avant d’entrer dans l’éternité. Pour le livre de l’Apocalypse : « Déjà l’ange de l’Éternel a levé la main et bientôt il aura juré qu’il n’y a plus de temps ». Pour un verset du Coran à l’inverse, « La lenteur délibérée vient du Miséricordieux tandis que la hâte vient de Satan, le maudit ». L’on peut ainsi opposer une culture persane de la patience, fruit d’une imprégnation religieuse et d’un savant calcul, à une culture française où la conscience très nette de la limitation du temps s’est traduite par la mise en place de procédures juridiques rapides.
L’Iran contemporain continue de cultiver une véritable stratégie de la patience. Cette nécessité de prendre son temps apparaît par exemple dans une interview de Mohammad Khatami qui déclare : « Naturellement, bâtir une société idéale avec l’ordre qui lui est inhérent demande du temps. Nous avons la patience nécessaire, notre peuple également ». En matière industrielle, Britanniques, Américains ou Français notent que les négociations avec l’Iran mettent beaucoup plus de temps qu’en d’autres parties du Moyen-Orient. Après avoir négocié cinq ans avec les Iraniens, les membres de la direction de BP commencent à s’impatienter. Cargill, l’un des directeurs pense qu’il est en train de perdre son temps et veut mettre un terme aux discussions industrielles. À sa surprise, celles-ci débouchent sur un accord avec les Britanniques. De son côté, Siamak Movahedi, qui interroge en 1979 les américains expatriés en Iran sur leur perception des iraniens note que ceux-ci sont considérés comme peu motivés, n’ayant pas le sens de l’urgence, ayant tendance à prendre systématiquement du retard ou bien à reporter une tâche à une date ultérieure. Les témoignages d’industriels français vont dans le même sens.
Qu’elles soient politiques ou économiques, les négociations en Iran doivent composer avec la longue durée. La durée de ces négociations comporte un avantage certain : elle permet de tisser des relations interpersonnelles sans lesquelles la signature d’un contrat n’est même pas envisageable.
Thomas Flichy de La Neuville
Université de Paris IV – Sorbonne
Photo : Hassan Rohani à New York en septembre 2015. Crédit : Blog do Planalto via Flickr (cc)
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