<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Iran et Chine, mise en perspective d’une alliance en trompe l’œil

4 avril 2021

Temps de lecture : 8 minutes

Photo : Iranian Foreign Minister Mohammad Javad Zarif, right, and his Chinese counterpart Wang Yi, pose for photos after the ceremony of signing documents, in Tehran, Iran, Saturday, March 27, 2021. Iran and China on Saturday signed a 25-year strategic cooperation agreement addressing economic issues amid crippling U.S. sanctions on Iran, state TV reported. (AP Photo/Ebrahim Noroozi)/ENO101/21086438952424//2103271321

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Iran et Chine, mise en perspective d’une alliance en trompe l’œil

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Dans le cadre d’une tournée régionale qui l’a vu passer par Riyad et Ankara, le ministre des Affaires étrangères chinois Wang Yi a fait escale à Téhéran ce 27 mars afin de procéder avec son homologue Mohammad Javad Zarif à la signature d’un accord stratégique et économique liant la Chine et l’Iran. Révélé dans un premier temps en 2020 par une investigation du New York Times[1], l’accord s’étend sur 25 ans et prévoit 400 Mds USD d’investissements chinois, en échange d’un approvisionnement énergétique décoté en provenance d’Iran, vendu 30% moins cher que le prix du marché. L’accord se limite pour l’instant à des principes de coopération matérialisés par 20 articles[2] qui devraient à l’avenir se concrétiser par des MoU (Memorandum of Understanding), qui achèveront d’en détailler les modalités.

 

 

Au contraire de ce que certains affirment, l’accord ne place pas de manière inexorable l’Iran sous tutelle chinoise. Son dernier article rappelle l’attachement qu’accordent les deux pays au JCPOA (barjam en persan), et à l’application de ce dernier par les huit parties. Si l’importance de cet accord est surestimée à des fins politiques par certains, il ne se limite pas non plus à un échange de bons procédés. Son caractère stratégique s’explique par la présence de plusieurs articles révélant l’implication croissante de la Chine au Moyen-Orient. Lesdits articles actent un approfondissement structurel de la coopération sécuritaire qui se traduira par des exercices militaires communs ainsi que des recherches menées conjointement dans le secteur de la défense. Toutefois, alors que l’accord entre les deux États préfigure sinon une alliance du moins un partenariat stable dans la région, la relation bilatérale n’en demeure pas moins asymétrique et subordonnée aux contingences géostratégiques, qui ne manqueront pas d’évoluer dans la région.

 

Les fondements diplomatiques d’un partenariat pérenne

 

Lors de l’avènement de la République islamique en 1979, les intérêts communs entre les deux pays se sont multipliés. Opposants à l’hégémonisme des superpuissances, Téhéran et Pékin concourent à l’émergence d’un système international multipolaire et le pouvoir révolutionnaire iranien est contraint à coopérer avec la Chine dès la guerre Iran – Irak[3]. Sensibles aux élans anti-impérialistes iraniens, les élites chinoises conçoivent progressivement l’Iran comme l’un des rares pays du Moyen-Orient non acquis à la cause américaine. La fourniture d’armes à Téhéran alors que tous les pays occidentaux soutenaient Saddam Hussein dans son effort de guerre a posé les bases d’une relation bilatérale qui s’est peu à peu élargie à d’autres domaines de coopération[4].

 

Aujourd’hui encore, une bonne partie de l’équipement iranien est issue du complexe militaro-industriel chinois. Selon les données du SIPRI, la Chine a été entre 2008 et 2012 le premier fournisseur en armement de Téhéran, le tout en dépit des pressions américaines[5]. En janvier 2016, Xi Jinping s’est rendu à Téhéran. Première visite d’un président chinois en 14 ans, la République Populaire de Chine a élevé la relation qui la lie à l’Iran en un partenariat stratégique global, qui constitue le rang le plus élevé des partenariats institutionnels de la diplomatie chinoise. Ce partenariat repose moins sur des intérêts croisés que sur une vision stratégique semblable. Cette vision consacre la nécessité d’éloigner les États-Unis du golfe Persique autant que faire se peut. Passage maritime par lequel transite un cinquième des approvisionnements énergétiques mondiaux, le détroit d’Ormuz est vital aux deux pays, d’autant que la moitié des approvisionnements énergétiques de la Chine transitent par ce couloir maritime contrôlé conjointement par l’Iran et Oman[6]. Alors que la Chine a tout intérêt à savoir le détroit sécurisé, Ormuz demeure un objet de tension entre les États-Unis, l’Iran et les autres États riverains du golfe Persique[7].

 

Une coopération économique multisectorielle

 

Outre les intérêts stratégiques, le départ des entreprises européennes de peur des sanctions extraterritoriales américaines a permis à la Chine d’investir les possibilités offertes par le marché iranien. Des contrats ont été signés dans les secteurs de la construction, de l’énergie et des transports. Avec une population urbaine et éduquée qui atteindra les 100 millions d’habitants d’ici quelques années, la Chine a trouvé en l’Iran un partenaire pérenne en matière d’exportations, notamment de biens manufacturés. En 2014, les échanges bilatéraux représentaient 44,2 % du total du commerce extérieur iranien. Ce pourcentage a atteint 60,8% en 2018. Cette part demeure toutefois négligeable dans la balance commerciale chinoise dont les hydrocarbures constituent l’essentiel des importations. Avant toute chose, c’est le nécessité de sécuriser ses approvisionnements énergétiques qui intime Pékin à renforcer sa coopération avec Téhéran. Les autorités iraniennes ont bien conscience des intérêts qu’ils ont à cultiver leurs échanges commerciaux, en témoigne une déclaration de l’ancien ministre des Affaires étrangères Ali Akbar Saheli[8] : « Les deux pays sont complémentaires ; ils ont l’industrie, nous avons l’énergie »[9].

 

Importateur net d’hydrocarbures, les principaux fournisseurs de la Chine sont l’Arabie saoudite, l’Angola et l’Iran. Ces dernières années, les investissements chinois dans le secteur énergétique iranien se multiplient. En 2011, la China National Petroleum Company a obtenu les droits exclusifs d’exploitation de plusieurs champs pétrolifères et gaziers iraniens, ce qui n’a pas manqué de susciter des réactions de la part d’une frange des réformateurs iraniens, qui dénonce la dépendance croissante de leur pays envers la Chine. Pour l’Iran, ces investissements sont pourtant essentiels, en 2013, le secteur pétrolier assurait 30% du budget de l’État[10]. Ce secteur demeure d’autant plus stratégique qu’il est la principale source de devises étrangères. Dans une économie asphyxiée par les sanctions économiques depuis plusieurs décennies, les investissements chinois sont un des rares moyens d’assurer la vigueur de ce secteur stratégique. Ce partenariat économique se renforce dans le contexte de la Belt & Road Initiative, à travers laquelle la Chine a promis l’octroi de 35 Mds USD de crédits[11] à l’Iran. Au cœur du dispositif d’expansion économique chinois, l’Iran bénéficie déjà du développement des infrastructures de transport en Asie. En mai 2018, l’agence de presse officielle de Pékin Xinhua a célébré l’arrivée à Téhéran de 1150 tonnes de graines de tournesol, parties de Chine. L’ensemble de la production chinoise se trouve désormais à quelques jours de Téhéran par voie ferroviaire, tandis qu’il en faut au moins 30 par voie maritime[12].

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Un partenariat toutefois subordonné à l’évolution des équilibres géostratégiques

 

La relation entre les deux pays fait cependant face à plusieurs obstacles. La première de ces pierres d’achoppement est l’Asie centrale, région sur laquelle Téhéran a des prétentions, de par les liens historiques et culturels qui l’y lient. Frontalier de la province du Xinjiang, la Chine a toujours mis en garde l’Iran de toute ingérence délétère à ses intérêts dans la région. D’autant que l’Asie centrale est le point nodal des ambitions d’expansion économique chinoises. À mesure que la Chine y multiplie les investissements, elle s’attache à faire de la question des Ouïghoures une condition indépassable à l’approfondissement de toute relation bilatérale. Par la signature de la lettre adressée par 37 pays à destination de l’ONU, dans laquelle ces derniers défendent les mesures prises par la Chine dans la lutte contre le terrorisme islamiste parmi la population ouïghoure[13], la République islamique met à mal le discours de défenseur des opprimés (moztazafin) face aux oppresseurs (mostakberin) pourtant pilier de sa politique étrangère. À terme, ce choix risque d’avoir des conséquences de taille pour l’influence de la République islamique déjà déclinante dans la région.

 

Si l’Iran semble pour l’instant être pour la Chine la porte d’entrée idéale sur la scène moyen-orientale, l’appui porté par Pékin dépend largement des équilibres stratégiques internationaux. Le contexte de tension accru par l’antagonisme de l’administration Trump à l’égard des deux pays a jusqu’ici permis aux deux pays de renforcer leurs liens sécuritaires. Comme en Asie centrale, ce rapprochement n’est pas sans conséquence pour l’Iran. Il suscite la méfiance de certains de ses partenaires, parmi lesquels l’Inde Symbole de l’approfondissement de la relation bilatérale, les deux pays ont signé en 2016 un contrat prévoyant la construction conjointe d’une ligne ferroviaire entre Chabahar et Zāhedān dans le cadre du projet de développement portuaire mené conjointement pour désenclaver l’Afghanistan et l’Asie centrale. Finalement, l’Iran a annoncé sa décision de construire seul cette ligne ferroviaire. Si les officiels Iraniens affirment que cela n’a rien à voir avec Pékin, divers analystes indiens tendent à penser le contraire[14].

 

Une République islamique dépendante du bon vouloir chinois

 

La négociation de l’Accord de Vienne avait permis au ministère des Affaires étrangères iranien de multiplier les échanges avec les États européens, en particulier l’Allemagne et la France. L’aboutissement de ce tumulte diplomatique donnait enfin les coudées franches à l’Iran pour consolider des relations politiques et économiques durables en Europe. Le retrait dudit accord des États-Unis a réduit sa marge de manœuvre et l’a condamné à se tourner d’autant plus vers la Chine. Le renforcement de ces liens met en lumière différents enjeux que les dirigeants iraniens n’ignorent pas. Premièrement, l’afflux de produits manufacturés chinois met en péril une industrie locale déjà peu compétitive par manque d’investissements. Deuxièmement, les investissements chinois dans le secteur des hydrocarbures n’ont guère été substantiels entre 2010 et 2014. Vital au fonctionnement d’un État déjà défaillant à de nombreux égards, l’Iran n’a eu d’autre choix que d’annuler certains contrats. Cette dépendance aux exportations pétrolières rend la République islamique d’autant plus prudente.

 

Les deux pays affirment vouloir renforcer une coopération qu’ils considèrent indéniablement de part et d’autre comme positive. La Chine n’en ignore pas moins sa position dominante et l’impossibilité de Téhéran de tisser des liens avec les pays européens. L’ancien président de l’Assemblée consultative islamique Ali Larijani[15] a réaffirmé l’intérêt de la République islamique à : « regarder vers l’Est ».  Maitre d’un partenariat qui lui est bénéfique, mais non nécessaire, la RPC imprime le rythme de cette relation. Preuve supplémentaire des limites fixées par Pékin, après les soupçons émis par la porte-parole du ministère de la Santé sur le faible nombre de morts de la pandémie de SARS Covid-19 en Chine, les dirigeants iraniens se sont vite empressés de rectifier le tir en félicitant Pékin pour sa gestion de la crise sanitaire[16]. Cette relation asymétrique ne manque pas néanmoins d’irriter une partie de la population iranienne. Tandis que certains industriels dénoncent la concurrence déloyale que constitue l’arrivée croissante de produits manufacturés chinois dont l’avantage concurrentiel est inexpugnable, une partie des réformateurs s’érige face à l’influence croissante de la Chine[17]. Déjà émaillé par des fractures multiples, il n’est pas improbable que comme en Asie centrale, l’influence chinoise soit à l’avenir l’objet de contestations parmi la société civile.

 

Depuis plusieurs décennies désormais, l’Iran et la Chine entretiennent une relation pérenne. Cette relation est fondée sur une convergence d’intérêts géostratégiques, renforcée par l’isolement de la République islamique d’Iran sur la scène internationale. Le partenariat stratégique qui lie les deux pays repose également sur des échanges commerciaux croissants, signes d’intérêts économiques croisés. Principal soutien à une économie iranienne asphyxiée, l’Iran n’en est pas moins dépendant de la Chine. Dans le contexte d’une asymétrie entre les deux pays, la RPC n’a pas manqué de rappeler qu’elle seule fixait le tempo de la relation bilatérale, et que l’Iran n’était en aucun cas sa priorité. Ainsi, s’il n’est pas improbable que la polarisation de la région aboutisse d’une alliance, les recompositions à venir détermineront l’avenir de la relation bilatérale entre les deux pays.

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Notes

[1] The New York Times: “China and Iran near trade and military partnership”. 12/06/2020 https://www.nytimes.com/2020/07/11/world/asia/china-iran-trade-military-deal.html

[2] “Full text of Joint Statement on Comprehensive Strategic Partnership between I.R. Iran, P.R. China” publié le 23/03 http://www.president.ir/EN/91435

[3] Shahram, Chubin, La conduite des opérations militaires dans le conflit Iran-Irak. Politique étrangère, n°2 – 1987 – 52ᵉ année, p. 308.

[4] Razoux, Pierre. La guerre Iran-Irak. Première guerre du Golfe 1980-1988, Perrin, 2013, p. 256.

[5] SIPRI Arms Transfers Database, Stockholm International Peace Research Institute.

[6] BP Statistical Review of World Energy, 2019, p. 28.

[7] Anquez, Mathieu, Géopolitique de l’Iran : Puissance dangereuse ou pays incompris, Argos, 2014, p.62.

[8] Ingénieur nucléaire diplômé du MIT, Ali Akbar Saheli a représenté l’Iran auprès de l’Agence internationale de l’énergie atomique sous la présidence de Mohammad Khatami avant de devenir ministre des Affaires étrangères sous le second mandat de Mahmoud Ahmadinejad entre 2010 et 2013. Il est depuis cette date à la tête de l’Organisation de l’énergie atomique d’Iran.

[9] Lei, Wu, et Liu Jun. Les questions clefs de la relation Chine-Iran, Outre-Terre, vol. 28, no. 2, 2011, p. 524.

[10] Khajehpour, Bijan, The impact of the Petroleum sector on the Iranian economy, L’économie réelle de l’Iran, L’Harmattan, 2014, p.91.

[11] Reuters, China pumps billions into Iranian economy as Western firms hold off”, 01/12/2017.

[12] The Washington Post, China’s new train line to Iran sends message to Trump: We’ll keep trading anyway, 11/05/2018.

[13] L’Express, « 37 pays soutiennent la Chine, accusée de détentions arbitraires dans le Xinjiang », 12/07/19.

[14] Mohan, Geeta, Iran moves ahead with Chabahar-Zahedan railway project without Indian assistance, India Today, 14/07/2020.

[15] Ancien chef des Gardiens de la Révolution Islamique, Ali Larijani a succédé à Hassan Rouhani au poste de secrétaire du Conseil Supreme de sécurité nationale entre 2005 et 2007. De mai 2008 à mai 2020, Larijani est président de l’Assemblée consultative islamique d’Iran, seule chambre d’une législature devenue monocamérale à la révolution.

[16] Sinaiee, Maryam Iran Guards Censure Health Official For Criticizing China’s Coronavirus Data, Radio Farda, 08/04/20.

[17] Kellner, op.cit. p. 160.

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