Podcast – Interview de Ziad Baroud : « La communauté internationale veut avant tout un Liban stable »

15 juillet 2016

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Podcast – Interview de Ziad Baroud : « La communauté internationale veut avant tout un Liban stable »

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[colored_box bgColor= »#f7c101″ textColor= »#222222″]De ses voyages, Agnès Richieri, diplômée de Sciences-Po et de l’Institut Européen de Journalisme, rapporte des images, des témoignages, des entretiens, des événements qu’elle présente tantôt sous la forme tantôt d’articles, tantôt d’entretiens, tantôt encore de photographies. Au gré de son humeur et des opportunités. De ces choses vues et de ces paroles entendues, elle tire des analyses personnelles qu’elle fait partager aux lecteurs du site Conflits, au rythme d’une intervention originale chaque mois. Voir et écouter sans a-priori, n’est-ce pas la première étape de toute réflexion ?[/colored_box]

La couverture médiatique du Liban par la presse française pourrait se résumer à cela : beaucoup y viennent mais peu nombreux le comprennent. Appréhender la complexité du système politique libanais s’apparente effectivement à résoudre une équation à plusieurs inconnues en prenant en compte une multitude de variables. Pour vous résumer seulement : depuis deux ans, le Liban n’a plus de président de la République, traditionnellement choisi au sein de la communauté chrétienne maronite. Le Parlement libanais, dirigé par un chiite, est chargé de l’élection présidentielle à travers un scrutin universel indirect. Si l’hémicycle, élu en 2009, est parvenu à proroger son propre mandat jusqu’en 2017, il n’a jamais atteint, sur plus de 40 sessions, le quorum nécessaire au scrutin présidentiel.

Tandis que l’échéance législative approche, le débat politique libanais est aujourd’hui animé par la nécessité d’une réforme de la loi électorale qui façonnera le scrutin à venir. Les négociations entre les principaux partis du pays (le Courant du Futur sunnite, le Hezbollah et le Amal chiites et les différents partis chrétiens) ont ainsi monopolisé la vie politique durant cette période de Ramadan sans laisser apparaître une solution acceptable par tous.

C’est donc soucieuse de plus de clarté que je suis allée à la rencontre de Ziad Baroud, homme politique maronite et ancien ministre de l’Intérieur (2008-2011) qui a participé à l’organisation du dernier scrutin législatif de 2009. Ce parfait francophone, ancien secrétaire général de l’association libanaise pour la démocratie des élections (ALDE), m’a accueillie dans son pimpant cabinet d’avocats à Ashrafieh, quartier chrétien de Beyrouth-Est et m’a livré son analyse de la crise politique qui traverse son pays depuis deux ans.

Agnès Richieri

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Pouvez-vous m’expliquer les enjeux de la réforme de la loi électorale libanaise ?

Ziad Baroud. La loi électorale au Liban ressemble beaucoup à une loi fondamentale en ce sens qu’elle a des conséquences énormes sur le plan national. C’est en fonction de celle-ci que la chambre des députés de notre système politique monocaméral est composée. Or cette chambre élit le président de la République, légifère, contrôle l’action gouvernementale et est obligatoirement consultée avant la nomination du premier ministre par le Président de la République.

Aussi le débat autour de la loi électorale a commencé dès l’indépendance du Liban en 1943. Quasiment chaque élection législative a depuis été organisée sous une loi distincte de celle qui avait réglementé le scrutin précédent (sauf pendant la période 1960-1972). La loi en vigueur aujourd’hui date de 2008 même si elle est parfois connue sous le nom de la loi 1960 parce qu’elle lui ressemble, avec son système majoritaire simple à liste et son découpage de circonscriptions.

Actuellement, le débat est entre deux extrêmes : ceux qui veulent garder un système majoritaire simple et ceux qui voudraient aller vers un système proportionnel. La règle proportionnelle n’a jamais été adoptée au Liban auparavant, c’est donc une façon toute nouvelle de voir les élections. Quant au scrutin majoritaire simple, il n’est plus adapté. Les partis politiques historiques sont habitués à remporter tous les sièges parce qu’ils ont simplement la majorité, un système aberrant qui n’existe presque plus dans le monde. On a souvent et surtout parlé de la représentation de chacune des communautés religieuses (chrétiens, sunnites, chiites …) mais en réalité il y a aussi des majorités et des minorités politiques dans chacun de ces groupes et à mon avis, le prisme confessionnel n’est pas suffisant même dans un cadre religieux comme le Liban.

Qui au sein de la communauté politique libanaise soutient toujours la loi électorale de 2008 ?

Z.B. Tous les grands partis politiques vont avoir du mal à se débarrasser du scrutin majoritaire simple. Rares sont ceux qui vous diront ouvertement qu’ils y sont favorables mais en réalité ils y tiennent toujours. Par ailleurs, le résultat des élections municipales de mai dernier où toutes les forces politiques traditionnelles ont essuyé des revers a souligné à quel point le terrain ne leur était plus acquis. Pour la première fois, il y a eu un vote de sanction. La lecture des résultats sous l’angle de la proportionnelle fait comprendre que les grands partis n’ont plus la majorité qu’ils avaient.

Prenons la toute nouvelle liste « Beirut Madinati » créée à Beyrouth par un groupe d’activistes de la société civile. Celle-ci a obtenu près de 40 % des suffrages de la ville, un résultat totalement inattendu. Si j’applique la proportionnelle à ces résultats, « Beirut Madinati » aurait obtenu 8 des 24 sièges de la capitale là où elle n’en a aucun aujourd’hui. Aussi toutes les propositions sur la table aujourd’hui incluent-elles une part de proportionnelle, soit intégrale, comme le réclame le Hezbollah, soit dans le cadre d’un système mixte entre proportionnelle et majoritaire simple.

Il faut souligner que deux grands partis politiques comme le Courant du Futur sunnite et le Parti socialiste progressiste druze qui refusaient catégoriquement la proportionnelle depuis de longues années, se sont récemment mis d’accord, dans le cadre de la commission parlementaire spéciale pour la loi électorale, sur un système mixte qui inclut la proportionnelle à près de 30 % des sièges, ce qui est une avancée considérable. Ce système mixte existe déjà en Allemagne et au Japon mais aussi en Tunisie et en Palestine. Le scrutin mixte sera donc certainement le plus probable à terme au Liban avec 30 % des sièges élus à la proportionnelle. Les minorités politiques pourraient ainsi avoir accès à l’hémicycle et doteraient le parlement d’une dizaine de députés ne venant pas des partis politiques traditionnels, ce qui est considérable car 10 députés sur 128 ont une grosse marge de manœuvre !

Pourquoi la commission parlementaire n’arrive-t-elle pas à se mettre d’accord sur la réforme de la loi électorale, notamment la proposition faite par le président du Parlement Nabih Berri, sur un système mixte entre proportionnelle (60%) et majoritaire simple (40%) ?

Z.B. Le blocage ne s’explique pas par des détails techniques, et il ne porte pas non plus sur la loi électorale en tant que telle. Il s’agit d’un blocage politique lié au fait que la question de la loi électorale fait partie d’un « panier » global où sont aussi inclus la présidence de la République, le calendrier des élections, la composition d’un gouvernement d’union nationale, la politique étrangère du Liban notamment en rapport avec la Syrie. Le blocage est donc lié à une série de choix que les Libanais sont incapables de prendre aujourd’hui.

Prenez le cas des présidentielles : en 2014, afin de proroger leur mandat, il y avait un quorum parlementaire qui dépassait les 86 votes nécessaires pour élire un président et pourtant aucun président n’a été élu depuis deux ans. Les déblocages politiques au Liban se sont malheureusement toujours fait après une intervention ou un parrainage régional. L’actuelle loi électorale fut d’ailleurs adoptée après l’accord de Doha de 2008 où furent nommés en même temps le président de la République et le gouvernement.

Aujourd’hui, la situation en Syrie n’aide pas beaucoup. Certains acteurs libanais et leurs parrains régionaux attendent d’y voir plus clair en Syrie. C’est désolant mais nous n’avons jamais eu d’institution parlementaire déliée de ces contraintes extérieures. Et il ne faut pas oublier non plus la complexité des négociations en cours car la nouvelle loi électorale est élaborée par ceux qui font aujourd’hui partie de l’hémicycle. Ils réfléchissent donc en termes de résultats politiques lors du prochain scrutin et adaptent ainsi sa rédaction. Les forces politiques libanaises qui vont donner quelque chose dans la loi électorale, vont prendre quelque chose ailleurs, sur la présidentielle par exemple, et inversement.

Qu’en est-il de l’organisation des élections législatives prévues pour 2017 ? Auront-elles lieu à temps ?

Z.B. Lorsque le conseil constitutionnel libanais a débouté la demande en annulation de la loi de prorogation du mandat du parlement le 28 novembre 2014, cette décision, peu satisfaisante à l’époque, a tout de même précisé que les circonstances exceptionnelles sur lesquelles les parlementaires s’étaient basés pour auto-proroger leur mandat ne peuvent être illimitées dans le temps. Le texte précise aussi qu’une fois que ces circonstances ne sont plus là, il faut organiser des élections parlementaires dans l’immédiat sans attendre que le délai prorogé n’expire.

Donc aujourd’hui la classe politique est devant le défi de respecter une décision de cette haute juridiction. Et le bon déroulement des élections municipales dans tout le Liban prouve l’absence de circonstances exceptionnelles. Il n’y a donc plus aucun prétexte pour que les élections ne se déroulent avant le 20 juin 2017, date à laquelle expire la prorogation, et comme il y a le Ramadan, je pense que les élections devraient avoir lieu en mai 2017.

Quelle est l’imbrication internationale de cet enjeu électoral libanais ?

Z.B. Les élections parlementaires et présidentielle est très à l’écoute des battements de cœur régionaux et internationaux. Parmi les facteurs internationaux influençant le dénouement de la crise politique libanaise se trouvent les échéances électorales américaines, le dénouement de la crise en Syrie et les politiques russe et syrienne qui en découleront, l’action de l’Europe qui essaye de jouer un rôle sans vraiment en avoir les moyens, et enfin l’Iran et l’Arabie Saoudite qui disposent de forts alliés au Liban.

Au final, tous les protagonistes ont d’abord intérêt à ce que le Liban soit stable politiquement, ce qui passe par ces élections, mais surtout par l’économie et la sécurité du pays. Car le Liban est nécessaire pour la reconstruction de la Syrie à venir. Ce ne sera alors ni la Turquie, trop onéreuse, ni la Jordanie au système bancaire et aux infrastructures mal adaptés qui pourront servir de plate-forme. Un Liban stable nécessite donc que ces élections soient engagées. Je n’écarterais pas la possibilité que cela se réalise avant septembre et les élections américaines. Si c’est le cas nous aurons un président avant la fin de l’année, sinon ce sera plus tard en fonction du dénouement de la guerre en Syrie, où la situation sur le terrain évolue rapidement.

Que pensez-vous du soutien annoncé par François Hollande à la candidature de Michel Aoun pour la présidence ?

Z.B. Nous avons aujourd’hui deux candidatures sérieuses pour la présidentielle, celle du général Aoun et celle de l’ancien ministre Soleimane Frangié. Si Frangié a pendant un temps eu l’avantage grâce au soutien affiché par le Courant du Futur et le Hezbollah, je dirais qu’ils sont aujourd’hui sur pied d’égalité. J’ai davantage lu le soutien de la France à Michel Aoun comme un soutien allant dans le sens de la stabilité du Liban. Hollande doit estimer qu’Aoun est le plus capable d’assurer celle-ci. Ce n’est pas un choix de personnalité en tant que tel.

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À propos de l’auteur
Agnès Richieri

Agnès Richieri

Journaliste spécialiste du Moyen-Orient et de la région des Grands Lacs, Agnès Richieri est titulaire d’un Master en Affaires internationales de l’IEP de Paris et d’un Master Grands Reportages à l’Institut Européen du Journalisme. Passionnée de géopolitique et de photographie, elle a été la correspondante du journal La Croix en Egypte et au Kurdistan irakien avant de couvrir à partir de 2015 la crise présidentielle au Burundi. En parallèle, elle a continué sa formation en arabe auprès de l’INALCO. Elle collabore régulièrement avec le journal La Croix et la revue Alternatives Internationales.

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