Il y a 25 ans, la réflexion sur le rôle des infrastructures dans le développement économique était omniprésente dans les documents internationaux. Le numérique et la digitalisation ont fait passer les infrastructures au second plan. Elles sont en train de revenir comme un élément essentiel du développement économique. Exemple avec le succès marocain.
Jean-Thomas Lesueur, directeur général de l’Institut Thomas More
La place que tient le déploiement des infrastructures dans le développement stable et pérenne d’un pays est un sujet bien connu, et très documenté, de la science économique. Elles favorisent les conditions de réalisation de l’activité économique, renforcent la compétitivité, contribuent à développer l’attractivité des territoires et à améliorer les conditions économiques et sociales des populations.
Très présent dans les réflexions sur le développement des pays pauvres ou émergents il y a vingt-cinq ans (Objectifs du millénaire pour le développement, adoptés par l’ONU en 2000), l’enjeu des infrastructures était un peu passé au second rang des préoccupations avec la financiarisation et la digitalisation de l’économie de ces deux dernières décennies. Néanmoins, les fragilités liées aux fortes dépendances économiques créées par la mondialisation, la réévaluation de la place du secteur industriel dans le développement économique, l’engouement créé dans bon nombre de pays à partir de 2013 par l’initiative chinoise Belt and Road (aujourd’hui largement déçu) et, plus globalement, le retour des enjeux de souveraineté dans un monde fracturé, l’ont replacé au centre des réflexions économiques et politiques.
Dans de nombreux pays, des plans d’investissements publics et privés qui font la part belle aux infrastructures s’élaborent et sont de nouveau mis en œuvre. Mais il est un pays qui, depuis vingt-cinq ans, a maintenu son plan de développement des infrastructures sans dévier de sa route : c’est le Maroc. Qu’il s’agisse des transports, de l’énergie, du numérique, etc., le pays semble avoir toujours vu le rôle prépondérant des infrastructures dans la solidité de sa croissance et la résilience de son modèle de développement.
IDE et climat des affaires
Pour comprendre le succès marocain, le premier élément structurant à prendre en compte est l’attractivité du pays pour les investisseurs étrangers.
Entre 2007 et 2023, le Maroc a attiré environ 37,5 milliards de dollars d’investissements nets étrangers (IDE), soit une moyenne annuelle de 2,2 milliards de dollars. En 2023, EY classait le pays à la troisième place en Afrique en ce qui concerne le nombre de projets IDE (avec 71 projets totalisant 21 milliards de dollars d’investissement).
Ces bons résultats sont la conséquence d’une série d’actions entreprises pour améliorer le climat des affaires depuis 25 ans : loi sur la liberté des prix et de la concurrence (2000), création du Comité national de l’environnement des affaires (2010), création de l’identifiant commun entreprise (ICE, 2011), création de l’Observatoire marocain de la TPME (2013), loi sur les contrats de partenariat public-privé (2014), création de la Commission nationale de la commande publique (2015), loi sur les baux commerciaux (2016), Charte de l’investissement (2022), etc.
Cet environnement juridique et financier, globalement favorable, a eu des effets marquants sur les investissements dans les infrastructures. Alors que les OMD, mentionnés plus haut, fixaient à 9% du PIB le besoin d’investissement dans les infrastructures, la Banque mondiale estimait en 2019 à 11,2% la part du PIB marocain consacrée sur les deux dernières décennies à des investissements dans les secteurs des transports, de l’eau et l’assainissement, de l’irrigation, des technologies de l’information et de la communication, et l’électricité. Passage en revue.
Les infrastructures de transport
Les investissements dans le secteur des transports ont été significatifs puisqu’environ 62,7% du réseau routier national était en bon état en 2020, représentant une amélioration de 9,2% par rapport à 2012, selon les chiffres publics. Un Plan Routes à l’horizon 2035 prévoit encore la remise à niveau de 7 000 km de routes nationales, 2 000 km de voies express et 45 000 km de routes rurales.
Pilier stratégique pour la multimodalité du système existant, le transport ferroviaire a également connu un développement marqué au cours des deux dernières décennies, avec un réseau désormais plus dense et moderne, qui comprend des lignes électriques et à grande vitesse. L’étendue des rails pour l’ensemble du pays se chiffre à plus de 2 110 km, d’après les données du ministère des Transports.
Le projet emblématique de cette modernisation est la ligne à grande vitesse Al Boraq entre Tanger et Casablanca. En 2023, cette ligne a transporté 5 millions de voyageurs sur un total de 52,8 millions pour l’ensemble du réseau ferroviaire. Le Plan Rail Maroc 2040 prévoit de porter le seuil d’interconnexion au rail à 43 villes contre 23 actuellement, soit un taux de desserte de 87% de la population.
Le transport maritime, crucial pour le commerce extérieur marocain, a aussi enregistré des développements notables. Tanger Med, créé à partir de 2004, est rapidement devenu l’un des ports les plus attractifs de Méditerranée. Avec environ 8,6 millions de conteneurs EVP (équivalent vingt pieds) et 122 millions de tonnes de trafic, il a fait son entrée dans le Top-20 mondial des ports à conteneurs. Plus globalement, les 27 ports commerciaux du Maroc ont manutentionné 155,2 millions de tonnes de marchandises en 2023, selon l’Agence nationale des ports (ANP). La Stratégie portuaire nationale 2030 prévoit d’investir 7,5 milliards de dollars pour moderniser et agrandir ces infrastructures. Outre le fret, les ports marocains jouent un rôle clé dans le développement de l’industrie de la pêche et le tourisme de croisière.
Les infrastructures énergétiques et d’eau
Le Maroc a fait le choix d’un engagement visible dans la transition énergétique en adoptant dès 2009 une stratégie pour réduire la dépendance aux énergies fossiles et promouvoir les énergies renouvelables. Cette stratégie vise à atteindre une contribution des énergies renouvelables de 52% de la capacité installée d’ici 2030. Le pays, qui a accueilli en 2016 la COP22, a développé de nombreux projets d’énergie solaire et éolienne, renforçant sa position de leader africain dans ce domaine.
Le complexe solaire Noor Ouarzazate, mis en service en 2018, est un exemple de cette transition. Avec une capacité installée de 582 MW, il fournit de l’électricité à plus d’un million de foyers et permet de réduire de 888 000 tonnes chaque année les émissions de CO2. D’autres projets, comme Noor Boujdour et Noor Tafilalet, viennent renforcer cette dynamique, produisant respectivement 45 GWh et 220 GWh d’électricité par an.
Le Maroc a également investi dans l’éolien avec des projets comme le parc éolien de Tarfaya, opérationnel depuis 2014, qui produit 1084 GWh par an. D’autres initiatives, comme les parcs éoliens de Khalladi et de Boujdour, contribuent à augmenter la capacité éolienne installée du pays, avec des productions annuelles respectives de 390 GWh et 1000 GWh. En plus des énergies solaire et éolienne, le Maroc explore le potentiel de l’hydrogène vert, avec un partenariat conclu avec l’Allemagne pour développer cette source d’énergie propre, avec des projets pilotes en cours dans la région d’Oued Eddahab-Lagouira. Au total, le pays a atteint une puissance installée en énergies renouvelables de plus de 3 700 MW, soit 34% de la puissance totale.
En parallèle, le pays a travaillé à améliorer l’accès à l’eau potable de sa population. Les infrastructures associées aux projets solaires de Noor Boujdour, Noor Atlas et Noor Tafilalet, ainsi que les parcs éoliens de Boujdour et de Midelt ont largement soutenu l’évolution positive du taux d’accès à l’eau qui atteint près de 90% en 2023.
Le secteur du numérique
Le développement du numérique a également été une priorité de ces vingt-cinq dernières années. La stratégie a permis au Maroc de devenir le pays ayant le plus haut niveau de développement des TIC en Afrique, selon l’Union internationale des télécommunications (UIT). Selon les statistiques de l’Agence nationale de réglementation des télécommunications (ANRT), le pays comptait 55,2 millions d’abonnés à la téléphonie mobile au 31 décembre 2023 (soit un taux de pénétration de 149%) et 38,3 millions d’abonnés Internet.
Le réseau de fibre optique marocain, construit notamment par les opérateurs de télécommunications Maroc Telecom, Orange Maroc et Inwi, est aujourd’hui l’un des plus développés en Afrique. En 2020, Maroc Telecom disposait de 45 000 km de câbles, tandis qu’Orange Maroc et Inwi en revendiquaient chacun 12 000. Le gouvernement cherche également à soutenir le développement de l’industrie locale de production de fibre optique. En novembre 2023, les députés marocains ont approuvé une mesure visant à limiter le droit à l’importation des câbles à fibre optique à 10% dans le cadre de la Loi de finances 2024.
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Le Maroc prévoit de lancer la 5G d’ici 2030, conformément à la stratégie « Maroc Digital 2030 » et dans le cadre de la candidature à l’organisation de la Coupe du monde 2030, conjointement avec l’Espagne et le Portugal. Des projets sont en cours pour reconfigurer le spectre de fréquences, connecter les stations de base à des liaisons de fibre optique et mettre en place un modèle économique adapté.
À noter qu’un secteur du numérique connaît actuellement un véritable essor dans le pays : celui des datacenters. Le marché marocain des datacenters pourrait atteindre 51 millions de dollars en 2028, selon les données d’Arizton Advisory & Intelligence. Avec ses 23 installations certifiées, le Maroc se classe en tête pour le nombre de datacenters conformes aux normes Tier en Afrique et dépasse ainsi l’Afrique du Sud qui est le leader de l’activité sur le continent.
Grâce aux infrastructures, le développement de secteurs clés
On comprend que le développement de ces infrastructures constitue le socle du développement économique du pays depuis vingt-cinq ans et l’accession de Mohammed VI au trône. C’est lui qui a permis la diversification de l’économie et le positionnement du pays comme plateforme industrielle et technologique majeure en Afrique. Cette stratégie s’est articulée autour du développement de secteurs clés.
Chacun connait l’essor de l’industrie automobile dans le pays depuis au moins deux décennies. Entre 2012 et 2022, le Maroc a presque quadruplé sa production de véhicules, atteignant 465 000 unités. En 2022, les exportations du secteur ont représenté environ 8% du PIB. Ce succès est largement attribué aux implantations de grands étrangers tels que Renault et Stellantis. Renault, avec son usine de Tanger inaugurée en 2012, a produit plus de 2,36 millions de véhicules en dix ans, tandis que Stellantis a lancé un complexe industriel à Kénitra en 2015, doublant sa capacité de production dès 2022 grâce à un investissement supplémentaire de 300 millions d’euros. Notons que le Maroc se positionne également comme un acteur émergent dans l’industrie des batteries électriques (avec des projets importants d’industriels chinois comme Gotion High Tech à Bouknadel ou BTR New Material Group à Tanger).
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Depuis 2003, l’industrie aéronautique au Maroc a connu un essor très important, attirant des investissements de grands constructeurs étrangers comme Boeing, Safran et plus récemment l’américain Pratt & Whitney. En décembre 2023, ce dernier a annoncé un projet de 715 millions de dirhams pour la construction d’une usine de fabrication de pièces pour moteurs d’avion. Début 2024, l’espagnol Aciturri (fabrication de structures et composants de moteurs), le Canadien Shimco (industrie aérospatiale) et l’allemand Böllhoff ont signé des accords avec les autorités pour installer de nouvelles usines dans le pays.
L’industrie pharmaceutique au Maroc a aussi attiré des investissements importants au cours des dernières années, le pays étant devenu le deuxième producteur pharmaceutique en Afrique après l’Afrique du Sud. En 2023, le chiffre d’affaires du secteur a dépassé les 2,1 milliards de dollars.
On voit donc qu’au-delà des secteurs dans lesquels il était déjà présent, comme le secteur minier ou le textile, le Maroc a su attirer des acteurs majeurs de secteurs de pointes et porteurs. En leur offrant des infrastructures modernes et performantes en matière de transports, de logistiques ou d’énergie, le pays a su faire la différence.