Les informateurs du renseignement

18 juillet 2021

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : DGSE. Vivatech startups and innovation fair. Paris, FRANCE-16/05/2019 //01JACQUESWITT_viva049/1905161735/Credit:Jacques Witt/SIPA/1905161736

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Les informateurs du renseignement

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L’informateur est essentiel au bon fonctionnement des services de renseignement. Agent discret pour être efficace, il permet d’avoir accès à des données de premières mains.

Au XVIe siècle, le Censeur en Sorbonne Mouchy disposait pour sa police du renseignement d’un réseau d’informateurs, « les Mouches »[1], ou mouchards aujourd’hui.

Les informateurs sont plus précisément des sources manipulées pour de l’argent ou par d’autres moyens, et interrogées par des agents spécialement dédiés à cette mission, les officiers traitants (OT), « des spécialistes d’un genre très particulier, chargés de repérer, d’approcher, de recruter et de contrôler les ‘sources humaines’ qui leur fourniront des informations confidentielles »[2].

Le 15 novembre 2018, le Tribunal administratif de Paris a jugé que devait être considérée comme une collaboratrice occasionnelle du service public une ancienne cadre d’une banque suisse qui avait apporté son concours au Service national de douane judiciaire (SNDJ) en tant qu’informatrice.

Une existence légale

Les informateurs ont une existence légale depuis la loi du 9 mars 2004 (dite loi Perben II). Les services de la Police et de la Gendarmerie nationale ainsi que les agents des douanes habilités peuvent désormais rétribuer toute personne étrangère aux administrations publiques qui leur a fourni des renseignements ayant amené directement soit la découverte de crimes ou de délits, soit l’identification des auteurs de crimes ou de délits.

Dans l’organisation policière, les sources sont traitées par le Bureau central des sources (BCS), une structure relevant du très discret Service interministériel d’assistance technique (SIAT). Le Bureau central des sources a pour mission d’immatriculer toutes les sources permettant de faire avancer ou d’élucider des affaires criminelles, ces sources étant immatriculées grâce à un codage ultra-sécurisé, où « chaque indic est fiché selon une combinaison logarithmique de huit paramètres clefs. Elle correspond à deux lettres de ses noms et prénoms, puis à des chiffres codifiant son sexe et un extrait de sa date de naissance. La formule est inviolable pour qui n’en connaît pas la clef. Seule une poignée de techniciens de haute volée, retranchés au quartier général à La Haye, dispose du précieux sésame »[3].

Dans le domaine du renseignement, le Service central du renseignement territorial ou SCRT (ex-Renseignements généraux) usent d’informateurs rémunérés afin d’obtenir des informations en milieu fermé.

Cependant, avec la réforme du 27 juin 2008 qui a fusionné la Direction de la surveillance du territoire (DST) et les Renseignements généraux (RG), en une Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), les trois quarts des effectifs des RG – la nouvelle Sous-direction à l’information générale (SDIG) – ont été absorbés dans la DCRI [4]. Cette réforme a même été considérée par les homologues étrangers, comme une grave défaillance du renseignement français.

Voulue par Nicolas Sarkozy, cette réforme a été un « quasi-abandon »[5] de la SDIG, et a eu un effet néfaste pour les anciens Renseignements généraux. La perte d’officiers traitants a durablement porté atteinte à la récolte du renseignement français car, « le renseignement ne s’improvise pas. Il faut du temps pour infiltrer les quartiers, connaître les personnes à risque, savoir ce qui se prépare en coulisse. Grâce à leur maillage et leurs contacts, les RG savaient souvent recueillir les bonnes informations, au bon moment »[6].

Dans leur rapport sur les moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015, les députés Georges Fenech et Sebastien Pietrasanta ont considéré que la suppression des Renseignements généraux a été particulièrement néfaste. La SDIG s’est en effet trouvée dans « un état de marginalisation, de relégation, qui altère la détection des signaux faibles en matière de lutte contre le terrorisme »[7]. Cela put être observé avec le terroriste Mohammed Merah, où la perte d’initiative de la SDIG fut considérée comme une des causes de l’échec de la prévention de la commission des actes terroristes commis par Mohammed Merah.

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Les informateurs des douanes ou aviseurs

Le service de renseignement des douanes ou Direction nationale renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) dispose aussi de ses informateurs, appelés aviseurs. Ces derniers sont rémunérés avec de l’argent liquide, les tarifs étant établis contre les différentes informations liées aux trafics et aux contrebandes.

Ils disposent d’un statut particulier et le versement de leur rétribution ne peut excéder la somme de 3 100 euros sauf décision contraire du directeur général des douanes et droits indirects. Le montant peut être augmenté de manière discrétionnaire en fonction du renseignement fourni qui a permis la saisie. Depuis loi du 3 juin 2016, les informateurs des douanes ont une existence légale et similaire à ceux des informateurs des services de police et de la Gendarmerie nationale.

Les informations envoyées par les aviseurs sont reçues dans un service central des sources de la DNRED, dont l’une des missions est d’instruire et veiller au suivi des dossiers d’immatriculation des sources.

Grâce aux informations d’un aviseur de la Direction des opérations douanières (DOD) au printemps 2011, deux Nigérians ont pu être interpellés au Maroc, plus précisément à l’aéroport Mohamed-V de Casablanca. Ils avaient une quantité « astronomique » de cocaïne dans leur ventre : « l’un d’eux avait ingéré pas moins de 138 capsules, pour un poids record de 2,785 kilos de poudre in corpore »[8].

Les informateurs de la Direction générale de la sécurité extérieure

Les informateurs de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) sont approchés ou « tamponnés » par des agents expérimentés, les officiers traitants, pour devenir des sources de renseignement.

Cette politique de recrutement des informateurs remonte aux années 1970. À cette époque, le renseignement extérieur avait pour but d’avoir des sources à long terme dans les pays du tiers-monde. Plus encore, « les listes des élèves des grandes écoles ou des académies militaires étaient passées au peigne fin par les officiers français en poste dans les capitales africaines ou moyen-orientales »[9].

La Direction générale de la sécurité extérieure disposerait approximativement d’une centaine de postes à l’étranger, avec environ trois cents officiers traitants. Il existe par ailleurs au sein du siège de la DGSE un Bureau de suivi des sources, qui reçoit des informations exploitées ensuite par les « exploitants », dont le travail consiste à trier les vrais et faux recoupements d’informations, mais encore de déceler des tuyaux qui ne pourraient être que des tentatives de manipulation ou de désinformation provenant d’un État étranger.

C’est grâce aux sources et au renseignement humain que des informations précises ont été apportées sur le nucléaire iranien. Les services spécialisés français ont ainsi dévoilé en septembre 2009 qu’il y avait trois mille centrifugeuses présentes sur une installation d’enrichissement de l’uranium, qui était sous une montagne dans la région de Qom (au sud de Téhéran).

Il en ressort au final que l’importance du renseignement humain est indispensable dans le cadre de la lutte perpétuelle pour l’acquisition du renseignement. En effet, « il n’y a pas de bons renseignements si l’on ne va pas sur le terrain et si l’on n’a pas de sources humaines »[10]. Mais, avoir des sources humaines et les traiter signifie un travail de patience, qui ne peut aboutir qu’après plusieurs années de travail.

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[1]HENRI (B.), Le renseignement, un enjeu de pouvoir, Economica, Paris 1998, p. 30.

[2]LACOSTE (P.), « Services secrets et manipulation », pp. 189-198, in RICALENS (P.) (dir.), La manipulation à la française, Economica, Paris, 2003, p. 192

[3]CORNEVIN (C.), Les indics, Flammarion, Paris, 2011, p. 244.

[4] La DCRI a disparu en 2014, remplacé par la DGSI (direction générale de la sécurité intérieure).

[5]DEPRAU (A.), « La réorganisation des Renseignements généraux », in CONAN (M.) et THOMAS-TUAL (B.), Annuaire 2016 du droit de la sécurité et de la défense, Mare & Martin, Paris, 2016, p. 401.

[6]HENRI (B.), Histoire secrète des RG, Flammarion, Paris, 2017, p. 139.

[7]CAVARD (C.) et URVOAS (J.-J.), Rapport fait au nom de la commission d’enquête sur le fonctionnement des services de renseignement français dans le suivi et la surveillance des mouvements radicaux armés, Assemblée nationale, n°1056, 24 mai 2013, p. 25.

[8]CORNEVIN (C.), Les indics, Flammarion, Paris, 2011, p. 351.

[9]Christophe CORNEVIN, op. cit., 2011, p. 260.

[10]HENRI (B.), op. cit., 2017, p. 139.

 

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À propos de l’auteur
Alexis Deprau

Alexis Deprau

Docteur en droit de la sécurité et de la défense.
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