<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Industrie pharmaceutique : illustration du mal français

12 juin 2021

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Photo : Scientific Identity, Portrait of Louis Pasteur

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Industrie pharmaceutique : illustration du mal français

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Le fleuron industriel français de l’industrie pharmaceutique est menacé par dix années de régulations intenses. L’étude du Bureau d’informations et de prévisions économiques (BIPE) commandée par le G5 Santé en juin 2019 explique les dysfonctionnements de ce secteur industriel et les raisons pour lesquelles la France décroche par rapport à ses voisins européens.

 

Le problème est bien interne puisque l’Italie et l’Allemagne sont soumises aux mêmes exigences de la mondialisation et aux mêmes règles de l’Union européenne que la France et ne connaissent pourtant pas un tel décrochage. Le secteur pharmaceutique illustre le mal français : les problèmes sont identifiés, les causes de ces problèmes comprises et les solutions pour réparer les causes connues, mais elles ne sont pas mises en place. Accuser les seuls politiques serait injuste : la population française dans son ensemble a sa part de responsabilité dans cet engourdissement intellectuel et cette difficulté à se défaire des vieux totems qui ont échoué. Les problèmes du secteur pharmaceutique se retrouvent dans bien d’autres domaines : médecine, hôpitaux, éducation, armées, etc. L’étude du BIPE met des données sur ce recul de la France en Europe.    

 

Une régulation imposée qui nuit à l’industrie pharmaceutique

 

Soucieuses de réduire les déficits des comptes de l’assurance maladie, mais incapables de faire les réformes structurelles qui seules permettraient de résoudre ce problème, les autorités de santé ont décidé de réguler le prix du médicament avec une idée simple en tête : plus le prix sera bas, moins l’assurance maladie devra rembourser et donc mieux se porteront les comptes publics. Ce contrôle des prix a engendré ce qu’il engendre toujours : une pénurie de l’offre et une fragilisation des entreprises. Face à l’impossibilité de faire payer le prix juste, les industriels de la pharmacie n’ont eu qu’une solution pour produire moins cher : délocaliser. Cette régulation, ajoutée à la fiscalité particulière de la France, explique pourquoi les entreprises du médicament ont abondamment délocalisé à partir des années 2010. Des délocalisations que le pays a chèrement payées en 2020-2021.

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Mais cette régulation des prix a une autre conséquence négative, car le prix français sert de référence dans de nombreux pays. En définissant le prix du médicament en France, celui-ci est donc défini aussi à l’étranger, ce qui pénalise deux fois les industries pharmaceutiques. Compte tenu de l’étroitesse du marché intérieur, les entreprises de pharma ne peuvent s’en sortir que par l’exportation et l’accès à un vaste marché extérieur. La dépendance pharmaceutique française s’illustre dans les chiffres : 80 % des principes actifs sont localisés en Asie (Inde et Chine). Il y a trente ans, c’était 20 %. Certes, la Chine et surtout l’Inde ont fait de gros efforts pour avoir des conditions favorables, mais cela est essentiellement dû aux délocalisations. Dans la chaîne de valeur, ce sont les principes actifs qui rapportent le moins. Ils ont été vus comme financièrement non stratégiques, ce qui s’est révélé être une grave erreur.  

En oncologie, les 35 principes actifs essentiels sont fabriqués en Asie et par trois fabricants seulement, ce qui accroît d’autant la dépendance. Les délocalisations ont entraîné également des pertes d’expertise industrielle : des métiers entiers ont disparu. Pour relocaliser, il faut donc créer ces métiers et former les personnes qui pourraient les faire. Le G5 Santé a ainsi créé le Campus biotech digital pour former à ces nouveaux métiers de la bioproduction et pour la formation professionnelle.

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Comment relocaliser ? 

 

Ce n’est pas tant de relocalisation dont il s’agit que de reconstruire une souveraineté et une indépendance française en matière de produits pharmaceutiques, ce qui passe par des industries fortes et en développement. Mettre un terme à la régulation du prix du médicament, cause première des délocalisations, est une nécessité. Mais cela oblige à revoir entièrement le fonctionnement de la sécurité sociale, totems élaborés à partir de 1942 par les communistes Alexandre Parodi et René Belin. Il est nécessaire également de favoriser le secteur R&D. L’actuel système de crédit d’impôt recherche est imparfait, le mieux serait de baisser les charges pesant sur les entreprises, mais il permet de diminuer un peu les conséquences négatives de la pression fiscale. Il faut aussi revoir le discours public : celui-ci porte uniquement sur l’attractivité alors que le véritable problème est celui de la compétitivité. Enfin, il est nécessaire de sécuriser les chaînes d’approvisionnement des valeurs stratégiques et de supprimer les impôts de production qui pénalisent doublement les entreprises françaises.

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À propos de l’auteur
Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé

Docteur en histoire économique (Sorbonne-Université), professeur de géopolitique et d'économie politique à l'Institut Albert le Grand. Rédacteur en chef de Conflits.

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