En tant que premier pays musulman avec une population de 275 millions de personnes et boosté par une croissance économique forte et continue, l’Indonésie joue un rôle de plus en plus important en continuant sa stratégie de non-alignement sur les plateformes internationales, tels qu’Asean, RCEP, G20, BRI et, peut-être, bientôt, BRICS.
À côté de la Chine et de l’Inde, un troisième géant régional ou peut-être global est en train d’émerger silencieusement et pacifiquement. L’Indonésie entre, petit à petit, mais de façon irrésistible, dans notre champ de vision. Les résultats de l’élection présidentielle du 14 février 2024 nous forcent à ouvrir grands nos yeux : dès le premier tour, 58% des électeurs ont donné leur voix à Prabowo Subianto, le candidat préféré, parmi les 3 compétiteurs en lice, du président Joko « Jokowi » Widodo, afin de continuer la politique en vigueur.
Indonésie, un pays historique et non aligné
Un pays historique et riche en culture : L’Indonésie, avec une population d’environ 275 millions de personnes, est le quatrième pays le plus peuplé au monde et le pays à majorité musulmane le plus important. Il possède une diversité religieuse, comprenant des minorités telles que le christianisme, le bouddhisme et l’hindouisme. En tant que plus grand archipel au monde, couvrant 1,9 million de kilomètres carrés, l’Indonésie est riche en ressources naturelles telles que le pétrole, le gaz naturel, le charbon, les minerais, le caoutchouc, le cacao et le café, ce qui en fait une économie émergente en croissance rapide.
Outre sa richesse naturelle, l’Indonésie abrite une biodiversité remarquable et est une destination touristique majeure, avec des sites populaires tels que Bali, Borobudur et Komodo. Avant l’arrivée des Européens, l’archipel était habité par divers groupes ethniques qui avaient développé des sociétés agricoles et commerciales avancées.
L’histoire coloniale de l’Indonésie comprend des occupations successives par les Portugais, les Néerlandais et les Japonais. Après la Seconde Guerre mondiale, l’Indonésie a proclamé son indépendance en 1945, sous la direction de Sukarno, après des luttes avec les Pays-Bas, qui ont finalement reconnu son indépendance en 1949.
En 1965, un coup d’État militaire a renversé Sukarno et a placé le général Suharto au pouvoir. Sa démission en 1998, consécutive à une crise économique majeure et à des manifestations de masse, a mis fin à son régime autoritaire. Depuis lors, l’Indonésie a progressé vers un système politique stable, avec des élections régulières. Depuis les années 2000, le pays a enregistré une croissance économique soutenue, devenant l’une des économies émergentes les plus importantes d’Asie.
Un des pionniers non alignés : L’Indonésie a été l’un des membres fondateurs du Mouvement des non-alignés. Sous la présidence de Sukarno, l’Indonésie a joué un rôle de premier plan dans ce mouvement.
La conférence de Bandung, tenue du 18 au 24 avril 1955, a été un événement majeur dans l’histoire du mouvement des non-alignés et a marqué une étape importante dans le développement des relations internationales entre les pays nouvellement indépendants d’Asie et d’Afrique. Ont été énoncés lors de cette conférence, les Cinq Principes de la Coexistence pacifique : respect mutuel de la souveraineté et de l’intégrité territoriale, non-agression mutuelle, non-ingérence mutuelle dans les affaires intérieures, égalité et avantages réciproques et coexistence pacifique. Ces principes sont toujours vivants parmi les pays du sud global, guidant leur relation et coopération en vue d’établir un ordre multipolaire.
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20 ans de développement rapide
Au cours des vingt dernières années, la dynamique économique de l’Indonésie a connu une transformation notable, portée par une stabilité politique accrue, des réformes structurelles ambitieuses, des investissements importants dans l’industrie et la recherche et développement, ainsi qu’une démographie favorable (avec l’âge médian à 30 ans et le taux de fertilité à 2,204). Sous différents gouvernements, dont notamment celui de Jokowi pour ces dix dernières années, le pays a maintenu un taux de croissance économique robuste, oscillant entre 4 % et 6 % par an. Il est 5% depuis dix ans à l’exception de 2020. Pour 2023, la croissance était de 5,05% et le PIB per capita 5 000 USD contre 3 200 dollars en 2014. Cette expansion économique a été alimentée par divers secteurs, comprenant notamment l’industrie manufacturière, les services, l’agriculture et les ressources naturelles.
Le gouvernement indonésien a travaillé à maintenir la stabilité macroéconomique en contrôlant l’inflation, en gérant les déficits budgétaires et en accumulant des réserves de change pour stabiliser la monnaie nationale, la roupie indonésienne. Des réformes structurelles ont également été entreprises pour améliorer le climat des affaires, stimuler l’investissement et favoriser le développement économique. Cela comprend des efforts visant à améliorer la gouvernance, simplifier les réglementations, moderniser les infrastructures et renforcer le système financier.
L’urbanisation rapide et l’essor de l’industrialisation ont transformé l’économie indonésienne, avec une concentration croissante de la population dans les zones urbaines et une expansion des secteurs manufacturiers et des services. En raison de sa taille de marché importante, de sa main-d’œuvre abondante et de ses ressources naturelles riches, l’Indonésie est devenue une destination attrayante pour les investissements étrangers.
L’Indonésie joue un rôle crucial au sein d’ASEAN
Apportant sa taille, son influence politique, son leadership et son engagement en faveur de la coopération régionale pour promouvoir la stabilité, la prospérité et la sécurité dans la région de l’Asie du Sud-Est, l’Indonésie joue un rôle crucial au sein de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), tant sur le plan politique que sur le plan économique.
En tant que plus grande économie et pays le plus peuplé de l’ASEAN, l’Indonésie exerce une influence significative au sein de l’organisation. Son leadership est souvent recherché lors des négociations et des décisions importantes au sein de l’ASEAN. L’Indonésie est également souvent considérée comme un médiateur et un facilitateur dans les conflits régionaux et les différends au sein de l’ASEAN, en raison de sa stature et de sa diplomatie régionale.
L’Indonésie a été un fervent promoteur de la coopération régionale au sein de l’ASEAN. Elle a soutenu des initiatives visant à renforcer l’intégration économique, la sécurité régionale, la coopération en matière de développement et la construction d’une communauté de l’ASEAN plus unie et cohésive. En tant que membre fondateur de l’ASEAN, l’Indonésie a bénéficié des avantages de l’intégration économique régionale. Elle joue un rôle actif dans la promotion du commerce intra-ASEAN et dans la facilitation des investissements étrangers dans la région.
Elle a également été une fervente défenseur de la conclusion d’accords de libre-échange régionaux, tels que l’Accord de partenariat économique régional global (RCEP), qui vise à renforcer les liens économiques entre les pays de l’ASEAN et leurs partenaires commerciaux, dont la Chine.
L’Indonésie joue un rôle actif dans la promotion de la sécurité régionale au sein de l’ASEAN. Elle participe à des initiatives de sécurité régionale et à des mécanismes de dialogue, tels que le Dialogue régional de l’ASEAN (ARD). En tant que pays maritime important, l’Indonésie s’engage également dans la coopération en matière de sécurité maritime au sein de l’ASEAN, en particulier dans la lutte contre la piraterie et d’autres menaces maritimes.
L’Indonésie entre la Chine et les États-Unis
L’Indonésie est en relation avec beaucoup de pays. Nous limitons ici notre regard sur la Chine et les États-Unis, deux superpuissances incontournables pour elle, tant sur le plan historique que sur le plan géopolitique et économique.
Les relations entre l’Indonésie et les États-Unis
Leurs relations ont connu plusieurs phases au fil de l’histoire, marquées par des périodes de coopération et parfois des tensions.
Les États-Unis ont reconnu l’indépendance de l’Indonésie en 1949, après des négociations avec les Pays-Bas. Pendant la Guerre froide, les États-Unis ont initialement soutenu le président Sukarno, bien que des tensions aient émergé en raison de ses politiques de neutralisme et de non-alignement. En 1965, un coup d’État militaire a renversé Sukarno et a amené le général Suharto au pouvoir. Les États-Unis ont soutenu le régime de Suharto pendant la Guerre froide en raison de son anticommunisme affirmé.
Les relations se sont tendues à la fin du mandat de Suharto en raison de turbulences internes, la répression politique et la situation au Timor oriental. La chute de Suharto en 1998 a ouvert la voie à une transition en Indonésie. Les États-Unis ont soutenu ce processus et ont cherché à renforcer les liens bilatéraux.
Depuis les années 2000, les relations entre les deux pays se sont renforcées, notamment dans les domaines de la coopération économique, du commerce et de la lutte contre le terrorisme. L’Indonésie a été louée pour ses efforts de lutte contre l’extrémisme violent.
Aujourd’hui, la coopération militaire et sécuritaire entre l’Indonésie et les États-Unis est variée et comprend des domaines tels que la formation militaire conjointe, les exercices militaires conjoints, le partage de renseignements et la lutte contre le terrorisme. Les deux pays ont également des intérêts communs en matière de sécurité maritime dans la région Asie-Pacifique.
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Les relations entre l’Indonésie et la Chine
Les relations entre l’Indonésie et la Chine ont une longue histoire caractérisée par des échanges économiques, culturels et diplomatiques. De nos jours, malgré certains défis, les liens économiques et politiques entre les deux pays continuent de se renforcer.
Les contacts entre l’archipel indonésien et la Chine remontent à l’antiquité, à travers les routes commerciales maritimes qui reliaient les deux régions. Pendant le Moyen Âge, des dynasties chinoises telles que les Tang, les Song et les Yuan ont maintenu des relations commerciales et diplomatiques avec les royaumes de l’archipel indonésien.
Pendant la période de la colonisation européenne, les relations entre l’Indonésie et la Chine ont été influencées par les puissances coloniales, en particulier les Néerlandais. Les migrants chinois ont été impliqués dans le commerce et ont souvent été soumis à des discriminations sous le régime colonial.
Après l’indépendance de l’Indonésie en 1945, les relations entre l’Indonésie et la Chine se sont développées. La Chine a été l’un des premiers pays à reconnaître l’indépendance de l’Indonésie et les deux pays ont établi des relations diplomatiques en 1950.
Pendant la période de la Guerre froide, l’Indonésie a adopté une politique de non-alignement et a maintenu des relations avec la Chine et d’autres pays communistes, bien que les relations aient été parfois tendues en raison des différences idéologiques.
Depuis les années 1990, les relations entre l’Indonésie et la Chine se sont considérablement renforcées, en particulier sur le plan économique. La Chine est devenue l’un des principaux partenaires commerciaux et d’investissement de l’Indonésie.
Les deux pays ont également coopéré dans divers domaines, tels que l’infrastructure, l’énergie et la défense. La Chine a financé et construit des importantes infrastructures en Indonésie, notamment des routes, des ponts et des centrales électriques. La construction et la récente ouverture de la ligne TGV entre Jakarta et Bandung illustrent bien l’approfondissement et l’élargissement de leurs coopérations.
Le détroit de Malacca représente un point critique dans la chaîne d’approvisionnement chinoise. En raison de sa proximité avec ce passage vital, l’Indonésie revêt une importance stratégique pour la Chine, d’autant plus que le détroit de Lombok, situé plus au sud, pourrait servir de solution alternative en cas de blocage du premier.
La stratégie internationale de Jokowi
La politique de Jokowi vis-à-vis de la Chine et des États-Unis est caractérisée par un équilibre délicat entre les intérêts économiques, stratégiques et géopolitiques de l’Indonésie.
Pendant les 10 années de son gouvernement, Jokowi a mis l’accent sur le renforcement des relations économiques avec la Chine, considérant comme le partenaire commercial le plus important pour l’Indonésie et pour Asean dans le cadre du RCEP, BRI et au-delà. La Chine est le plus grand partenaire commercial de l’Indonésie, avec des investissements chinois dans divers secteurs tels que l’infrastructure, l’énergie et les ressources naturelles. L’Indonésie est également en faveur d’une résolution pacifique des conflits via un code de conduite en mer de Chine méridionale.
Jokowi a cherché également à maintenir les relations avec les États-Unis, qui sont un allié important pour l’Indonésie en matière de commerce, d’investissement et de défense.
Dans l’ensemble, la politique de Jokowi à l’égard de la Chine et des États-Unis vise à maintenir un équilibre entre les intérêts économiques, stratégiques et géopolitiques de l’Indonésie. Il cherche à tirer parti des opportunités offertes par les deux grandes puissances tout en protégeant les intérêts nationaux et en préservant l’indépendance et la neutralité de l’Indonésie sur la scène internationale.
Prabowo Subianto, le nouveau président
Prabowo Subianto, le Président élu de l’Indonésie, a une histoire politique complexe avec les États-Unis et la Chine. Ayant reçu une formation militaire aux États-Unis dans sa jeunesse, il a occupé des postes de haut niveau dans l’armée indonésienne pendant la dictature de Suharto, une période où les États-Unis avaient des relations étroites avec le régime. En 1998, Prabowo a été impliqué dans des répressions violentes pendant les troubles politiques qui ont conduit à la chute de Suharto. Après son retour sur la scène politique, Prabowo a fondé le Parti du réveil national et a été l’adversaire principal du président indonésien Jokowi lors des élections de 2014 et 2019.
Ses relations avec la Chine sont multifacettes, allant de coopérations économiques dans l’énergie et les infrastructures à des liens dans le domaine de la défense et de la sécurité. Malgré des questions sur son rôle dans les émeutes anti-chinoises de 1998, Prabowo cherche des relations solides avec la Chine. Il affirme vouloir poursuivre la politique de Jokowi qui a favorisé les relations avec la Chine, en adoptant un pragmatisme stratégique pour maximiser les intérêts de l’Indonésie dans le cadre du multilatéralisme.
Prabowo et Gibran : un tandem singulier
Prabowo, le président élu, et Gibran, le vice-président élu, fils du Président sortant, forment un tandem bien singulier.
Fondateur du Parti du réveil national (Partai Keadilan Sejahtera – PKS), Prabowo a été, lors des élections présidentielles de 2014 et 2019, le principal adversaire de Jokowi, le père de son colistier actuel. En obtenant le soutien de Jokowi, qui est très populaire, Prabowo a assuré sa victoire. En même temps, en soutenant son ancien rival devenu ministre de la Défense, Jokowi a manifesté son désir de continuer sa politique. Pour sceller cette alliance, Jokowi a même sacrifié son propre parti à l’Assemblée, le PDI-P, qui présentait un autre candidat.
On est tenté de dire que si tout se passe comme calculé par son père, Gibran (36 ans) est positionné sur une rampe de lancement pour l’élection présidentielle de 2029.
En guise de conclusion
Nos connaissances de l’Indonésie sont à remettre à jour rapidement sous peine de retard préjudiciable dans notre perception et nos décisions.
En plus des images classiques des îles paradisiaques pour les vacances et des ressources naturelles en abondance, nous avons devant nos yeux une puissance économico-technologique boostée par une croissance continue et rapide. Entre 2020 et 2035, 70% de la population indonésienne se situe dans la tranche d’âge productive, soit entre 15 et 64 ans. Dans son discours sur la « Golden Indonesia 2045 », le président Joko Widodo exhorte l’ensemble du pays à saisir ce bonus démographique pour atteindre un PIB par habitant compris entre 23 000 et 30 000 USD, tout en progressant également sur d’autres fronts tels que l’innovation, la réduction de la pauvreté, l’amélioration de la santé et la qualité de l’éducation. L’Indonésie avance avec intelligence et confiance, et le monde devrait lui accorder une attention accrue à l’avenir.
En tant que pivot de l’économie régionale et mondiale, grâce à sa position stratégique sur les routes maritimes commerciales, l’Indonésie joue un rôle crucial dans la sécurisation de ces voies. Son engagement envers la stratégie de non-alignement garantit à long terme la paix dans la région et dans le monde. L’Indonésie a démontré sa capacité à exercer un leadership sur la scène internationale en assumant des rôles tels que la présidence du G20 et le leadership de l’ASEAN. Il est pratiquement certain que les BRICS lui réserveront une place à l’avenir.
Nous avons vu qu’en fonction de leur intérêt national, de plus en plus de pays pratiquent la stratégie d’équilibre en refusant de choisir de côté. L’Indonésie en est un exemple bien parlant. Nous pouvons citer également les pays suivants qui sont aussi lucides et courageux comme l’Indonésie pour choisir leur propre voie : Inde, Afrique du Sud, Vietnam, Arabie Saoudite, Égypte, Brésil, etc.
En réalité, ne pas s’aligner, c’est déjà choisir. Ce choix embrasse l’esprit des Cinq Principes de la Coexistence pacifique de Bandung, qui demeurent vivants et sont appliqués par les pays du sud global pour orienter leurs relations et leurs coopérations vers un ordre multipolaire, le développement et la paix. Cette tendance est inévitable et, à terme, bénéfique pour tous.