L’impôt, arme de guerre économique

9 octobre 2019

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L’impôt, arme de guerre économique

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Parmi les nombreuses cartes géo-économiques aux mains des États, il y a l’impôt, dont l’utilisation révèle le rôle que l’on assigne à la puissance publique dans la compétition économique mondiale. Deux conceptions de la politique fiscale internationale s’affrontent : aux politiques d’inspiration keynésienne, fondées sur le recours à la dépense fiscale, on peut opposer les politiques d’inspiration libérale, fondées sur un système fiscal qui se veut attractif dans sa définition même, sans qu’il soit besoin de multiplier les taux réduits ou les traitements fiscaux préférentiels.

Les partisans de l’économie libérale ne voient pas dans l’interventionnisme fiscal, souvent subordonné à des conditions d’application complexes qui en détériorent la lisibilité, un instrument de pilotage très adéquat. Ils se méfient, autrement dit, des promesses keynésiennes d’amélioration de la puissance économique par l’intervention fiscale de mécanos bureaucratiques. Plutôt que de s’ingénier à bricoler la fiscalité, mieux vaut offrir un cadre fiscal de droit commun propice à l’attraction de capitaux, d’activités et d’emplois sur son territoire national, et au déploiement international de ses entreprises. Nombreux sont les pays (États-Unis, Irlande, États d’Europe centrale et orientale) à avoir compris les bienfaits de politiques d’offre fiscale attractive, et à avoir conséquemment réformé leur système d’imposition par la refonte de la règle générale plutôt que par la multiplication de règles dérogatoires, de façon à l’épurer de ses aspects les plus pénalisants pour les activités transfrontalières.

Des restrictions juridiques multiformes

L’adaptation par ces États de leurs dispositifs techniques d’imposition (élargissement des assiettes taxables obtenues par la suppression de nombreuses niches fiscales et abaissement corrélatif des taux nominaux d’imposition) s’est faite dans un contexte général pourtant marqué par l’amenuisement des marges de libre définition des politiques fiscales. Cette contrainte est accrue dans le cas d’États appartenant à des unions économiques régionales, telle l’Union européenne, où les restrictions juridiques appliquées au libre exercice des politiques fiscales sont désormais multiformes : prohibition des droits de douane, des taxes d’effet équivalent et des impositions intérieures protectrices ou discriminatoires (aucun État européen ne peut frapper unilatéralement les marchandises nationales ou étrangères à raison du fait qu’elles franchissent ses frontières), processus d’harmonisation de la fiscalité indirecte (régimes communs en matière de TVA et de droits d’accises), respect scrupuleux des quatre grandes libertés de circulation (personnes, marchandises, services et capitaux) garanties par le marché intérieur dans le domaine de la fiscalité directe (ainsi les législations nationales ne peuvent-elles pas réserver certains avantages fiscaux aux seuls résidents, à l’exclusion des ressortissants non nationaux, généralement non résidents), encadrement des aides fiscales d’État, etc.

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On comprend que le développement de l’internationalisation des marchés et la consécration de l’intégration européenne aient amené à brider les velléités d’impôts sélectifs, tantôt stimulants, tantôt protecteurs, au bénéfice d’une approche jugée plus conforme aux impératifs de la neutralité concurrentielle.

Abandon de souveraineté ou « interventionnisme libéral » ?

Faut-il y déceler un abandon inexorable de souveraineté ? La réponse est non, la mise sous surveillance des politiques fiscales internationales par le droit pouvant même, dans la quête de puissance des nations, être « un mal pour un bien ». Pour cela, encore faut-il ne pas demeurer prisonnier d’une certaine conception du rôle de l’État, celle précisément qui règne en France et qu’il conviendrait de combattre. Certes, une pratique de l’interventionnisme fiscal se voit vilipendée, mais une autre forme d’interventionnisme se trouve encouragée en creux, que l’on pourrait qualifier de « libérale ».

Le développement international s’appuyant sur une concurrence renforcée, l’objectif d’atténuation de la pression fiscale et de diminution des taux nominaux d’imposition en matière de taxation des revenus ou des bénéfices, auquel sont psychologiquement sensibles les agents économiques, ont ainsi guidé de nombreuses réformes fiscales à travers le monde. Leur caractéristique commune : privilégier des dispositifs avantageux à vocation générale au détriment d’avantages ciblés à vocation catégorielle. L’impulsion initiale fut donnée par le président Reagan et son Tax Reform Act en 1986 (le taux marginal d’imposition des revenus fut abaissé de 50 % à 28 %, celui des bénéfices des sociétés de 46 % à 34 %), imité aussitôt par de nombreux pays de l’OCDE (Canada, Japon, Royaume-Uni notamment), qui se réunit dès le mois de janvier 1987. Le Trump’s Tax Plan de l’actuel président américain (diminution des taux marginaux les plus élevés de l’impôt sur le revenu et abaissement de 35 % à 21 % du taux nominal de l’impôt sur les sociétés) s’est inscrit dans une même logique d’attractivité. Au niveau européen, l’Irlande fournit la meilleure illustration des opportunités qu’offrent paradoxalement les contraintes juridiques imposées aux États. Tandis qu’étaient contestés au regard du droit de l’Union européenne plusieurs de ses régimes de faveur (régime dit « 10 % scheme » pour les activités manufacturières, régime de la zone aéroportuaire de Shannon, régime du Centre international de services financiers de Dublin), par lesquels était accordé un taux réduit d’impôt sur les sociétés de 10 % au lieu du taux normal de 32 %, l’Irlande les a supprimés au bénéfice d’un taux normal de droit commun abaissé à 12,5 %, en quoi elle ne s’exposait plus aux objections des institutions européennes.

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De son côté, la France a démontré une fâcheuse tendance à la prolifération des crédits d’impôts et autres niches fiscales (incitation à la relocalisation à travers un crédit d’impôt pour relocalisation, prévention des délocalisations dans les zones les plus fragiles à travers un crédit de taxes professionnelles, franchise fiscale en faveur des pôles de compétitivité, etc.). Excipant des facilités offertes par le droit européen des aides dites de minimas (plafonnées pour les entreprises à 200 000 euros par période de trois exercices consécutifs), lesquelles échappent aux contraintes réglementaires, mais sont d’une portée nécessairement limitée, le législateur a surtout traduit le dirigisme très français des pouvoirs publics dans la défense des intérêts économiques nationaux.

Esquisse d’une fiscalité victorieuse

Un timide changement de paradigme semble avoir été amorcé avec la présidence d’Emmanuel Macron. Parmi l’ensemble des mesures fiscales adoptées, celles concernant le capital sont incontestablement positives, en ce sens qu’elles atténuent des distorsions extrêmement pénalisantes pour l’économie française. Il en est ainsi de l’institution d’un prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30 % sur la partie mobilière des revenus de l’épargne et des plus-values. Auparavant soumis à la très forte progressivité du barème de l’impôt sur le revenu, et compte tenu des prélèvements sociaux, les « revenus » du capital et les plus-values pouvaient supporter un taux d’imposition tutoyant les 60 %. Or, s’il doit être taxé, le rendement du capital n’a aucune raison de l’être en sus d’un revenu du travail déjà soumis à l’impôt progressif sur le revenu. L’imposition forfaitaire est à cet égard un moindre mal, le maintien de la progressivité et la persistance de taux nominaux élevés demeurant par ailleurs un élément décourageant pour l’impatriation de ressources humaines, sinon un franc encouragement à l’expatriation vers des cieux fiscaux plus cléments. Autre mesure salutaire, quoique indécise au vu de son application étalée sur la durée du quinquennat, la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés. Celle-ci ne fera jamais que combler, et encore partiellement, le fossé qui s’est creusé entre la France et les pays concurrents. Et après ? Sauf à engager un effort drastique sur la dépense publique, ce qui n’a pas encore été fait à ce jour, les marges de manœuvre demeurent exiguës.

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À propos de l’auteur
Victor Fouquet

Victor Fouquet

Doctorant en droit fiscal. Chargé d’enseignement à Paris I Panthéon-Sorbonne. Il travaille sur la fiscalité et les politiques fiscales en France et en Europe.

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