<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Les flux migratoires d’hier à aujourd’hui : le cas de l’Europe

26 août 2020

Temps de lecture : 11 minutes

Photo : Migrants dans le détroit de Gibraltar © FELIPE PASSOLAS/SIPA Numéro de reportage : 00871596_000001

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Les flux migratoires d’hier à aujourd’hui : le cas de l’Europe

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La crise des réfugiés, subsahariens ou syriens, qui a marqué les esprits en 2015, tend à faire oublier les lentes évolutions des flux contemporains. Or la question migratoire ne peut être appréhendée sereinement qu’à travers ces tendances durables…

Après la Seconde Guerre mondiale, les principaux mouvements migratoires concernaient les minorités ethniques menacées dans les nouvelles frontières issues du partage du continent entre les deux blocs. Face à l’URSS, 3 millions d’Allemands de Pologne, de Roumanie et de Tchécoslovaquie ont tenté de trouver refuge à l’Ouest, notamment en RFA. En trente ans, plus de 10,7 millions d’Européens de l’Est ont opéré ce basculement vers l’Ouest.

Parallèlement et durant les Trente Glorieuses (1945-1973), la nécessité de la reconstruction de l’Europe puis les besoins de main-d’œuvre dus au développement industriel ont incité les États et les entreprises à faire appel à une immigration de travail, qui était encore saisonnière. Près de 10 millions de personnes ont été concernées par ces mouvements migratoires à l’époque : Turcs et Yougoslaves pour l’Allemagne, Algériens, Italiens, Portugais et Espagnols pour la France. Les chiffres de réfugiés pour raison politique sont encore peu significatifs, réduits aux exilés fuyant le communisme. C’est aussi le temps du rapatriement des populations européennes des colonies désormais indépendantes, mouvement qui concerna, dans le cas de la France, plus d’un million de « pieds-noirs ».

L’immigration change de nature

Avec la récession qui prolonge le choc pétrolier de 1973 jusqu’au début des années 1990, la plupart des pays européens restreignent l’entrée des migrants, main-d’œuvre trop concurrentielle pour les nationaux. Même si on incite les étrangers à repartir dans leur pays d’origine, la législation autorise toutefois le regroupement familial (1974 en France), transformant ainsi une immigration saisonnière de travail en immigration permanente d’installation familiale. Une double tension se manifeste alors : tension aux frontières pour freiner le flux continu des candidats au mirage économique européen ; tension intérieure pour déterminer s’il faut assimiler culturellement les étrangers installés ou simplement les intégrer économiquement.

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Les années 1970-1980 sont aussi celles d’un essor des demandes d’asile politique en raison de l’instabilité chronique des jeunes pays indépendants du tiers-monde. Face aux violences en Afrique subsaharienne, l’Europe fait figure de zone de refuge privilégiée, plus que les États-Unis. Les demandes d’asile reçues en Europe de l’Ouest passent de 180 000 en 1987 à 437 000 en 1990. Les famines et les sécheresses à répétition au Sahel lancent les premiers migrants climatiques sur les routes vers le nord.

L’attraction continue de l’Europe auprès des pays pauvres survient au moment où la démographie du vieux continent s’effondre et le vieillissement s’accroît, or cet hiver démographique européen débouche sur un appel d’air migratoire.

Les flux intra-européens se développent

Il existait depuis longtemps des flux intra-européens, Italiens, Portugais ou Espagnols vers la France, Italiens vers la Suisse ou l’Allemagne, Yougoslaves ou Turcs vers l’Allemagne. Mais ils ont tendance à se réduire (sauf les derniers) au fur et à mesure que les pays de départ se développent.

La fin de l’URSS en 1991 provoque de nouvelles inflexions. L’Union européenne a alors tendance à valoriser les migrants du continent aux dépens des autres. L’Allemagne réunifiée devient l’eldorado des migrants des Balkans et d’Europe centrale, particulièrement pour le 1,3 million d’Aussiedler, ces germanophones résidant en Europe de l’Est et qui peuvent prétendre au retour dans la « mère patrie ».

 

Avec l’hégémonie américaine, le nouveau climat géopolitique semble faire penser qu’un temps de paix durable est advenu, de sorte que le nombre de demandeurs d’asile en Europe de l’Ouest s’effondre de moitié, passant à 270 000 en 1997. Les réfugiés accueillis sont désormais moins d’origine africaine et asiatique qu’européenne et, plus précisément, yougoslave. Les conflits en ex-Yougoslavie entre 1990 et 1995 poussent 4,6 millions d’individus à fuir leur pays, et 700 000 trouvent refuge en Europe de l’Ouest. Au même moment, la Grèce et l’Italie accueillent les Albanais fuyant la dictature et la violence sociale.

L’Union européenne, qui se construit alors comme ensemble politique avec les accords de Maastricht (1992), puis l’entrée en vigueur des accords de Schengen (1995), accepte la liberté de circulation en son sein tout en prétendant mettre un frein aux entrées venues de l’extérieur. Dans la décennie 1990, la France attribue en moyenne 80 000 autorisations de séjour long. Le principe de la mondialisation accepte le libéralisme commercial et la liberté de circulation, mais le restreint en ce qui concerne les immigrants non européens. Il y a là une fragilité doctrinale de l’UE, dont les conséquences se révélèrent flagrantes après 2011 : puisque nous avions accepté l’âme de la mondialisation, pourquoi refuser ses bienfaits aux migrants africains et asiatiques ?

Le mirage de la « forteresse Europe »

La réalité des conditions économiques, le ralentissement de la croissance, les réticences des opinions publiques envers l’immigration facilitent la mise en place de restrictions plus dures, si bien que l’UE est alors qualifiée de « forteresse Europe ». Mais en raison de l’humanisme des institutions européennes et des besoins en main-d’œuvre, le contrôle des frontières n’a pas un aspect rigide et imperméable. Ainsi, l’immigration clandestine issue du Ghana, du Bénin ou du Nigeria ne passe pas par la voie terrestre, mais transite par les aéroports de Cotonou et Lagos. Les candidats au départ prennent l’avion jusqu’à Paris, Bruxelles et Londres le plus légalement du monde, avec des visas touristiques, rapidement dépassés et non renouvelés. Beaucoup déposent un dossier de demandeur d’asile et demeurent sur le territoire après un refus de l’administration. Grande est alors la tentation pour les refoulés de l’asile d’essayer d’autres méthodes : mariage blanc, maladie, naissance d’un enfant sur le sol français…

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La décennie 1990 est marquée par une forte tension entre les flux croissants de clandestins issus des pays du Sud et par les velléités de fermeture des frontières de la part de l’UE, notamment avec l’entrée en vigueur du traité de Maastricht en novembre 1993.

 

Apparaissent alors des points de passage et de transit où affluent les migrants, en lutte avec les douanes, les forces de police et les barrières électroniques. Le détroit de Gibraltar, l’enclave espagnole de Ceuta, l’île italienne de Lampedusa, le tunnel sous la Manche et le Calaisis deviennent les lieux symptomatiques d’une immigration massive, avec son cortège d’injustices et de brutalités. Entre 1990 et 1996, l’Italie voit le nombre de clandestins doubler, de 570 000 à près de 1,1 million.

Ensuite le phénomène ne fait que s’accentuer. En 2005, sur 191 millions d’immigrants dans le monde, 41 millions résident dans l’Union européenne, malgré la prétention des institutions à un contrôle migratoire. Les immigrés en situation illégale avoisinent 2 millions de personnes. Le solde migratoire – différence globale entre le nombre d’immigrants et celui des émigrants (voir article page 53) – représente alors 80 % de l’augmentation démographique de l’Union. La proportion d’immigrés dans la population de la France métropolitaine passe de 5 % en 1946 à 9 % en 2017, dont 41 % ont acquis la nationalité française (chiffres : INSEE et OCDE). Ces statistiques indiquent que le dynamisme démographique européen vient d’abord de l’immigration.

 

Les entrées de migrants n’ont plus de caractère temporaire, mais sont durables et visent l’installation. Le regroupement familial – garanti par la Convention européenne des droits de l’homme – est devenu la première raison d’installation durable, loin devant le travail ou l’asile politique. Les immigrés concernés ne sont pas admis sur le territoire à cause de leurs compétences ou de leur volonté intégratrice, mais parce qu’ils répondent à des critères objectifs maritaux ou familiaux. Les 45 000 mariages mixtes (1) célébrés chaque année sur le territoire français (17 % du total des mariages), ajoutés aux 45 000 mariages célébrés à l’étranger, constituent la voie normale d’accès au droit de séjour. Ainsi, 85 % des entrées permanentes en France sont de droit, et échappent donc à l’interprétation du pouvoir exécutif.

Cette immigration est essentiellement extra-européenne. En 2014, 44 % des six millions d’immigrés vivant en France métropolitaine viennent d’Afrique, pour 36 % d’Europe (Insee). En 2003, 215 000 personnes avaient immigré en France, contre 156 000 en 1998. Tous ces chiffres vont à l’encontre des idées reçues sur une Europe fermée aux flux migratoires.

Comment agir ?

Les gouvernements qui assurent lutter contre le phénomène ont en réalité peu de prise sur de tels mouvements. La politique européenne de contrôle est pourtant régulièrement redéfinie et réévaluée, ainsi par le traité d’Amsterdam (octobre 1997) et par les différents sommets, jusqu’à la création en octobre 2004 de l’agence Frontex. Celle-ci avait pour vocation de coordonner la surveillance des côtes et des frontières de l’UE, mais elle fut aussitôt critiquée pour son incapacité à empêcher les entrées clandestines et pour ses libertés prises envers les droits des migrants. Face à l’augmentation des flux clandestins qu’il était difficile d’interrompre en raison de la législation et du manque de moyens, il fallut dès 2005 décider de répartir les individus par quotas nationaux.

Selon la procédure dite de Dublin II (2003), toute demande d’asile doit être examinée dans le premier pays de l’Union européenne où la personne est entrée. Or, face à l’impossibilité de faire respecter ce cadre, un Bureau européen d’appui en matière d’asile fut mis en place en 2010, transcendant les politiques nationales. Une telle réorganisation administrative eut pour conséquence de dégager la gestion migratoire des instances nationales pour la confier à des fonctionnaires européens, irresponsables devant l’opinion et l’électorat.

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Face au risque de surchauffe, notamment dans l’opinion, les gouvernements français, qu’ils fussent conservateurs ou progressistes, utilisèrent la procédure des reconduites à la frontière, dont le nombre grimpa de 9 000 en 2001 à 24 000 en 2007, puis 36 800 en 2012. Entre 2002 et 2005, de nombreux pays européens procédèrent à des régularisations massives : 220 000 en France, 720 000 en Grèce. L’Italie et l’Espagne régularisèrent chacune 700 000 personnes, l’une en 2002 et l’autre en 2005. Depuis 25 ans, 3 millions de clandestins ont ainsi été régularisés en Europe. L’attraction européenne, malgré la crise économique, n’a jamais été aussi forte. Les taux de départ au Maroc vers l’Europe atteignent 15 % des hommes valides.

Les années 2000 confirment donc la tendance héritée de la décennie précédente, à savoir que les masses migratoires arrivées en Europe répondent globalement aux demandes des pays de l’UE, quels que soient les discours anti-immigration des hommes politiques.

La crise de 2005

La crise récente s’inscrit dans des tendances de longue durée, aggravées par la déstabilisation du Sahel et du monde arabo-musulman à la suite des Printemps arabes en 2011-2012. De fait, le nombre de réfugiés et de migrants clandestins arrivés en Europe par la voie maritime a explosé en quelques années :

 

2011 : 70 000

2012 : 22 500

2013 : 60 000

2014 : 219 000

2015 : 1 005 500

(Source : OIM, Office international des migrations)

 

Cet essor est exceptionnel, car il tranche avec l’ancienne tendance de l’immigration clandestine qui empruntait des voies terrestres et aériennes souvent légales, laissant dépasser les visas de séjour.

Médiatiquement, la crise migratoire commence le 19 avril 2015, lorsqu’un navire de migrants fait naufrage au large de l’île italienne de Lampedusa, faisant 700 morts. Près de 10 000 malheureux auraient été secourus par la marine italienne pour le seul week-end des 11-12 avril. Depuis 2000, 22 000 personnes seraient mortes dans le même genre de circonstances, fuyant la guerre et la misère du continent africain. Au-delà du drame humain, la crise des réfugiés est un événement majeur qui peut bouleverser la géopolitique du Moyen-Orient et recomposer les sociétés européennes.

La couverture médiatique de la crise migratoire commencée à l’automne 2015 fut aussi impressionnante que l’ampleur du phénomène. Les chiffres officiels – nécessairement incomplets – font état de 350 000 migrants clandestins entrés dans l’Union pour les premiers mois de l’année. Le nombre de demandes d’asile reçues entre avril et juin 2015 se monte à 213 200, soit 85 % de hausse par rapport à la même période en 2014.

Le chiffre de migrants arrivés par mer passa de 219 000 en 2014 à 239 200 en 2015, dont 56 % débarqués en Grèce, 42 % en Italie et 2 % en Espagne. L’Allemagne reçut en moyenne 30 000 demandes d’asile par mois de janvier à août 2015. Les migrants privilégiaient les Pays-Bas, la Lettonie, l’Autriche et l’Allemagne plutôt que la France (30 000 demandes en 6 mois seulement). Mais les demandes auprès de l’Allemagne doublèrent soudain en septembre, s’élevant désormais à 63 000, en raison de la déclaration du 19 août 2015 de la Chancelière, Angela Merkel, annonçant que le pays devrait accueillir à terme 800 000 demandeurs d’asile. Peut-être mal comprise, cette phrase fit l’effet d’un appel d’air auprès des Syriens encore en Turquie, qui y virent une invitation à entrer dans l’Union européenne.

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Affluant par colonnes de plusieurs centaines de personnes, guidés par leur smartphone et nourris sur leur route par des passeurs et des humanitaires européens, les migrants syriens quittèrent leurs camps de Turquie pour traverser la mer Égée. Parvenus en Grèce, ils débordèrent rapidement les capacités d’accueil du pays, déjà en crise économique et politique. Puis Munich devint en quelques semaines la plaque tournante des migrations syriennes vers l’Europe. Le 14 septembre, face à l’impossibilité d’accueillir ce flot régulier, Berlin annonça le rétablissement des contrôles aux frontières, à peine un mois après qu’Angela Merkel eut provoqué l’accélération des départs de Turquie et de Grèce.

Un recul… provisoire ?

La crise migratoire de 2015 n’est pas uniquement une crise de réfugiés, car elle est la continuation logique des mutations migratoires enclenchées depuis 20 ans. À cela près que de nombreux candidats à l’entrée dans l’UE ont rejoint le mouvement des Syriens pour s’y fondre et profiter des promesses d’accueil de l’Allemagne. L’impossibilité de contrôler l’afflux soudain a été une porte ouverte pour ceux qui, originaires des Balkans, par exemple, attendaient le moment propice pour tenter l’aventure de l’émigration.

L’ampleur du phénomène ne dépassa guère l’année 2015, puisque le chiffre des entrées diminua dès 2016, sous l’effet de politiques plus contraignantes, d’une meilleure coordination du contrôle des frontières avec la Turquie, des victoires militaires de Bachar el-Assad en Syrie et de l’opération française Barkhane au Sahel :

 

2016 : 390 400

2017 : 186 700

2018 : 144 100

(Source : OIM)

 

Il faut donc nuancer l’expression même de « crise des réfugiés », car elle sous-entend un raz-de-marée involontaire, brutal et subi, alors que les événements de 2015 – certes exceptionnels par leur ampleur – ont été portés par la législation européenne et par 30 ans de politique migratoire. La crise de 2015 est l’arbre qui cache la forêt de flux migratoires réguliers et puissants.

Il s’agit de mariages entre un individu français et un étranger ; ils peuvent cependant être de même origine comme les jeunes maghrébins qui cherchent un conjoint « au bled ». Ils ne sont donc pas toujours la preuve d’une insertion dans la société d’accueil.

 

La confusion des termes entraîne celle des analyses. L’une d’elles réside dans l’emploi du mot « réfugié » concurremment à ceux de « migrant », « immigrant » ou « immigré ». Pourtant, le terme réfugié renvoie précisément à un statut reconnu par la Convention de Genève (28 juillet 1951), et désigne « toute personne craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, qui se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ». Le réfugié est, de facto, protégé juridiquement et peut bénéficier d’une carte de résident valable dix ans, pour peu que l’administration du pays accueillant lui attribue le statut en question. Les réfugiés concernent 7 % des migrants internationaux (15 millions de personnes, d’après le Haut-Commissariat aux Réfugiés).

En revanche, un migrant – qu’on le qualifie d’immigré ou d’immigrant – est de façon très factuelle quelqu’un qui change de pays pour une durée indéterminée et pour une raison qui lui est propre. Le terme peut désigner aussi bien un immigré légal qu’un clandestin, et n’entraîne donc aucun statut ni aucune autre protection que celle que le pays d’accueil veut bien lui fournir, selon ses règles particulières.

Or, la confusion entre migrant et réfugié dans la récente crise tend à gommer toutes les nuances migratoires et à suggérer que la masse humaine qui s’est déplacée entre février et octobre 2015 devait nécessairement obtenir le statut de réfugié. Plus encore, l’amalgame s’est étendu dans les médias à tous les migrants arrivés en Europe à la même période, alors que beaucoup obéissent à des flux anciens, que les États ont toujours cherché à contrôler.

Ces constats sont confirmés par les chiffres d’origine des demandeurs d’asile dans l’Union européenne en 2017 (Frontex) : sur 649 000 demandeurs, 23 % venaient de zones de guerre (Syrie, Irak), 16,3 % de pays marqués par des violences localisées (Afghanistan, Érythrée, Nigeria), et tous les autres de pays en mal-développement (Pakistan, Albanie, Bangladesh…), ce qui n’exclut pas des formes ponctuelles d’oppression politique ou religieuse. Les victimes de guerre sont donc rares… Mais les médias ont popularisé le terme de « réfugiés politiques » qui entretient la confusion.

Et à l’échelle mondiale ?

Depuis les années 1990 et par un effet de la mondialisation, toutes les régions du globe sont concernées par les migrations internationales. Chaque année 3 % de la population mondiale, soit 240 millions de personnes, deviennent des migrants, c’est-à-dire quittent leur pays pour un autre. La plupart des migrations restent toutefois nationales avec 740 millions de migrants internes d’après le PNUD (Programme des Nations unies pour le développement). Il y a autant de Chinois qui migrent à l’intérieur de la Chine que de migrants internationaux.

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L’Europe reste toujours la première région d’accueil avec plus du tiers des migrants, suivie de l’Asie (28 %) et de l’Amérique du Nord (23 %). Malgré les débats sur l’essor des réfugiés climatiques et politiques, la raison du départ est principalement économique : dans trois quarts des cas on part vers un pays plus développé. Les régions d’accueil étant aussi réputées pour leur système social et politique, l’attraction économique se double d’autres motivations (fuite de l’autoritarisme, victimes de ségrégation ethnique, problèmes environnementaux…). Toutefois, la grande pauvreté n’est plus la seule raison des flux, et la part des diplômés tend à s’accroître : 60 millions de migrants participent au brain drain, à l’exode des cerveaux, surtout vers l’Amérique du Nord ; 31 % des diplômés d’Afrique subsaharienne émigrent…

Contrairement aux années 1960-1980, le pays d’accueil n’est pas forcément situé dans l’hémisphère Nord, car les flux du Sud vers le Sud se sont considérablement accrus et diversifiés, avec 63 % des migrants aujourd’hui. Les écarts de développement entre pays du Sud justifient cette évolution : les Afghans trouvent en Iran stabilité et travail, les ports de Côte d’Ivoire et le pétrole du Nigeria attirent les Subsahariens. On migre d’ailleurs généralement à l’intérieur de sa région ou de son continent : Égyptiens vers l’Arabie Saoudite, ouvriers d’Asie centrale vers la Russie. C’est dire que le mirage occidental, s’il existe encore, tend à s’évaporer. Certains pays attirent même des migrants venus de pays plus riches, ainsi des retraités français au Maroc ou les ingénieurs chinois en Afrique, accompagnés par des cohortes d’ouvriers déplacés pour quelques mois sur des chantiers tropicaux. Des phénomènes complexes se sont donc mis en place, et l’on voit même des agriculteurs brésiliens migrer vers le Paraguay tandis que des colons paraguayens s’installent dans l’Amazonie brésilienne…

Bien qu’incomplète, la fermeture des frontières des pays du Nord aboutit à la formation de régions de transit où la question migratoire est sous-traitée à des États forts, comme la Turquie, le Maghreb ou le Mexique. Les migrants stationnent là en attendant de parvenir un jour dans l’eldorado, demeurant sans droits ni avenir garantis.

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Photo : Migrants dans le détroit de Gibraltar © FELIPE PASSOLAS/SIPA Numéro de reportage : 00871596_000001

À propos de l’auteur
Olivier Hanne

Olivier Hanne

Docteur en histoire, agrégé, Olivier Hanne est chercheur associé à l’Université Aix-Marseille et professeur à l'ESM Saint-Cyr. Il est spécialiste du monde musulman et a publié de nombreux livres sur ce sujet.
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