<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Opération Husky (10 juillet 1943) Débarquement en Sicile

13 septembre 2021

Temps de lecture : 7 minutes

Photo : Lt. Col. Lyle Bernard, CO, 30th Inf. Regt., a prominent figure in the second daring amphibious landing behind enemy lines on Sicily's north coast, discusses military strategy with Lt. Gen. George S. Patton. Near Brolo. 1943. (Army) Exact Date Shot Unknown NARA FILE #: 111-SC-246532 WAR & CONFLICT BOOK #: 1024 Crédits : wikicommons

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Opération Husky (10 juillet 1943) Débarquement en Sicile

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30 avril 1943, 7h30. Un pêcheur espagnol trouve au large de Huelva le corps d’un officier britannique. Enchaînée à son bras, une mallette contenant des documents ultrasecrets. L’opération Mincemeat (« chair à pâté ») entre dans l’histoire.

Cette opération est l’une des plus ambitieuses mystifications[1] de la Seconde Guerre mondiale et s’inscrit dans un plan plus vaste pour envahir la Sicile. Débarquer sur cette grande île de 25 000 km² (près de trois fois la Corse), défendue par plus de 300 000 hommes, est la deuxième opération amphibie d’envergure organisée par les Alliés, mais la première contre un objectif vraiment défendu, le rapport de forces lors de l’opération Torch (novembre 1942) en Algérie et au Maroc ayant été beaucoup plus favorable. Il fallait donc l’entourer d’un maximum de précautions, en commençant par masquer autant que possible une cible qui n’apparaissait que trop évidente, une fois la Tunisie conquise.

L’homme qui n’a jamais existé [2]

Hasard chronologique, la reddition des troupes de l’Axe en Tunisie est signée le jour même où Mincemeat franchit une étape décisive : le 13 mai, les autorités espagnoles restituent au vice-consul britannique à Huelva la mallette du major William Martin, des Royal Marines – identité établie du cadavre officiellement noyé après la chute de son avion alors qu’il transitait vers Gibraltar. L’attaché naval acquiert vite la certitude que les documents ont été consultés et très probablement photographiés par des espions allemands alertés par l’Espagne, officiellement neutre mais complaisante à l’égard de l’Allemagne. Au vu des mouvements de troupes allemands dans les jours qui suivent, le contre-espionnage anglais informe Churchill que « la pâtée a été complètement avalée », c’est-à-dire que les Allemands ont pris au sérieux les plans d’opérations que transportait le major Martin. S’ils ont vérifié le billet de théâtre qu’il avait dans son portefeuille, avec plusieurs autres éléments personnels, ils ne se sont pas inquiétés de l’absence d’épave d’avion dans la zone de l’accident fatal, se contentant des informations des journaux et de la radio anglais à ce sujet.

Or le major Martin n’a jamais pris l’avion le 30 avril ; il n’a même jamais existé, le corps retrouvé dans l’Atlantique, non loin du site qui vit le triomphe de Nelson à Trafalgar, étant celui d’un marginal mort de pneumonie, amené en sous-marin depuis l’Écosse et déposé dans l’eau trois heures avant sa découverte. Les plans d’attaque qu’il convoyait étaient tout aussi faux, indiquant que les Alliés allaient débarquer en force en Sardaigne et en Grèce, et que l’attaque sur la Sicile serait une simple diversion. Alors que le débarquement de Sicile allait être une des plus massives opérations amphibies de toute la guerre, surpassant même le « D-Day » puisque 160 000 Américains, Britanniques et Canadiens seront engagés au premier jour (le 10 juillet), contre 150 000 pour le 6 juin 1944. L’aveuglement allemand résista même à la prise, le 11 juin, de Pantelleria et des îles Pélages, entre Tunisie et Sicile, après dix jours d’intenses bombardements aériens qui annihilèrent la volonté et les possibilités de résistance de la garnison et des habitants, et se prolongea jusqu’à la fin juillet.

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Le choix de la Sicile résultait d’un arbitrage entre plusieurs contraintes, rendu à la conférence de Casablanca, en janvier. Les Américains souhaitaient privilégier l’assaut frontal depuis le Royaume-Uni, mais savaient qu’il serait impossible de le lancer en 1943 ; or, les Soviétiques exigeaient l’ouverture rapide d’un second front pour ne pas continuer à payer seuls le prix des combats, et l’hypothèse d’une paix séparée à l’est, libérant les forces vives de la Wehrmacht, n’était pas à écarter – Hitler tentera d’ailleurs des ouvertures en ce sens. Roosevelt se rallie donc à la proposition britannique de poursuivre l’assaut depuis la Méditerranée pour donner un gage de bonne volonté à Staline, à qui Churchill a expliqué face à face, en dessinant l’Europe sous la forme d’un crocodile, que le point faible de l’animal était son ventre, donc sa face sud. En revanche, l’armée américaine ne veut pas engager trop de forces sur ce théâtre qu’elle estime secondaire et trop difficile d’un point de vue logistique pour permettre une reconquête rapide ; elle écarte donc l’assaut simultané sur la Sardaigne, mieux placée que la Sicile pour poursuivre l’attaque vers l’Italie du Nord voire la France, et sur la Grèce, d’où est pourtant partie une offensive décisive en 1918. Pour garder le contrôle, c’est le général Eisenhower, qui vient de recevoir sa quatrième étoile, qui doit organiser et commander l’opération.

Répétition générale

L’invasion de la Sicile préfigure donc par bien des côtés Overlord, l’ensemble des opérations qui seront déclenchées pour permettre la réussite du débarquement en Europe continentale : une manœuvre de désinformation pour tromper l’ennemi sur l’objectif, ou sur l’ampleur de l’assaut en cours ; un même commandant suprême ; un assaut aéroporté comme prélude au débarquement, lui-même opéré sur des plages plutôt qu’à proximité des ports pour éviter les zones les mieux défendues. En 1943 s’y ajoute une menace largement conjurée un an plus tard : la puissance aérienne de la Luftwaffe et de son alliée, moins moderne, la Regia Aeronautica. Une nouvelle campagne de bombardements massifs, une semaine avant l’assaut, permit de mettre hors de combat plus de 400 avions, soit environ la moitié de la force ennemie évaluée par les Alliés, et d’obliger les appareils de l’Axe à évacuer la majorité des bases, principales ou secondaires, situées en Sicile ou à proximité – tout en poursuivant bien sûr des frappes de « masquage » en Grèce et en Sardaigne. Au début de l’invasion, la Sicile n’héberge que 80 appareils italiens et une centaine de chasseurs allemands, le reste des avions disponibles – environ 300, aux deux tiers italiens – ayant été redéployés sur le continent ou en Sardaigne, ce qui limitait leur temps d’intervention sur les sites de débarquement. Les 1 600 avions de combat alignés par les Alliés n’auraient donc aucun mal à s’assurer la maîtrise du ciel.

L’opération navale fut la dernière manifestation de la domination britannique sur les flots, puisque la Royal Navy armait les deux tiers des 2 500 navires impliqués, navires de débarquement inclus, et en particulier la majeure partie de l’escorte, avec 6 cuirassés, 2 porte-avions, 15 croiseurs et une centaine de destroyers. Elle réussit ainsi à tenir à distance les faibles effectifs de sous-marins ennemis et n’eut pas à affronter la menace la plus redoutée, les 3 cuirassés modernes de la classe Vittorio Veneto, qui restèrent dans leurs bases continentales. Les incertitudes restaient cependant nombreuses, de la coordination de convois venant de points éloignés (Malte, Algérie, Égypte, mais aussi Grande-Bretagne et même directement des États-Unis pour une division US) jusqu’au comportement des nouveaux engins conçus pour débarquer directement des hommes et des véhicules sur un rivage, sans disposer de quais. La Sicile fut en effet le banc d’essai des LST, navires imposants dotés d’une proue ouvrante, mais aussi du DUKW, sorte de péniche amphibie qui fit merveille dans les eaux peu profondes des plages siciliennes puis comme véhicule de transport à terre.

Enfin, Husky inaugura l’utilisation des parachutistes en prélude au débarquement pour sécuriser l’arrière des têtes de pont. Le largage de nuit et les mauvaises conditions météo furent à l’origine de problèmes majeurs, qui ne seront qu’imparfaitement résolus un an plus tard : seuls 15 % des 3 000 paras de la 82e Airborne américaine, et une douzaine de planeurs sur 137, atterrirent à proximité des objectifs prévus, qui ne purent donc être tous saisis. Paradoxalement, l’éparpillement des largages contribua à tromper les défenseurs sur l’axe principal de l’attaque et les forces mises en œuvre. Mais tactiquement, l’intervention de forces spéciales débarquées par mer – les commandos marine – fut plus efficace que celle des aéroportées pour sécuriser les plages.

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Le commencement de la fin

L’imprécision de l’assaut aéroporté ne fut pas le seul défaut de l’opération Husky. Les deux zones d’assaut se situaient au sud de l’île, à l’est et à l’ouest du cap Passero. La VIIIe armée anglaise, commandée par le maréchal Montgomery, devait attaquer au sud-est, dans le golfe de Noto, juste au sud de Syracuse, tandis que la VIIe armée américaine, dirigée par le général Patton, avait trois sites de débarquement au sud, dans le golfe de Gela, de part et d’autre de la ville éponyme. Les opérations ne furent que peu contrariées par la résistance de l’Axe : les unités en première ligne étaient principalement des divisions côtières italiennes, peu motivées et mal équipées ; les divisions dans la profondeur, tant italiennes qu’allemandes, étaient de formation récente et largement « bricolées », avec un faible potentiel en blindés particulièrement – une majorité de chars moyens, des chars Renault de 1935 du côté italien. Les principales menaces pour les Alliés furent les batteries côtières et une contre-attaque germano-italienne en direction de Gela, les 10 et 11 juillet ; mais elles furent anéanties notamment par le soutien des unités navales, dont l’artillerie, puissante et précise, avait une portée suffisante pour bombarder loin dans l’intérieur.

Montgomery avait le trajet le plus court à parcourir, en remontant la côte orientale via Catane jusqu’à Messine, pour couper la voie de repli vers le continent ; Patton, de son côté, devait réduire les forces de l’Axe stationnées dans l’ouest de l’île et prendre Palerme, avant de rejoindre Messine par la côte nord, par une route unique très endommagée par les destructions allemandes. L’avance des Anglo-Canadiens fut freinée par une résistance efficace, facilitée par le relief difficile et l’insuffisance du réseau routier : Catane, à environ 50 km des plages de débarquement, n’est prise que le 15 août et c’est Patton qui entre le premier à Messine, le 17, précédant « Monty » de quelques heures. Plus grave : malgré la supériorité navale et aérienne totale des Alliés, les Allemands réussissent à évacuer quelque 100 000 hommes, aux deux tiers italiens, et plus de 1 000 véhicules à travers le détroit de Messine, entre le 3 et le 16 août – opération Lehrgang.

L’Axe a quand même perdu 25 000 hommes, contre 19 000 Alliés, et surtout 150 000 prisonniers, qui s’ajoutent aux 160 000 faits en Tunisie. Mais les conséquences stratégiques sont bien plus graves et à plusieurs étages. Dès le 13 juillet, la nouvelle du débarquement en Sicile et la crainte d’autres débarquements en Méditerranée, sur la foi de Mincemeat, poussent Hitler à stopper l’opération Citadelle (offensive contre le saillant de Koursk), commencée à peine une semaine auparavant – le second front a parfaitement joué son rôle. La réussite de l’invasion alliée a poussé le roi d’Italie et la Grand Conseil fasciste à exiger la démission de Mussolini, le 25 juillet. Après l’évacuation de la Sicile, le nouveau gouvernement italien contacte les Alliés et signe le 3 septembre un armistice secret, rendu public le 8, au moment où les Américains débarquent à Salerne. Non seulement les Allemands vont devoir occuper l’Italie et tenir un nouveau front, mobilisant une vingtaine de divisions, mais ils devront désormais se passer des 82 divisions italiennes, dont la moitié servait en Russie, en France, dans les Balkans. La Wehrmacht devra combler les vides et diminuer sa densité en Russie – de 190 divisions au moment de la Sicile, ses effectifs sont tombés à 160 un an plus tard, quand le vrai second front s’ouvre en Normandie.

[1] Les Anglo-Saxons appellent cette branche du renseignement, dans laquelle ils excellent, la deception, du verbe to deceive : tromper (par ruse), leurrer.

[2] The Man who never was : titre du récit autobiographique du commandant Ewen Montagu, concepteur de l’opération Mincemeat, paru en 1953, et du film qui en fut tiré par Ronald Neame (1956).

À propos de l’auteur
Pierre Royer

Pierre Royer

Agrégé d’histoire et diplômé de Sciences-Po Paris, Pierre Royer, 53 ans, enseigne au lycée Claude Monet et en classes préparatoires privées dans le groupe Ipesup-Prepasup à Paris. Ses centres d’intérêt sont l’histoire des conflits, en particulier au xxe siècle, et la géopolitique des océans. Dernier ouvrage paru : Dicoatlas de la Grande Guerre, Belin, 2013.

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