<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Qui commande à Pékin ? La crise de Hong Kong vue du Japon

5 septembre 2020

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Photo : Le Président Xi Jinping à Pékin le 31 juillet 2020 (c) CHINE NOUVELLE/SIPA/2007311639

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Qui commande à Pékin ? La crise de Hong Kong vue du Japon

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En relations beaucoup plus étroites que les Occidentaux avec le voisin chinois, les analystes japonais font preuve d’une grande prudence dans l’interprétation des événements en cours. Loin de voir Xi Jinping comme un dirigeant tout puissant, ils insistent sur l’émergence de l’opinion publique en Chine, et sur les luttes de pouvoir interne au Parti communiste chinois.

Le Japon a adressé le 3 juillet ses « reproches » à Pékin, à la suite de l’adoption de la loi de « sécurité nationale » mettant fin au régime de libertés publiques dont Hong Kong devait bénéficier jusqu’en 2047. La diplomatie japonaise a codifié quatre niveaux pour signifier l’intensité de ses préoccupations. Le terme « reproche » se situe au quatrième niveau, le plus élevé. Jusqu’à présent, le gouvernement d’Abe Shinzo avait manifesté une certaine retenue, comparé aux pays anglo-saxons. Le 28 mai, les États-Unis, la Grande-Bretagne, le Canada et l’Australie avaient accusé ensemble la Chine de manquer à ses « obligations internationales » concernant Hong Kong. Le Japon s’était associé à la démarche, mais en marquant sa différence et sa modération. Lors d’un point presse, le même jour, un ministre japonais avait exprimé plus sobrement la « profonde inquiétude » de Tokyo, soit une expression de niveau 2.

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Des parlementaires de l’aile la plus pro-américain du Parti libéral-démocrate (PLD), au pouvoir, avaient appelé à plus de fermeté. À la suite de l’entrée en vigueur de la loi chinoise liberticide, fin juin, ils ont durci le ton. Ces parlementaires ont demandé à Abe Shinzo de faciliter l’octroi de visas au Hongkongais candidats à l’exil, en particulier ceux qui travaillent dans la finance. Des députés libéraux-démocrates pressent également leur Premier ministre d’annuler unilatéralement la visite au Japon du président chinois Xi Jinping. Ce devait être la première depuis celle du président Hu Jintao, en 2008. Prévue en avril, cette visite a été reprogrammée d’un commun accord à la fin de l’année, en raison du Covid. Elle n’est pas irrémédiablement compromise, mais la question de Hong Kong va « influencer sérieusement » le calendrier, a déclaré le 3 juillet le ministre japonais de la Défense, Taro Kono. En langage non diplomatique, il faudra que Xi Jinping fasse un geste spectaculaire pour que l’invitation tienne.

Prudence des milieux d’affaires

Les milieux d’affaires japonais, pour le moment, restent assez discrets dans la crise en cours. Le site du bureau de Hong Kong de la Japan External Trade Organization (Jetro) n’en parle pas du tout. Traditionnellement, les entreprises japonaises penchent globalement pour la modération, concernant la Chine. La Chine est le premier fournisseur du Japon et son premier client à l’export, à égalité avec les États-Unis. Réciproquement, le Japon est le principal fournisseur de la Chine, avec la Corée du Sud. Quoique rivaux, les deux pays ont rodé une collaboration mutuellement satisfaisante. La montée en gamme inexorable de la Chine est un inconvénient, mais il est contrebalancé par le développement du marché intérieur, dont profitent les exportations japonaises. L’interdépendance des deux économies est allée loin. Trop, peut-être. Début avril, Tokyo a débloqué deux milliards d’euros d’aides pour les entreprises désirant relocaliser au Japon des usines basées en Chine, mais en ajoutant – symboliquement – 200 millions d’euros pour les entreprises désirant quitter la Chine pour tout autre pays ! Pékin n’a pas commenté ce geste peu amical. Le plus dépendant des deux n’est peut-être pas celui que l’on croit.

Une vision nuancée de la Chine

L’histoire et les relations d’affaires ont tissé entre les deux pays une corrélation faite d’une myriade de liens individuels. L’an dernier, plus de 15 500 Japonais ont passé un diplôme de langue chinoise. En raison de ces connexions multiples, les décideurs japonais, comme les simples citoyens, analysent ce qui se passe à Pékin avec davantage de prudence que les Européens. La Chine n’est pas une puissance lointaine et opaque, mais un voisin qu’on peut visiter dans la journée (le vol Pékin-Tokyo dure trois heures). La reprise en main brutale de Hong Kong est interprétée de manière fort nuancée, comme une démonstration de force, mais aussi comme un aveu préoccupant de faiblesse. Le but de Pékin est-il vraiment de museler la contestation ? Ce n’est pas si simple. « L’opinion publique existe » désormais en République populaire de Chine, soulignait le 12 mars Miyamoto Yuji, ancien ambassadeur à Pékin, dans un entretien publié par nippon.com, où il analysait la crise du Covid comme un tournant. « Les explosions de colère dans l’opinion ont forcé le pouvoir chinois à admettre publiquement que sa réponse initiale au virus était mauvaise. »

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Le monde est-il face à un régime tellement sûr de lui qu’il s’assoit sur ses engagements internationaux dans le seul but de réduire au silence le dernier carré des contestataires, où face à un régime embarrassé, qui cherche à ralentir la montée en puissance de la société civile à l’échelle de la Chine entière ?

En Europe et aux États-Unis, la question est tranchée. Xi Jinping est vu comme un dirigeant tout puissant, presque un nouveau Mao Zedong. Le 1er juillet 2020, dans l’hebdomadaire japonais Yu Kan Fuji, le sinologue Shi Ping insistait au contraire sur les affronts que le numéro 1 chinois doit essuyer. Selon lui, en avril, lors de la réunion de l’Assemblée nationale populaire, le président chinois a été « traîné dans la boue » par son Premier ministre, Li Keqiang. Ce dernier a évoqué publiquement l’existence de 600 millions de Chinois vivant encore dans la pauvreté. Pour mesurer la portée du propos, il faut savoir que Xi Jinping rêve d’annoncer l’éradication de la misère en Chine pour les cent ans du Parti communiste chinois, en juillet 2021… La presse japonaise relève que Li Keqiang ne s’est pas arrêté là. Il a marqué sa différence avec Xi Jinping en soutenant publiquement les petits commerçants de rue que le président voudrait bannir des rues chinoises. Ces commerçants sont actuellement l’emblème de l’esprit d’entreprise, voire de la démocratisation du pays, soulignait Katsuji Nakazawa, spécialiste de la Chine à la rédaction du magazine japonais Asia Nikkei, le 12 juin.

Jinping et le poids du système

Ancien haut fonctionnaire au ministère des Finances, Takahashi Yoichi relève dans le Gendaï Business du 30 juin que Pékin se tire une balle dans le pied : « La Chine se prive elle-même d’une décennie de régime idéal : un pays, deux systèmes », conciliant l’autoritarisme et les capitaux. La place financière de Hong Kong risque de couler, « ce qui profitera au Japon ». Personne à Tokyo n’envisage sérieusement un affrontement miliaire avec la Chine, et encore moins un raid sur l’archipel (le dernier remonte à 1281). Les incidents aux îles Senkaku (appelées les îles Diaoyu par la Chine, qui les revendique) n’ont pratiquement pas cessé depuis un mois, les navires chinois s’aventurant dans les eaux contestées, mais les risques de dérapage semblent faibles. Il est aussi question de Taïwan, bien entendu. Les commentateurs japonais constatent l’évidence : une fois Hong Kong sous contrôle, Pékin risque de se tourner vers Taïwan. Avec quelles intentions et en étant résolu à prendre quels risques ? La question en amène une autre, sur laquelle se penchent les analystes japonais : qui commande réellement à Pékin ?

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Narushige Michishita, vice-président de l’Institut national d’études politiques de Tokyo, compare la Chine actuelle au Japon des années 19301. Il constate l’existence d’un courant belliqueux et mégalomane en Chine, mais Xi Jinping en est-il le leader ou l’esclave ? Le numéro un chinois est peut-être obligé de composer avec ce que Narushige Michishita désigne d’un terme délibérément vague, « le système » : un mouvement profondément nationaliste, enivré par la puissance retrouvée de la « Grande Chine » et inconscient de ses fragilités, à l’image de la junte qui a poussé le Japon à affronter les États-Unis en 1941. Pour aider aujourd’hui les Chinois favorables à l’apaisement, Michishita préconise la fermeté. « La Chine doit rencontrer un contrepoids. [Le système] pousse les chefs et le peuple à l’agressivité. » Selon Narushige Michishita, il s’agit de mettre les Chinois qui veulent temporiser en mesure de dire à leurs collègues trop téméraires : « On ne peut pas faire ça [réprimer Hong Kong, provoquer Taïwan, etc.]. Les Américains, les Japonais, les Australiens et les autres sont là et vont nous arrêter, désolés. »

(1) Pour un aperçu de ses analyses en anglais, voir The Diplomat, « China’s Rise as a Military Power: A View From Tokyo », juin 2020.

À propos de l’auteur
Yuko Hayakawa

Yuko Hayakawa

Professeur de japonais, responsable de la section Japon de l’EMBA Business School, à Quimper.

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