Le soft power est à la mode. Et le cinéma est considéré comme l’un des moyens les plus efficaces dont dispose un pays pour diffuser son modèle et ses valeurs. Surtout quand il sait, comme Hollywood y excelle, jouer sur tous les tableaux.
En 1963, dans La Force des choses, Simone de Beauvoir s’exclamait : « Ça signifiait tant de choses l’Amérique ! Et d’abord l’inaccessible : jazz, cinéma, littérature, elle avait nourri notre jeunesse mais aussi elle avait été un mythe. […] J’étais prête à aimer l’Amérique ; c’était la patrie du capitalisme, oui, mais elle avait contribué à sauver l’Europe du fascisme. » Cette vibrante déclaration d’amour de la part d’une philosophe que l’on ne peut alors soupçonner d’atlantisme forcené sonne d’autant plus comme la preuve de la fascination que peut exercer la culture américaine. C’est cet élément de puissance subtile que Joseph Nye a baptisé le « soft power » en 1990 dans son ouvrage Bound to Lead. « L’autre face de la puissance » comme il l’appelle s’apparente à un pouvoir de séduction qui repose sur des ressources avant tout culturelles.
Il est de coutume de faire d’Hollywood l’un des fondements majeurs de la « puissance douce » américaine. Mais est-ce si simple ? Le fait de contempler les images suffit-il à convertir les esprits ? Si l’on suit la déclaration de Beauvoir, c’est bien la victoire sur le nazisme qui a donné à la culture américaine son charme universel et non l’inverse. Faut-il voir Hollywood comme une usine fordiste, fabriquant du rêve et des valeurs américaines standardisées pour le plus grand nombre de consommateurs ?
Naissance d’une puissance
Aujourd’hui encore, on continue d’associer « Hollywood » et « soft power » quand bien même l’UE produit le plus grand nombre de films par an (environ 1 200) devant l’Inde et les États-Unis. C’est que tout n’est pas affaire de quantité, loin de là. Il ne suffit pas de produire, il faut vendre. Et, en la matière, le cinéma américain a deux longueurs d’avance. Il est en effet le plus diffusé au monde. D’après l’Observatoire européen de l’audiovisuel, plus de deux tiers des entrées en Europe sont le fait de films américains même si cette proportion est en baisse depuis quelques années. Seules les productions hollywoodiennes circulent dans le monde entier, à tel point que 50 % du chiffre d’affaires d’Hollywood est réalisé à l’étranger.
Afin de remettre les choses en perspective, il faut se souvenir d’abord que si le cinéma est une invention française, les États-Unis sont devenus, en ce domaine comme en d’autres, des leaders dès l’entre-deux-guerres : les premiers studios naissent dès 1912 avec Universal, suivi de la Paramount et de la MGM. Les années 1920 sont celles de l’essor de l’entertainment avec comme point d’orgue l’invention du parlant (Le Chanteur de jazz, 1927) et les premiers cartoons. Preuve qu’Hollywood est devenu le centre de gravité mondial du cinéma, Weimar y débarque dans les années 1930 ; des réalisateurs géniaux, tels Fritz Lang, Billy Wilder, Otto Preminger ou encore Max Ophüls, fuient le nazisme et s’y installent.
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Mais bien évidemment, c’est au lendemain de la Seconde Guerre mondiale que se développent les premières manifestations nettes d’un soft power cinématographique ; Hollywood devient un outil de puissance utilisé, parmi d’autres, par Washington. On connaît l’exemple des accords signés en 1946 par Léon Blum, alors président du Conseil, et James Byrnes, le secrétaire d’État américain ; ils aboutissent au fait que les films américains occupent plus de 50 % des grands écrans français. À l’époque, un certain nombre de cinéastes français, épaulés par la CGT et le Parti communiste, dénoncent un « bradage du cinéma français ». Dans un contexte de guerre froide, c’est une autre manière de reconnaître la puissance des images et leur caractère potentiellement propagandiste. Avis d’experts.
Les raisons d’un succès
Le succès d’Hollywood tient à la superposition de différents facteurs. Ce cinéma est d’abord original, il a accouché de genres nouveaux : les comédies musicales – immortalisées par Fred Astaire et Ginger Rogers –, les westerns – La Chevauchée fantastique associe pour la première fois en 1939 John Ford et John Wayne – ou encore les comédies piquantes d’un Capra ou d’un Wilder, sans oublier, plus tard, les films de science-fiction. Mais peut-être et avant tout, le cinéma américain a su inventer des personnages, construire des types d’acteur : des séducteurs, de Clark Gable à George Clooney, des femmes fatales telle Marilyn Monroe, vénéneuses comme Angelina Jolie, ou encore des aventuriers aux visages sans cesse renouvelés, d’Humphrey Bogart à Harrison Ford.
Enfin, Hollywood porte haut et fort les valeurs des États-Unis. L’American way of life transparaît à chaque plan, sous la forme d’une consommation omniprésente et de standards de vie inégalés. L’esprit de conquête, de dépassement, transparaissent, des westerns à Star Trek (dont le générique commence par « Space, final Frontier »). Sans oublier le patriotisme qui parcourt la plupart des films récents, de The Patriot à American Sniper en passant par tous les « Rambo ».
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Le génie d’Hollywood est d’avoir su réinvestir les mythes anciens, en écrire de modernes et avoir su les couler dans la société de consommation avec un sens aigu des goûts des spectateurs. Car si aujourd’hui Hollywood a compris qu’il fallait vendre du surnaturel dans un monde désenchanté, il a toujours su jouer sur les peurs ou les espérances du moment : les comédies légères durant la grande dépression, les films d’envahisseurs ou d’agents secrets au temps de la guerre froide et bien évidemment les odes à l’amour éternel – pensons à Titanic – à l’âge de la crise du couple…
Le dollar, toujours…
Mais derrière le grand écran, c’est également une machinerie économique à créer du désir qui se cache. Car, en ce domaine comme en d’autres, le soft power est épaulé par le dollar. Hollywood est une réalité économique, la seule à pouvoir apporter des financements de grande ampleur (Avatar est à ce jour le film le plus cher de l’histoire, avec un budget avoisinant les 400 millions de dollars), à développer un marketing planétaire (il n’est pas rare de voir des campagnes publicitaires dépasser aujourd’hui les 50 millions de dollars), à faire couvrir les films par des magazines people plutôt que par des journaux généralistes…
C’est peut-être là que réside la source de l’universalisme d’Hollywood, la clé de son « pouvoir doux » : par les facilités de financement et de réalisation, les studios attirent, depuis des décennies, les réalisateurs, les acteurs les plus doués du monde. La liste est éloquente : Alejandro Gonzalez Iñarritu a reçu l’Oscar du meilleur réalisateur pour Birdman en 2015, à la suite du Mexicain Alfonso Cuaron (Gravity, 2014), de Ang Lee, Américain d’origine taïwanaise (L’Odyssée de Pi, 2013), du Français Michel Hazanavicius (The Artist, 2012) et du Britannique Tom Hooper (Le Discours d’un roi, 2011)…
Cette manière de produire une sorte de melting pot cinématographique garantit probablement au cinéma américain une forme d’universalité sans équivalent. Hollywood est une synthèse entre talents – parfois sous-employés –, argent et entertainment. Mais ce n’est pas tout. Hollywood est également capable de produire un véritable discours contestataire : en son temps, Mash de Robert Altman, qui prenait pour décor la guerre de Corée, était une violente charge contre la guerre du Vietnam. Le film a été couronné par la Palme d’or à Cannes en 1970.
On le voit, les effets du cinéma américain sont massifs mais ambigus. Si la majorité d’entre eux servent une image favorable du pays, ses valeurs universelles, son combat, parfois naïf, pour le camp du bien, ils savent parfois être subversifs : quel meilleur moyen de réunir amis et critiques des États-Unis que de leur offrir les images qu’ils aiment ? C’est probablement un art discret de la guerre qu’aurait salué Sun Tsu, s’il avait connu Hollywood…