<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Une histoire (très politique) des Jeux olympiques

27 août 2020

Temps de lecture : 8 minutes

Photo : Les anneaux olympiques au Queen Elizabeth Olympic Park à Londres (c) Unsplash

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Une histoire (très politique) des Jeux olympiques

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Les Jeux de 1936 furent ceux d’Adolf Hitler, mais aussi ceux de Jesse Owens : l’athlète américain remporta quatre médailles d’or. Hitler aurait sans doute préféré la victoire d’Allemands mais, contrairement à une idée reçue, il ne bouda pas Owens après ses succès, au contraire il le félicita. Selon le journaliste Siegfried Mischner, il aurait même déclaré avoir été, en tant que noir, mieux traité en Allemagne qu’aux États-Unis. Il est vrai que le Président Roosevelt ne lui a pas envoyé de télégramme de félicitations.

Parmi les grandes cérémonies sportives, les jeux Olympiques bénéficient d’un prestige sans égal. Ils sont nés il y a plus de 2 700 ans au milieu des dieux grecs et des souverains d’Élide, ils rassemblent toutes les nations ou presque, ils proposent des compétitions dans un nombre de sports inégalé. Comment s’étonner que les nations s’efforcent d’y briller ?

 

En 1972, au lendemain des jeux Olympiques de Munich où l’URSS avait remporté 50 médailles d’or, le journal soviétique La Pravda déclarait : « Les grandes victoires de l’Union soviétique (…) constituent la preuve éclatante que le socialisme est le système le mieux adapté à l’accomplissement physique et spirituel de l’homme. » Bien entendu, ces propos n’ont pas été tenus par des athlètes lors des Jeux mais enfin, ils témoignent d’une récupération politique manifeste et contrastent avec l’apolitisme revendiqué par leur créateur moderne, Pierre de Coubertin. Ils démontrent, s’il le fallait encore, qu’olympisme, politique et géopolitique n’ont cessé d’entretenir des liens incestueux et qu’il est bien difficile de laisser les tensions internationales à l’entrée des stades.

La délicate géopolitique des lieux olympiques

La mise à distance des affaires et des querelles politiques constitue le cœur de l’olympisme. C’était le vœu de Pierre de Coubertin lors du rétablissement des Jeux à Athènes en 1896. La Charte olympique, rédigée en 1908, proclame selon les vœux du baron français, que « le rôle du Comité international olympique (CIO) est de s’opposer à toute utilisation abusive politique (…) du sport et des athlètes ». Et pourtant, les Jeux n’ont jamais été étrangers au monde qui les entourait, à commencer, et il s’agit là d’un aspect souvent méconnu, par le choix de la ville qui les hébergerait.

Si la désignation d’Athènes en 1896 tenait davantage du symbole, très rapidement les décisions du CIO tiennent compte au plus haut point du contexte politique. Ainsi, Londres abrite-t-elle en 1908 les JO dans le contexte d’une exposition rendant hommage à l’Entente cordiale signée quelques années auparavant entre le Royaume-Uni et la France. C’est à cette occasion d’ailleurs que la distance du marathon est définitivement fixée à 42 kilomètres soit la distance séparant… le château de Windsor et le White City Stadium construit pour l’occasion !

 

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Dans les années qui suivent, ce principe ne se dément pas. Si Berlin abrite les célèbres Jeux de 1936, c’est que le Comité olympique avait estimé en 1931 qu’il fallait réintégrer le grand vaincu de 1918 dans le concert des nations. C’est la même logique qui a prévalu en 1964 pour le choix de Tokyo. Quant à Helsinki en 1952, il s’agissait de trouver un pays tenant de l’Occident mais assez favorable à l’URSS qui, pour la première fois, participait aux Jeux. Et si Moscou les abrite en 1980, il a fallu, pour tenir compte des grands équilibres de la guerre froide, faire de Los Angeles la destination suivante. Plus récemment, Pékin en 2008 et Rio en 2016 reflètent des choix tenant compte des nouveaux équilibres économiques et géopolitiques de notre monde tout comme cela avait été le cas, en son temps, pour Tokyo en 1964 et Mexico en 1968. À l’époque, le Mexique se profilait comme un des NPI les plus dynamiques d’Amérique latine, un des fers de lance du Tiers Monde et du non-alignement.

Les JO, théâtre des querelles du temps

Bien évidemment, évoquer les jeux Olympiques sous l’angle de la politique, c’est avant tout les considérer comme chambre d’écho des bouleversements de la planète. À ce titre, la guerre froide a probablement constitué l’apogée de la dimension géopolitique des JO. En 1952, l’URSS qui refusait jusque-là de participer à une « manifestation bourgeoise » rejoint le CIO. En pleine guerre de Corée, la tension est telle entre les deux Grands que la Finlande construit un village olympique séparé pour la seule délégation soviétique. À partir de cette date, les Jeux deviennent le miroir de la lutte acharnée que se livrent les deux blocs ; elle tourne à l’avantage des Soviétiques à Munich en 1972 et surtout à Séoul en 1988 où l’URSS et la RDA coiffent les États-Unis sur le podium des médailles d’or. Le sport est devenu un véritable vecteur de soft power. Le président Ford ne déclare-t-il pas qu’« un succès sportif peut servir une nation autant qu’une victoire militaire » ? Tous les moyens sont bons pour obtenir des médailles. Dans les deux camps d’ailleurs, le dopage est roi ; encore aujourd’hui certaines performances établies dans les années 1980, notamment en athlétisme, ne sont pas égalées…

 

Les Jeux reflètent alors l’actualité géopolitique dans tous ses détails. En 1956 à Melbourne, ils débutent alors même que l’URSS déploie ses chars dans la Hongrie de Nagy. Et lorsque, deux semaines plus tard, la demi-finale de waterpolo oppose les équipes soviétique et hongroise, il faut l’intervention de la police australienne pour éviter qu’une altercation entre les joueurs ne dégénère en bain de sang. Au terme de ces Jeux d’ailleurs, les deux tiers de l’équipe hongroise trouvent refuge en Occident ! À Rome en 1960, la querelle entre la Chine populaire et Taïwan aboutit à la rupture entre Pékin et le CIO. Dans un tout autre registre, l’apartheid pratiqué par l’Afrique du Sud aboutit à son exclusion du mouvement olympique en 1968. Quatre ans plus tard, les JO sont victimes d’un drame à Munich : la délégation israélienne est attaquée par un commando de terroristes palestiniens. Neuf otages, cinq terroristes et un policier allemand trouvent la mort dans les événements.

 

Finalement, les JO n’ont cessé de faire l’objet de récupération de la part des États qui les accueillaient. Les exemples de manquent pas, à commencer par Berlin en 1936. Malgré l’arrivée d’Hitler au pouvoir, le CIO décide de maintenir son choix. Les Jeux deviennent une tribune pour le régime nazi en quête de respectabilité : retrait de tout slogan antisémite, autorisation à plusieurs sportifs juifs allemands de concourir, retransmission sur des écrans et pour la première fois des épreuves sportives, cérémonie pompeuse au son de Wagner dans un stade pouvant accueillir plus de 100 000 personnes. L’opération est réussie et le New York Times peut déclarer que les JO de Berlin ont rendu les Allemands « plus humains. » Deux ans plus tard, Leni Riefenstahl présente Les Dieux du stade, un documentaire de propagande à la gloire du Reich et de ses athlètes. Si l’exemple de Berlin est extrême, il n’en reste pas moins que les JO sont l’occasion, pour les nations qui les accueillent, de développer leur vision du monde, d’une façon bien souvent caricaturale, sinon propagandiste. Ainsi, en 2004, la cérémonie d’ouverture aux Jeux d’Athènes présente l’histoire glorieuse de la Grèce depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, omettant les siècles d’occupation turque. Plus récemment encore, les Jeux d’hiver de Sotchi en 2014 ont été l’occasion pour Vladimir Poutine de célébrer son pays.

Les JO au service de la paix… ou de l’argent ?  

C’est finalement tout le paradoxe des jeux Olympiques modernes : censés œuvrer pour la paix dans l’apolitisme, ils n’ont cessé d’être l’otage des tensions géopolitiques du siècle. Ils s’inspiraient pourtant des jeux antiques durant le temps desquels une trêve était déclarée entre les cités grecques. Sparte avait même été exclue plusieurs années de suite des compétitions après avoir attaqué un village ennemi durant cette période sacrée.

 

Il n’en a rien été à l’époque contemporaine où la guerre a eu plusieurs fois le dessus sur les JO. Ceux de Berlin en 1916 ont été annulés. Une génération plus tard, la guerre vient interrompre le cycle de l’olympisme : la Finlande qui devait accueillir les JO de 1940 a été envahie par l’URSS tandis que Londres, désignée pour 1944, célèbre, encore détruite, les premiers Jeux de la paix en 1948. La guerre froide a également eu raison de l’esprit olympique. Après l’intervention de l’armée Rouge en Afghanistan, les États-Unis et plusieurs de leurs alliés décident de boycotter les Jeux de Moscou de 1980. Quatre ans plus tard, l’URSS et une quinzaine de pays du bloc refusent d’envoyer leur délégation à Los Angeles.

 

Si le temps de la guerre froide est aujourd’hui derrière nous, celui de la mondialisation triomphante menace plus que jamais l’esprit olympique. Emblématiques à cet égard, les JO d’Atlanta en 1996 ont été à la fois ceux de Coca Cola et des États-Unis hyperpuissance, ceux de la globalisation – avec 197 délégations – et enfin ceux de la rupture. Cette dernière est financière d’abord : le montant des droits de diffusion télévisée est alors 350 fois supérieur à ceux pratiqués en 1960 ! C’est également l’abandon d’une des valeurs fortes de l’olympisme : l’amateurisme. Cette double évolution est largement due à la personne de Juan Antonio Samaranch, à la tête du CIO de 1980 à 2001. Avec lui et à la faveur de la fin de la guerre froide, les Jeux ont acquis une dimension globale sans précédent et ont pris le virage de l’argent avec tous les risques de débordement que cela signifie. Les nombreux scandales touchant le CIO et la question de l’attribution des Jeux en témoignent aujourd’hui.

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Au fond, les jeux Olympiques ont cédé aux deux maux qu’ils prétendaient combattre : la récupération politique et l’appât du gain. Pascal Boniface rapporte dans son ouvrage JO politiques un extrait de la lettre ouverte qu’avait adressée l’académicien Maurice Druon à Samaranch et résumant bien la pente nouvelle que le président du CIO avait fait adopter aux Jeux : « Le cœur de Coubertin repose à Olympie. Est-ce à Wall Street qu’il conviendra de déposer l’urne contenant le vôtre ? ».

Faut-il déplorer la fin de l’olympisme naïf d’un Coubertin ? Il ne faut pas être dupe ; si l’irruption de l’argent est effectivement une donnée récente, l’immixtion du politique, de l’idéologique, la pratique du dopage sont, on l’aura compris, aussi anciens que les Jeux eux-mêmes. Au fond, ils ont finalement été l’une des conditions de leur survie. Imagine-t-on une célébration sportive dénuée du puissant aiguillon qu’est le patriotisme… ou l’argent ?

La Chine et les JO, une histoire tumultueuse

L’haltérophile Chen Xiexia apporte à la Chine sa première médaille d’or lors des Jeux de 2008. Elle soulève 212 kilos ! Tout un symbole pour un pays qui entend soulever des montagnes.

 

En pleine convulsion au début du xxe siècle, la Chine ne rejoint le CIO qu’en 1932. Lorsque Mao s’empare du pouvoir en 1949, le gouvernement nationaliste de Tchang s’installe à Taïwan. À partir de là, les deux Chine constituent deux délégations séparées. Le CIO qui ne souhaite pas prendre position sur le fond autorise les deux Chine à concourir aux Jeux d’Helsinki en 1952, entraînant le boycott de Taïwan qui revendique le fait d’être la seule Chine légitime. En 1956, c’est au tour de Pékin de boycotter les JO de Melbourne au motif que le CIO reconnaît Taïwan… La Chine de Mao décide finalement de quitter l’ensemble des instances olympiques.

En 1979, après l’intégration de la Chine communiste à l’ONU, son rapprochement stratégique avec les États-Unis, Pékin réintègre le CIO et accepte, dans les faits, la participation de l’autre Chine, sa rivale. Pourtant, les JO de Moscou sont ceux, ironiquement, de l’absence. Taïwan emboîte le pas à Washington dans son boycott, rejoint par Pékin qui cherche également à mettre Moscou en difficulté. La Chine populaire n’est alors qu’un géant pauvre.

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Vingt ans plus tard, le CIO, désigne Pékin pour les Jeux de 2008. Juan Antonio Samaranch justifie son choix par le caractère désormais incontournable de la grande Chine : « Mon cœur est avec Paris mais ma tête avec Pékin. » L’autre argument avancé alors en faveur des Jeux de Pékin est celui de la démocratisation : refuser les JO à la Chine pourrait provoquer son renfermement. Très politiquement, le CIO balaie les critiques des ONG attentives au non-respect des droits de l’homme en Chine derrière le paravent de l’apolitisme. Et si la question du boycott a été soulevée, notamment en France, elle n’a débouché sur rien de concret. Il est périlleux d’offusquer Pékin.

Finalement, ces Jeux ont été, à l’image de la Chine contemporaine, ceux de la démesure : réunissant 204 délégations nationales, ils ont été les plus coûteux de l’histoire, ont vu tomber 43 records du monde et 132 records olympiques !

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À propos de l’auteur
Frédéric Munier

Frédéric Munier

Agrégé d’histoire, Frédéric Munier est enseignant en géopolitique en classes préparatoires ECS au lycée Saint-Louis (Paris).

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