« L’Autriche, c’est ce qui reste. » C’est par ces mots cinglants que Clemenceau aurait salué, en 1919, lors des négociations du traité de Saint-Germain-en-Laye, la naissance de la petite République d’Autriche qui prenait alors la succession de l’immense Empire austro-hongrois. Citation apocryphe, comme il en arrive si souvent des mots historiques ?
Quoi qu’il en soit, ce dur jugement issu des négociations pour les traités de paix révèle le caractère paradoxal de ce petit pays au cœur de l’Europe qui, à travers une dynastie, celle des Habsbourg, a porté un empire multinational où les officiers devaient transmettre leurs ordres en neuf langues et qui se cache aujourd’hui sous les traits d’une pâle république d’un peu moins de 9 millions d’habitants. L’Autriche occupe, pour nous autres Français, une place de choix dans notre patrimoine culturel. Son nom évoque, la magie de robes de bal tournoyantes et la chevelure brune de Sissi, le génie de Mozart, les chocolats crémeux et les chaudes vestes de laine, un pays de montagnes et de lacs d’un bleu profond, traversé par les flots du Danube avec ses accents de valses, ou encore les dorures de Vienne, capitale unissant à un degré rare le classicisme et la modernité et qui fut au début du XXe siècle une des grandes capitales culturelles du monde.
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L’Autriche, indissociable des Habsbourg, n’est pourtant pas née avec cette dynastie qui à l’origine n’a rien d’autrichien. L’Autriche elle-même, pendant des siècles, reste parfaitement insaisissable car il n’existe pas, à proprement parler, d’État autrichien, mais un archiduché, un empire qui l’englobe et la dépasse, des couronnes que ses souverains portent, mais avec d’autres titres et pour d’autres pays. Qu’est-ce que l’Autriche ? Une énigme de plusieurs siècles, presque millénaire, dont la réponse n’a encore jamais été trouvée. À quel territoire se cantonner, quand le vocable « Autriche » désigne toujours plus que les simples limites du duché originel, une Maison, puis un empire ? Hélène de Lauzun a dû faire des choix. Elle a pris le parti de se concentrer sur les frontières de l’Autriche actuelle, 83879 kilomètres carrés, et elle s’interroge sur ce qui est advenu, avant l’instauration de la Seconde République d’Autriche, sur cette petite portion de territoire du centre de l’Europe. Mais, comme il est toutefois impossible d’aborder ce territoire comme un vase clos, elle traite aussi de tous les peuples, provinces et royaumes qui ont partagé les destinées de l’Autriche : la Bohême, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie, l’Italie, les pays slaves du Sud, la Suisse, l’Allemagne, bien sûr, sans oublier l’Empire ottoman. Son ouvrage n’étant pas une histoire impériale de l’Autriche, on peut lui pardonner les nécessaires coupes effectuées dans ces histoires locales, intimement mêlées à celle de l’Autriche.
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L’Autriche a été durant la guerre froide, un lieu de rencontre neutre, c’est là que John Kennedy a rencontré Nikita Khrouchtchev. .Elle a abrité un certain nombre d’agences internationales, comme l’AIEA ou l’OPEP . Vienne est devenu le troisième siège de l’ONU. Aujourd’hui l’Autriche continue de jouer la carte de l’équilibre et de la synthèse. La puissance et la solidité de son économie lui donnent le statut de bon élève au sein de l’Union européenne. Forte de son héritage historique, elle est en mesure de dialoguer avec ses voisins de l’Est, ceux-là mêmes qui n’hésitent pas à faire entendre une autre voix dans le concert policé de l’Union européenne soumise aux règles bruxelloises, notamment à travers le groupe de Visegrad rassemblant Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie. Les succès récurrents des formations de droite aux élections autrichiennes rendent crédible le dialogue que Vienne maintient avec ces pays L’Autriche s’en distingue, mais il manque peu de chose pour qu’elle figure parmi eux : les points de contact sont nombreux, au premier chef sur les questions d’identité et d’immigration. Elle reste la passerelle par excellence entre l’Est et l’Ouest, le carrefour indispensable entre l’Occident rationnel et l’Orient tourmenté. C’est à Vienne qu’a été conclu le 14 juillet 2015, l’accord sur le nucléaire iranien.
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L’Autriche a vécu clarté et ténèbres, guerre et paix, grandeur et décadence. Elle en a tiré une sagesse certaine qui se vit aujourd’hui au quotidien dans les rues de ses villes, et tout particulièrement à Vienne, qui s’enorgueillit, année après année, d’être choisie comme la ville par excellence où il fait bon vivre. Elle réussit le tour de force qui consiste à faire vivre aujourd’hui, envers et contre tout, le meilleur de son passé tout en regardant vers l’avenir, sans que celui-ci donne l’impression de devoir être le fruit douloureux de ruptures et d’arrachements. C’est peut-être dans cette synthèse, qui paraît bien inaccessible à nous autres Français, que réside le secret du bonheur de l’Autriche conclut l’auteur de manière peut-être bien optimiste.