<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Herman Sörgel : l’homme qui rêvait d’unir l’Europe à l’Afrique

11 juin 2020

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : Détroit de Gibraltar © Pixabay

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Herman Sörgel : l’homme qui rêvait d’unir l’Europe à l’Afrique

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À la fin des années 1920, l’architecte allemand Herman Sörgel (1885-1952) imagine une vaste opération d’ingénierie géopolitique consistant à faire physiquement fusionner l’Europe et l’Afrique pour mieux sauver la première du déclin auquel elle lui semble promise.

Baptisé « Atlantropa » en référence à l’Atlantide, le projet d’Herman Sörgel vise à ériger deux gigantesques barrages traversant la Méditerranée du nord au sud : l’un au niveau du détroit de Gibraltar et l’autre entre la Sicile – rattachée à l’Italie continentale par la baisse du niveau de la mer – et la Tunisie. Un troisième barrage, d’orientation est-ouest, est également prévu au niveau du détroit des Dardanelles pour réguler le contact entre la Méditerranée et la mer de Marmara.

Ainsi verrouillée de toutes parts, la Méditerranée ne tarderait pas à voir son niveau s’abaisser sensiblement. Plus au sud, Herman Sörgel envisageait, en contrepartie, d’ériger une série de barrages sur des fleuves africains afin de donner naissance à une mer artificielle entre Tchad et Congo, pour permettre à terme de transformer le climat saharien et, à grand renfort d’irrigation, d’y faciliter l’implantation de colons européens et le développement par eux d’une agriculture performante.

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En résumé, le projet sörgelien consistait à faire s’évaporer la Méditerranée « réelle » pour mieux en recréer une « artificielle » plus au Sud. Le tout avec la conviction qu’il s’agissait du meilleur moyen de rendre à l’Europe une prospérité et une puissance menacées par les mutations de l’ordre international. Ainsi qu’il le synthétisait lui-même de manière péremptoire : « Asséchez la Méditerranée, inondez le Sahara et vous mettrez fin à la crise. »

Au service de la prospérité européenne et de la paix internationale

Dans l’esprit d’Herman Sörgel, l’utilité des super-barrages dont il envisageait la création était triple.

En premier lieu, équipés de centrales hydroélectriques, ils permettraient de produire en abondance l’énergie dont l’Europe avait besoin pour assurer le bon fonctionnement de son économie.

En second lieu, en faisant diminuer de plus de cent mètres le niveau de la Méditerranée, ils permettraient de gagner des centaines de milliers de kilomètres carrés de nouvelles terres arables pour répondre aux besoins alimentaires des Européens.

Herman Sörgel © Wikipedia

Enfin et surtout, en réduisant la Méditerranée au rang de simple lac, traversée qui plus est par des routes, des voies ferrées et des lignes à haute tension, Herman Sörgel était convaincu d’œuvrer au rapprochement entre ses deux rives et de donner naissance à un nouveau continent à part entière, l’Eurafrique. Un continent qui, au contraire de l’Europe, serait de taille suffisante pour tenir tête à la populeuse Asie et à l’industrieuse Amérique dont Herman Sörgel comme nombre de ses contemporains traumatisés par l’apocalypse de 1914-1918 craignait qu’elles ne finissent par subjuguer un vieux continent qu’elles prenaient pour ainsi dire en étau. L’exemple des Pays-Bas qui étaient alors en train d’achever avec succès les travaux d’assèchement du Zuiderzee témoignait s’il le fallait de la faisabilité et de la profitabilité d’une telle opération.

Depuis ses premières réflexions sur le sujet en 1928 jusqu’à sa mort accidentelle en 1952, Herman Sörgel n’aura de cesse, de livres en conférences et d’expositions en meetings, de promouvoir son projet à travers l’Europe et le monde. À l’en croire, en fournissant aux Européens un projet censé être profitable à tous, il œuvrait à la réconciliation et à la pacification du vieux continent dans la mesure où, plutôt que de se faire la guerre pour tenter d’accroître leurs territoires, les peuples européens coopéreraient désormais pour créer de toutes pièces de nouvelles terres et de nouvelles sources d’énergie dont ils pourraient ensuite se répartir les fruits équitablement. Qui plus est, et même si le recours à une main-d’œuvre africaine à bas coût était envisagé, le projet aurait permis de créer les emplois qui manquaient tant à une Europe en pleine crise économique.

De la théorie à la pratique géopolitique

Loin d’être le fruit des élucubrations d’un savant fou isolé, le projet Atlantropa s’inscrivait pleinement dans les réflexions géopolitiques qui agitaient l’Europe des années 1920 et 1930. Ce qui explique qu’il fut pris très au sérieux par ses contemporains, ainsi qu’en témoignent notamment les nombreux articles souvent enthousiastes que lui consacra la presse.

C’est que l’Eurafrique qu’Herman Sörgel se propose de faire concrètement advenir est à la même époque défendue sur le plan théorique par le géopoliticien munichois Karl Haushofer (1869-1946). Pour ce dernier, proche en ce point des réflexions de son compatriote Carl Schmitt (1888-1985) sur l’avènement d’un monde de « grands espaces » (Grossraum) et continuateur des prophéties de Richard Coudenhove-Kalergi (1894-1972) sur la « Paneurope », l’avenir est à ce qu’il appelle des « pan-régions » promises à se substituer aux vieux États-nations.

 

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De même que les États-Unis ont su unifier sous leur férule l’ensemble du continent américain par le biais de la doctrine Monroe, l’Allemagne devrait selon Karl Haushofer unifier l’ensemble eurafricain afin de disposer d’un réservoir de matières premières suffisamment étendu et climatiquement varié pour pouvoir atteindre un fonctionnement autarcique. Quant à l’importance accordée par Herman Sörgel à la production d’hydro-électricité par les barrages dont il envisageait la création, elle témoignait du rôle crucial que tenait alors la question énergétique dans les réflexions sur la puissance.

« Défataliser » la géopolitique

Le projet atlantropien ne vit finalement pas le jour faute de financements et parce que les nazis étaient plus attirés par les fertiles et toutes proches terres de l’Est européen que par les ingrats sols méditerranéens que leur promettait de faire verdir Herman Sörgel au prix de titanesques travaux. Celui-ci reçut également un accueil des plus réservés dans l’Italie fasciste où la perspective de voir les nombreuses cités portuaires que compte le pays se retrouver à sec n’avait rien pour séduire, même si des aménagements destinés à leur maintenir une apparence maritime avaient été imaginés.

En dépit de son échec, le projet Atlantropa demeure encore à ce jour l’un des exemples les plus spectaculaires d’ingénierie géopolitique, autrement dit de tentative de défataliser une approche souvent accusée de rendre l’homme esclave d’une géographie qui s’imposerait à lui et dont il ne pourrait que s’accommoder passivement. Au moment où un Nicholas J. Spykman (1893-1943) affirmait depuis les États-Unis que « les ministres vont et viennent, même les dictateurs meurent, mais les montagnes sont toujours à la même place », Herman Sörgel envisageait pour sa part rien moins que de rayer une mer de la carte. Il ouvrait ainsi la voie à une approche démiurgique de la géopolitique conçue non comme un constat désabusé de la soumission de l’homme à la puissance de la nature, mais bien plutôt comme la capacité de l’homme à utiliser cette nature de manière volontariste en canalisant les potentialités à son profit. Les nombreux projets d’ingénierie climatique qui fleurissent aujourd’hui pour tenter de contrôler les évolutions climatiques (parasol spatial, injection d’aérosols stratosphériques, etc.) témoignent de la persistance du rêve sörgelien d’une humanité non plus « esclave » mais « maîtresse » de son environnement. Et de son caractère fondamentalement ambigu en ce qu’il combine un constat volontiers pessimiste voire catastrophiste – quant à l’avenir de l’Europe du temps d’Herman Sörgel, ou de l’humanité tout entière de nos jours – à un optimisme scientiste qui pense l’homme capable de trouver solution à tous les défis qui le menacent.

 

Pour en savoir plus

 

Herman Sörgel, Atlantropa, Fretz und Wasmuth, 1932.

Peo Hansen et Stefan Jonsson, Eurafrica. The Untold History of European Integration and Colonialism, Bloomsbury, 2014.

Alexander Gall, Das Atlantropa-Projekt. Die Geschichte einer gescheiterten Vision : Herman Sörgel und die Absenkung des Mittelmeers, Frankfurt Kampus, 1998.

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Photo : Détroit de Gibraltar © Pixabay

À propos de l’auteur
Florian Louis

Florian Louis

Docteur en histoire. Professeur en khâgne. Il a participé à la publication de plusieurs manuels scolaires. Il est l’auteur d’une Géopolitique du Moyen-Orient aux Puf et de livres consacrés aux grands géopolitologues.
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