L’Iran et les États-Unis, des ennemis de 40 ans

9 mai 2020

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : Révolution islamique en Iran (c) Sipa 00165091_000038

Abonnement Conflits

L’Iran et les États-Unis, des ennemis de 40 ans

par

À la suite du lancement réussi le 22 avril dernier du premier satellite militaire iranien, les tensions entre l’Iran et les États-Unis se sont accentuées, au risque de provoquer une crise dans le golfe Persique. En effet, les États-Unis reprochent à l’Iran de vouloir concevoir des missiles longue portée pouvant transporter des armes nucléaires.

Ce nouvel épisode fait suite à une série d’actions provocatrices entre les États-Unis et la République islamique d’Iran, en rivalité continue depuis l’été 2018 après que Trump a retiré son pays de l’accord sur le nucléaire iranien et rétabli les sanctions économiques américaines envers l’Iran. En septembre 2019, une attaque par des drones contre des installations pétrolières saoudiennes était imputée à Téhéran par les États-Unis. En janvier 2020, la rivalité entre les deux pays augmentait d’un cran, avec la mort en Irak du général iranien Soleimani, au cours d’une frappe américaine. En réplique, l’Iran envoyait des missiles sur deux bases américaines d’Irak, sans provoquer de pertes humaines. Par ailleurs entre octobre 2019 et mars 2020, des postes américains en Irak faisaient l’objet de tirs de roquettes sporadiques, attribuées à des milices pro-Iran. Enfin, le 15 avril 2020, des navires de l’US Navy croisant dans les eaux internationales au large du détroit d’Ormuz, principale voie de transit des hydrocarbures, étaient harcelés par des vedettes iraniennes qui manœuvraient dangereusement autour d’eux. En réponse et à la suite de l’envoi du satellite iranien dans l’espace le 22 avril, le président Trump publiait le même jour un tweet où il ordonnait de « détruire » toute vedette iranienne harcelant des navires américains dans le golfe Persique. Une déclaration à laquelle le chef des Gardiens de la révolution, le général Salami répliquait en annonçant le 23 avril avoir ordonné aux navires iraniens « de détruire toute force terroriste américaine dans le Golfe persique qui menace la sécurité des navires militaires ou non militaires de l’Iran ».

A lire aussi : Covid en Iran : un bilan beaucoup plus lourd

Une opposition vieille de 40 ans

Pour comprendre cette inimitié entre les deux pays, il faut remonter au coup d’État de 1953, orchestré par les services secrets américains et britanniques (opération AJAX) et qui renversa le Premier ministre iranien Mohammad Mossadegh. Ce coup d’État faisait suite à la nationalisation du pétrole iranien et fut une humiliation pour les Iraniens qui développèrent un nationalisme hostile à l’Occident accusé d’ingérence. Ce ressentiment aboutit à la Révolution de 1979 qui chassa en janvier le Shah d’Iran Mohammad Reza Pahlavi, perçu à tort ou à raison comme une marionnette des Occidentaux, et mettant fin à la dynastie Pahlavi en place depuis 1925.  De cette révolution naquit le régime des mollahs, et l’instauration de la République islamique d’Iran en avril 1979. En novembre de la même année, réclamant l’extradition du Shah alors hospitalisé aux États-Unis, des étudiants iraniens prirent d’assaut l’ambassade américaine de Téhéran et y retinrent en otage 52 Américains durant 444 jours. Cette crise diplomatique, aggravée en avril 1980 par l’échec de l’opération commando Eagle Claw sensée libérer les otages (4 morts chez les commandos), resta comme une humiliation pour les États-Unis tandis que l’Iran transformait le bâtiment de l’ambassade en musée pour la propagande anti-américaine. Un autre épisode marquant dans la relation entre les deux pays fut la destruction en vol de l’avion Iran Air 655 en 1988, abattu par erreur par le croiseur américain USS Vincennes au-dessus du golfe Persique et causant la mort de 290 civils, dont 254 Iraniens.

À la suite des attentats du 11 septembre 2001, les États-Unis placèrent l’Iran parmi les trois pays de « l’Axe du Mal », avec la Corée du Nord et l’Irak. En face les autorités iraniennes qualifient régulièrement les États-Unis de « grand Satan », et ce depuis l’ayatollah Khomeiny. Par ailleurs, les guerres d’Afghanistan et d’Irak de 2001 et 2003 ont conduit l’Iran à pousser son programme de recherche dans le nucléaire militaire.

Une rivalité alimentée au niveau régional

L’opposition entre les deux pays est aussi concomitante de l’opposition de l’Iran avec Israël et l’Arabie saoudite. Sous le Shah, l’Iran avait de bonnes relations avec Israël mais celles-ci se dégradent après 1979. Téhéran considère alors l’État hébreu comme le « petit Satan », et prône sa destruction. Dès 1982, l’Iran finance la création du groupe islamiste chiite Hezbollah en réponse à l’occupation par Israël du Sud-Liban puis de la totalité du pays durant la guerre civile libanaise (1975-1990). Disposant d’une force armée, le Hezbollah est depuis une menace constante au nord d’Israël et bénéficie du soutien iranien. De même, l’Iran soutient le Hamas, groupe armé palestinien créé en 1987 qui contrôle la bande de Gaza depuis 2006 et est à l’origine d’attaques sporadiques sur Israël.

Par ailleurs, il existe un puissant lobby pro-israélien en Amérique, l’American Israel Public Affairs Committee, créé en 1951, qui a une forte influence sur les décisions politiques du pays. Les milieux religieux américains sont aussi majoritairement pro-israéliens. Ainsi, élu en 2016 avec un ralliement massif des chrétiens évangéliques, Trump s’affiche comme un soutien indéfectible d’Israël. En 2018, il a notamment reconnu Jérusalem comme capitale israélienne et transféré l’ambassade américaine dans la ville Sainte. De même, c’est en partie pour bénéficier du soutien évangéliste pour sa réélection que Trump maintient une rhétorique violente à l’égard de l’Iran.

Avec l’Arabie saoudite, l’Iran a entretenu jusqu’en 1979 de bonnes relations, et les États-Unis s’appuyaient sur ces deux pays pour assurer la stabilité régionale (la « two pillars strategy »). Mais la révolution iranienne bouleversa ces rapports. Téhéran, par la voix de l’ayatollah Khomeiny, critiqua alors la sujétion des monarques saoudiens à l’Amérique. Ryad craignit une contagion révolutionnaire dans les minorités chiites, et avec les monarchies du Golfe elle soutint la guerre menée par l’Irak contre l’Iran (1980-1988). Aujourd’hui encore et depuis les années 2000 l’Arabie saoudite et l’Iran se disputent le leadership régional, et se revendiquent chacun comme le gardien de l’Islam. Cette opposition a favorisé la réémergence de la rivalité entre Arabes et Perses et entre sunnites et chiites. Par ailleurs, l’accroissement depuis 2003 de l’influence iranienne en Irak, au Liban et en Syrie, voire au Yémen via le soutien de Téhéran aux rebelles Houthis, fait craindre au royaume saoudien un encerclement par un « croissant chiite ». Pour y faire face, Ryad s’appuie sur les États-Unis, avec qui ils sont liés par le pacte du Quincy de 1945, établi entre le roi Ibn Saoud, fondateur du royaume et le président Roosevelt. Par ce pacte, Washington s’engageait à protéger la famille royale en échange du pétrole saoudien. Même si aujourd’hui les États-Unis sont indépendants énergiquement grâce au pétrole de schiste, les relations avec l’Arabie sont maintenues du fait de l’importance du royaume sur le marché de l’or noir.

A lire aussi : Livre : Le goût de l’Iran

Si l’accord de 2015 sur le nucléaire iranien avait permis une amélioration dans les relations entre les États-Unis et l’Iran, il n’avait pas obtenu l’adhésion d’Israël et de l’Arabie saoudite : Tel-Aviv parlait d’« erreur historique » et Ryad craignait que la levée des sanctions ne permette de renforcer l’influence de l’Iran. A contrario, les deux pays ont salué la décision de Trump de se retirer de l’accord. En outre, l’Amérique veut se désengager progressivement du Moyen-Orient pour concentrer ses efforts sur l’Asie-Pacifique face à la puissance chinoise. Néanmoins, au vu de l’influence croissante de l’Iran, Trump pousse à un rapprochement entre Israël et les pays du Golfe, parlant même en janvier dernier d’un « Natome » (fusion de « OTAN » et « Moyen-Orient » en anglais). Un frein à ce rapprochement reste toutefois la question palestinienne, sujet sensible auprès des pétromonarchies.

Mots-clefs :

Vous venez de lire un article en accès libre

La Revue Conflits ne vit que par ses lecteurs. Pour nous soutenir, achetez la Revue Conflits en kiosque ou abonnez-vous !

À propos de l’auteur
Guillaume Duprat

Guillaume Duprat

Étudiant en relations internationales.

Voir aussi