Photoreporter de guerre depuis 40 ans, Patrick Robert revient sur ses reportages, ses guerres et l’évolution de son métier.
Patrick Robert, Chaque heure compte, la dernière tue, éditions Erick Bonnier, 604 p., 25 €.
Un crâne humain accroché sur le devant d’un pick-up : c’est une image qui frappe, voire qui choque, de celles qui restent gravées en mémoire. C’est justement ce cliché effectué par Patrick Robert au Libéria qui illustre la couverture de son livre. À dessein, explique-t-il : « Dans la peinture classique, on appelle cette allégorie une vanité, car elle exprime la fragilité de la vie et le temps qui passe ». Le titre qu’il a choisi pour son ouvrage est un parfait écho à ladite photo : « Chaque heure compte, la dernière tue ». Il s’agit de l’adaptation française d’une locution latine, figurant parfois sous les cadrans solaires ou les horloges anciennes. En effet, sa dernière heure à lui, il a failli la connaître en juillet 2003, dans ce même Libéria. Le photographe y couvrait la guerre civile pour le compte de l’agence Sygma et de Time Magazine lorsqu’il fut grièvement blessé par balles à Monrovia. Opéré en urgence et évacué en avion, il aurait pu y rester. Capricieuse, sinon facétieuse, la mort n’a pas voulu. Cette expérience extrême, sinon ultime, l’a conduit à s’interroger sur le sens de la vie et de sa destinée.
Journalisme de guerre
Figure de la corporation, multi-primé (il a notamment reçu deux Visas d’Or au festival de Perpignan), signature régulière et appréciée de la presse écrite, Patrick Robert a connu la plupart des conflits de ces quarante dernières années. C’est ce qu’il raconte dans un récit haletant qui prend la forme d’une croisière mouvementée sur le Styx, le fleuve des enfers de la mythologie grecque. De l’Irak au Zaïre, en passant par l’Afghanistan ou la Yougoslavie, le lecteur suit le photographe derrière son objectif et découvre les coulisses d’un métier soit méconnu, soit fantasmé. « Tâcher d’être partout où l’Histoire s’écrit » : tel fut le fil conducteur d’une existence placée sous le signe de Mars, dieu de la guerre. Évitant le piège de l’autoglorification ou du pseudo-romantisme inhérent à ce type de rétrospective, il nous livre des faits bruts et des constats lucides. Et règle quelques comptes au passage, comme lorsqu’il fustige ces confrères qui basculent dans le « militantisme humanitaire ». « La sensiblerie, qui me paraît insincère et démagogique, m’exaspère », écrit-il. Mais le grand mérite de Patrick Robert est de dépasser son aventure personnelle et de revenir sur les regrettables mutations d’une profession menacée par l’« ubérisation ». « À travers des souvenirs de reportages sur de nombreux théâtres de guerre, souligne-t-il, ce récit est aussi l’histoire de la perte de prestige du photojournalisme et de sa dilution dans le monde numérique. […] Aujourd’hui, la plupart des photos que vous voyez sont faites par des photographes du pays. Irakiens en Irak, Afghans en Afghanistan, Syriens en Syrie, Palestiniens à Gaza, Israéliens à Jérusalem, etc. Ils travaillent donc pour notre presse, mais à notre place et pour un salaire local très loin du SMIC français. Délocalisation. Il faut dire qu’aucun magazine ne veut ni ne peut plus assumer le coût d’un accident à l’étranger, d’une prise d’otage ou d’une blessure d’un envoyé spécial. Un photographe local sera indemnisé à moindres frais s’il a un accident. »
Autre bouleversement et non des moindres : le leadership des groupes de presse « rachetés par des industriels dont ce n’est pas le métier », rappelle Patrick Robert avant de conclure : « Avec le recul, nous avons le droit de constater aujourd’hui que leur but n’était pas de développer les journaux et les magazines qu’ils ont achetés, mais de les neutraliser : en réduisant drastiquement tous les budgets de production de l’information et en nommant à leurs têtes des gestionnaires à la place de journalistes. » CQFD.
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N.B. En tête de chaque chapitre, un QR code que le lecteur peut lire avec son smartphone mène directement aux images prises par l’auteur dans le conflit en question.