<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Guerre en Israël : quelle stratégie militaire ? Entretien avec Gil Mihaely

5 février 2024

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Guerre en Israël : quelle stratégie militaire ? Entretien avec Gil Mihaely

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Le 7 octobre dernier, le Hamas attaquait Israël. Après une réponse militaire de l’armée israélienne, un conflit s’engageait dans la bande de Gaza. Gil Mihaely tente d’apporter un éclairage militaire à cette guerre, en analysant la stratégie de l’armée et les forces employées contre le Hamas.    

Article paru dans le numéro 49 de janvier 2024 – Israël. La guerre sans fin.

Quel est l’objectif final de l’opération militaire israélienne à Gaza, définie par les autorités israéliennes ?

Le Premier ministre et les dirigeants de l’armée ont défini deux objectifs : la destruction des capacités du Hamas à mener la guerre et la libération des otages. Le deuxième objectif est clair, mais on peut l’atteindre sans faire usage de la force : le Hamas serait susceptible d’accepter un cessez-le-feu et une libération des prisonniers palestiniens en échange des otages (civils et militaires) qu’il détient. Sauf que ce marché signalerait la victoire du Hamas et donc il est peu probable qu’Israël l’accepte.

Pour ce qui concerne le premier objectif, la logique est que le Hamas est d’abord une idéologie, mais qu’il est également du matériel, cet ensemble des capacités qui lui ont permis de tenir tête à Israël depuis 2006 et d’exécuter leur attaque le 7 octobre. Ainsi, l’idée est de détruire le matériel par une opération au sol.

Les deux objectifs ne sont que partiellement compatibles. Mais si les otages non militaires sont relâchés, Israël pourrait privilégier l’affaiblissement du Hamas.

Un élément qu’il ne faut pas négliger concerne les discussions sur la suite. Tout d’abord, les sujets urgents liés à la population civile gazaouie qui va passer un hiver difficile et qui manque de tout. Et puis le sujet de l’après : reconstruire les infrastructures, les habitations, l’économie et l’administration. Tous ces sujets pourraient avoir un poids dans le rapport de force entre les différents acteurs et surtout Israël et le Hamas.

Le militaire est le moyen, le politique est la fin.

Tout à fait. Pendant les années 2000, Israël était aux prises avec la seconde Intifada, dans une situation qui ressemble un peu aux événements actuels, sur la bande de Gaza. Sept ans après Oslo (1993), années pendant lesquelles Israël était engagé dans un processus de séparation d’avec les Palestiniens, Israël s’est retrouvé dans une situation contraire, quasiment du jour au lendemain. Enlisé dans un conflit d’une intensité sans précédent depuis la première Intifada (1987-1993), Israël a mis trois ans à sortir militairement de la crise purement sécuritaire. Ariel Sharon, Premier ministre de 2001 à 2005, utilise la force, comme lors de l’opération à Jénine en 2002, ou lors du siège du QG de Yasser Arafat. Mais il a compris que la réponse musclée doit avoir un horizon politique. Arès l’Intifada, qui a fait un millier de morts israéliens, l’opinion publique n’était donc pas mûre pour une solution globale. Après la mort d’Arafat en octobre 2004, l’Autorité palestinienne donnait des gages d’ouverture et Sharon a donc décidé de lancer une initiative officiellement unilatérale : opérer les retraits de la bande de Gaza, avec le démantèlement des trois colonies du nord de la Cisjordanie ; le projet de Gaza était un projet pilote pour quelque chose de plus large. Il devait servir d’exemple pour convertir les opinions publiques et sa logique a été soutenue officiellement par la France. Pour y parvenir, Sharon devait bouleverser les paysages politiques en Israël, créer un nouveau parti pour mettre en place une majorité.

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Littéralement. L’armée était chargée de cette opération. Certains habitants ont refusé de faire leurs cartons. Ce sont donc des soldats qui sont passés dans les maisons pour les vider. Six mois plus tard, le bloc Sharon remportait la victoire, haut la main, et le parti de Netanyahou subissait une défaite sans précédent. À partir de janvier 2006, Sharon n’est plus aux commandes, pour des raisons de santé[1]. Son bras droit, Ehoud Olmert, est alors élu Premier ministre. Il est à la tête du nouveau bloc créé par Sharon, à partir de morceaux de différents partis, autour d’un projet de compromis avec les Palestiniens. Ainsi, il a fallu à la fois user de la force et de la politique pour sortir de la crise de la 2e Intifada. Le bloc de Sharon a remporté 33 % des sièges au Parlement israélien, ce qui est totalement inouï. Cela démontre une forte adhésion, un électorat solide, un compromis en bonne voie. Mais en même temps, le Hamas a gagné les élections palestiniennes. En janvier 2006, le Hamas prépare aussitôt l’opération qui aboutit à l’enlèvement du soldat Shalit, en juin. Dès 2005, le Hamas a donc décidé de ne pas donner une chance à ces projets de paix.

À la suite de cette opération, le Hezbollah décide de rejoindre le Hamas. La milice chiite kidnappe deux soldats israéliens. Israël a réagi dans le nord pour tenter de les libérer, sans savoir qu’ils étaient déjà morts, ce qui a provoqué le conflit de l’été 2006. Le gouvernement israélien s’en est sorti affaibli. Entre juin et mi-août 2006, le Hamas et le Hezbollah sont parvenus à torpiller complètement le projet de Sharon. À partir de ce moment-là, le parti du compromis avec les Palestiniens, le parti de ceux qui pensaient que l’on pourrait faire quelque chose avec l’autorité palestinienne, a perdu de sa crédibilité. D’où la victoire de Netanyahou en 2009.

Sait-on pourquoi le Hamas a lancé cette attaque le 7 octobre, alors qu’il se doutait bien qu’il y aurait une réaction israélienne ? Était-ce justement pour provoquer cette réaction et peut-être prendre l’opinion mondiale à témoin, via les images de destruction qui donneraient une image négative d’Israël, ou bien avait-il d’autres projets politiques en tête ? Est-ce pour empêcher la paix de s’installer, ou bien pour provoquer une nouvelle guerre ?

Je ne suis pas sûr que le Hamas avait en tête ce qui allait se passer, lorsqu’il a lancé l’opération du 7 octobre. Pour établir un parallèle, un homme qui se disait pour la guerre en juillet 1914 était pour la guerre certes, mais certainement pas pour la Première Guerre mondiale. Il n’envisageait pas l’ampleur qu’allait prendre le conflit. Le Hamas était pour cette opération, mais je ne suis pas certain qu’il s’attendait à un tel succès. Yahya Sinouar, le patron du Hamas à Gaza, est un homme de contre-espionnage. Il repère les collabos, empêche les services israéliens de pénétrer le Hamas et la branche armée. Lorsqu’il était en prison, il était supposé démasquer les prisonniers qui renseignaient Israël. Le service de renseignement de prison est l’une des branches les plus importantes des services de renseignement. Car ce qu’il se passe dans les prisons est fondamental, on y planifie des choses, on y crée des réseaux. On l’appelle Monsieur 12, car il a pour réputation d’avoir tué de ses propres mains 12 personnes soupçonnées de collaboration avec Israël.

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Une fois les capacités opérationnelles mûres, il voulait lancer le projet le plus tôt possible. Car chaque jour qui passe, c’est un jour donné aux services israéliens, qui peuvent anéantir tous ses efforts. Et effectivement, les services israéliens étaient peut-être à douze heures de percer le secret. Le chef du service de renseignement intérieur israélien, le Shin Bet, avait déjà rédigé une alerte qu’il allait diffuser le samedi. Mais c’était trop tard.

Stratégiquement, le Hamas, comme l’OLP[2] et le Fatah, était devant un dilemme. Si le Hamas joue le jeu, signe des trêves avec Israël et se transforme davantage en gouvernement de Gaza plutôt qu’en organisation radicale, il perd sa singularité, et la différence entre lui et l’autorité palestinienne n’est pas visible. Dans les années 1970, l’autorité palestinienne est favorable à la lutte armée qui permettrait de remplacer Israël par un État palestinien, du Jourdain à la mer. Mais alors qu’est-ce que le Hamas aujourd’hui ? Un OLP bis ? Je pense donc qu’ils ont tranché ce débat en décidant de renverser la table et en refusant de suivre l’évolution de l’autorité palestinienne. Ils sont toujours engagés pour la destruction de l’État d’Israël par la lutte armée et l’idéologie islamiste.

Si l’on en revient à la stratégie militaire mise en place par Israël dans sa réponse, il s’agit d’un combat en zone urbaine. Ce qui est sans doute plus difficile d’un point de vue militaire. La guerre revêt plusieurs dimensions, il est très facile de se cacher dans des bâtiments détruits, de disposer de réserves dans des tunnels. Le risque militaire est donc plus élevé, et on constate que la situation a été prise avec assez de prudence : d’abord les bombardements, puis quelques envois en mission, et enfin une intervention plus directe début novembre. Comment éviter que cette attaque de Gaza ne soit le tombeau de Tsahal ?

Ajoutons deux contraintes à celles-ci. D’abord, des dizaines de milliers de civils palestiniens sont présents. L’armée a le devoir de tout faire pour les épargner. Elle ne peut pas détruire une cible sans prendre en considération la possibilité qu’il y ait un civil dans les parages, et sans prendre de précautions. Et ensuite, la question des otages est fondamentale. Ils se trouvent probablement dans les tunnels. Il faut toujours prendre en compte le fait qu’autour de votre cible se trouvent des personnes qu’il faut sauver.

Ce qu’on constate est que les pertes israéliennes sont relativement faibles par rapport aux pertes du Hamas. Selon les estimations israéliennes, le Hamas aurait perdu 5 000 à 6 000 hommes, contre 74 militaires tués (entre le 27 octobre et 17 novembre). En revanche, les pertes palestiniennes sont considérées par les alliés d’Israël et notamment les Américains comme trop élevées. À Washington, on parle d’une série de pauses renouvelables qui ressemble de plus en plus à un cessez-le-feu permanent.

Israël se voit donc obligé de changer ses méthodes au nord de la bande de Gaza et de revoir ses plans pour le sud. La situation pourrait évoluer vers une phase intermédiaire de présence israélienne massive dans le nord, négociations sur les otages et les problèmes humanitaires et frappes et raids israéliens rares et ciblés.

Enfin, la situation politique en Israël est instable. La majorité de Netanyahou ne jouit pas de la confiance des électeurs et des élections anticipées (les prochaines élections sont prévues en novembre 2026) sont quasiment inéluctables. Une nouvelle majorité et un nouveau Premier ministre pourraient permettre des options inenvisageables quand Netanyahou est aux commandes.

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[1] Victime d’un AVC, il est plongé dans le coma et décède en janvier 2014.

[2] OLP : Organisation de libération de la Palestine, créée en 1964.

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