<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Ruée sur les marques et les brevets

8 décembre 2020

Temps de lecture : 3 minutes

Photo : Saisie de contrefacon dans le Centre de Tri de La Poste © SYSPEO/SIPA 00963894_000014

Abonnement Conflits

Ruée sur les marques et les brevets

par

Qu’est-ce qui compte le plus pour une entreprise ? Ses usines ? Les machines qu’elle possède ? Entrez dans le xxie siècle : le plus important est son capital immatériel, ses marques, son nom, son savoir-faire, les brevets qu’elle a déposés. Le détournement de marque (ou contrefaçon) et les atteintes à la propriété intellectuelle constituent donc une forme de « razzia » redoutable. Ils n’intéressent la guerre économique que dans la mesure où les pays qui les accueillent laissent faire ou encouragent ces pratiques qui apportent des devises et qui permettent de développer de nouveaux secteurs industriels.

Selon la chambre internationale de commerce, le chiffre d’affaires mondial de la contrefaçon représenterait aujourd’hui 5 à 7 % du commerce mondial, soit plus de 1 000 milliards de dollars. Elle ne concerne plus seulement les produits de luxe, mais aussi les pièces détachées automobiles, les logiciels, les médicaments…

Les conséquences en sont graves, non seulement pour les entreprises qui perdent de l’argent et parfois leur réputation, mais pour les consommateurs car les produits contrefaits sont souvent de mauvaise qualité. Pfizer, qui est évidemment partie prenante et dont les chiffres doivent être regardés avec prudence, estime qu’un cinquième du million de morts annuels du paludisme est provoqué par l’absorption de médicaments frelatés.

A lire aussi: Pharmacie : un atout français

Selon un rapport de la Commission européenne de juillet 2014, 66 % des saisies de produits contrefaits en 2013 venaient de Chine et 13 % de Hong Kong ; selon les douanes américaines, le chiffre s’élevait à 87 % pour la période 2008-2010. Autant dire que la contrefaçon a une patrie comme l’on constaté tous ceux qui ont fréquenté le marché de la rue de la Soie à Pékin où tout se vend de façon ouverte. À elle seule, la Chine produit 190 milliards de cigarettes contrefaites chaque année, principalement dans le Fujian.

Le gouvernement chinois multiplie les actions spectaculaires depuis peu.  Mais trop d’intérêts sont en jeu et Pékin laisse faire la plupart du temps. Surtout, elle a défini le cadre qui explique beaucoup de ces contrefaçons, l’obligation pour les entreprises occidentales de trouver des partenaires en Chine. Selon le spécialiste américain Mark Turnage, cette coopération  facilite le copiage et l’imitation.

Il est difficile de trouver une parade internationale. En 2010 a été signé l’accord international contre la contrefaçon (ACTA) par l’ensemble des pays développés et quelques pays du Sud comme le Maroc et Singapour. Mais la Chine, l’Inde et le Brésil n’ont pas été associés…

Le pillage des brevets

Après la Chine, l’Inde. La protection des brevets y dépend de la loi de 1970 qui prévoit de nombreuses exceptions dans son article 3 : les inventions « frivoles », contraires à la « moralité » et celles qui ne sont que des adaptations d’inventions anciennes ne pourront faire l’objet d’un brevet. Par ailleurs, les molécules pharmaceutiques ne seront pas protégées, seulement les processus de fabrication : autant dire que l’imitation est tolérée à condition de fabriquer la copie de façon originale.

A lire aussi: Le renseignement au sein des entreprises

Sous la pression internationale, l’Inde a révisé ce dernier point en 2005. Mais le reste de la loi reste en usage. Ainsi Novartis n’a pu déposer le brevet de son médicament anti-leucémique Glivec après une bataille juridique engagée en 2006 et close en 2013 par un avis de la Cour suprême indienne. En 2012 c’est le brevet d’un médicament contre l’asthme de Merck qui avait été annulé par le même tribunal. Les produits pharmaceutiques sont en effet particulièrement visés comme l’analyse David Simonnet.

Assurés de pouvoir copier en toute impunité, les groupes indiens se sont développés comme Ranbaxy, Cipla, Panacea ou Dr Reddy’s en se spécialisant dans les génériques. Ils vendent en Inde, mais réalisent aussi plus de 30 % de leur chiffre d’affaires à l’export vers les autres pays du Sud, en particulier dans le cas des médicaments anti-SIDA. Il est vrai que l’Inde a su se présenter habilement comme le « laboratoire des pays pauvres » ; aussi les ONG comme Médecins sans frontières prennent régulièrement sa défense. La compassion des uns sert les intérêts et les profits des autres.

À propos de l’auteur
John Mackenzie

John Mackenzie

Géopolitologue et grand reporter, John Mackenzie parcourt de nombreuses zones de guerre.

Voir aussi