Avec ses quatre nouvelles lignes et 68 gares, le Grand Paris Express redessine le paysage urbain et économique francilien. Plus qu’un projet de transport, il incarne une transformation structurelle du rapport centre-périphérie, en facilitant les déplacements entre banlieues et en dynamisant de nouveaux pôles d’attractivité.
Propos recueillis par Paulin de Rosny
Si la géopolitique est souvent associée aux relations internationales, elle entretient également des liens profonds avec la géographie, notamment dans l’analyse des dynamiques territoriales. L’Île-de-France, en tant qu’espace en mutation, en offre une illustration saisissante. Le Grand Paris Express ne se limite pas à un projet de transport : il recompose les rapports de force entre centre et périphérie, redéfinit les polarités économiques et sociales, et reconfigure l’attractivité des territoires. Dans cet entretien avec la Société des Grands Projets, nous explorons comment cette infrastructure s’inscrit dans une logique de transformation urbaine et de rééquilibrage territorial.
Comment le Grand Paris Express pourrait-il transformer la dynamique centre-périphérie en Île-de-France et redéfinir la notion de centralité dans cette région ?
Le Grand Paris Express sera un puissant facteur de redéfinition du rapport entre Paris et ses périphéries. Avec 4 nouvelles lignes de métro circulaires autour de Paris et 68 nouvelles gares, le Grand Paris Express va permettre de faciliter les déplacements de banlieues à banlieues, sans passer par le centre de Paris. C’est une « révolution conceptuelle » pour les transports franciliens initialement organisés en étoile depuis la Capitale.
Ce projet est le fruit d’une ambition qui a émergé à partir de 2007. À l’époque, les émeutes urbaines de 2005 dans les banlieues françaises, et notamment franciliennes, ont mis en lumière des fractures socio-économiques majeures dans la région capitale, qui concentrait pourtant 30% du PIB national. Le président de la République de l’époque, Nicolas Sarkozy, a lancé le projet du « Grand Paris » pour corriger cette situation et rendre la métropole plus attractive avec un développement économique et social qui bénéficierait à tous les Franciliens.
Avec le prolongement de la ligne 14 et la réalisation des lignes 15, 16, 17 et 18, le Grand Paris Express va multiplier les opportunités d’accès à l’emploi en facilitant les déplacements des Franciliens. Il dynamisera de nouveaux pôles d’attractivité locaux à travers de nouveaux quartiers de gares (commerces, loisirs, services culturels, etc.) et améliorera l’accès aux grands pôles économiques existants, aux infrastructures de santé ou encore aux centres universitaires.
Comment les populations locales sont-elles impliquées dans la planification et la mise en œuvre du projet, et leurs attentes sont-elles réellement prises en compte ou est-ce principalement l’administration qui dicte les politiques d’aménagement ?
Le dialogue avec les collectivités territoriales est central dans la méthode déployée par la Société des grands projets depuis 2010 pour mener à bien les travaux du Grand Paris Express. L’adhésion des élus et populations locales à ce projet est une clé de sa réussite. Cette adhésion ne peut s’obtenir sans dialogue, sans concertation et sans une adaptation aux besoins et contraintes de chaque territoire traversé par le nouveau métro. La SGP est en contact au quotidien avec les élus et les riverains pour expliquer et accompagner les travaux qui peuvent parfois avoir un impact sur leur vie quotidienne. Grâce à ce travail de relation territoriale, les chantiers du Grand Paris Express sont plutôt bien acceptés par les habitants.
En quoi le Grand Paris Express favorisera-t-il un rééquilibrage entre les différentes polarités de l’Île-de-France, comme La Défense, Saclay ou Roissy ?
Interconnecté à 80% avec le réseau existant, le Grand Paris Express multipliera les opportunités d’accès à l’emploi, l’éducation, la santé ou la culture pour des populations actuellement mal ou pas desservies par un moyen de transport en commun fiable, rapide et sécurisé.
Plus qu’un projet de transport, le Grand Paris Express est aussi un projet d’aménagement qui permettra également l’émergence de nouveaux quartiers de gares, et donc de potentiels nouveaux pôles d’activités économiques, culturelles et de loisirs.
L’un des exemples les plus emblématiques est celui du plateau de Saclay. Depuis 40 ans, ce territoire de recherches et d’innovations se développe au sud-ouest de la Capitale en accueillant des dizaines de milliers de travailleurs et d’étudiants chaque jour. Aujourd’hui ces personnes n’ont d’autre choix que d’emprunter un réseau routier congestionné pour s’y rendre, faute de réseau de transports suffisant. Un étudiant résidant à Massy met actuellement 40 minutes pour rejoindre l’université Paris-Saclay, alors qu’il en mettra seulement 6 avec la ligne 18.
Le plateau sera directement desservi par la ligne 18 du Grand Paris Express grâce à un viaduc de 6,7 km de long et 3 gares aériennes (Palaiseau, Marguerite Perey et Christ de Saclay). En 2030, il sera directement relié à Versailles à l’Ouest et à l’aéroport d’Orly à l’Est.
Au-delà du développement économique, la SGP travaille étroitement avec les collectivités pour améliorer l’aménagement des quartiers de gares, et notamment la qualité de vie. L’arrivée d’une nouvelle gare permet de transformer et rénover des quartiers entiers en faveur d’une ville plus durable, plus accessible, avec un nouvel équilibre entre logements, services publics de proximité, commerces, bureaux et espaces verts. Là aussi, le Grand Paris Express est un puissant facteur de réécriture de la ville et du rapport centre-périphérie.
Quels sont les impacts environnementaux de la construction des gares et des lignes, notamment en termes d’artificialisation des espaces naturels ou agricoles en Île-de-France ?
La Société des grands projets a mis en place, dès la conception du projet, une démarche environnementale qui repose sur trois piliers « Eviter », « Réduire », « Compenser ». Cette démarche rigoureuse a été appliquée pour la construction de chaque ligne, gare et ouvrage afin de préserver la biodiversité et limiter les impacts du projet sur l’environnement.
En amont de la construction des nouvelles lignes de métro, la SGP a pris en compte les enjeux écologiques et sociaux des territoires : la réalisation à 90% du Grand Paris Express en souterrain, le recours aux tunneliers pour le creusement des tunnels afin de limiter l’occupation de l’espace en surface, le recours du béton bas carbone (beaucoup moins émissifs en CO2 que le béton « classique »), ou encore la prise en compte des périodes de nidification selon les phases de travaux.
S’il n’est pas possible d’éviter certains impacts, toutes les surfaces des chantiers sont optimisées en concertation avec les collectivités. Les entreprises de travaux doivent respecter de nombreuses exigences environnementales : périodes de travaux adaptées aux contraintes et rythmes écologiques du milieu naturel, réduction des nuisances pour les riverains (bruit, poussières…), tri et réduction des déchets, recyclage des eaux industrielles ou de ruissellement…
Enfin, lorsqu’il n’est pas possible d’éviter ou de limiter suffisamment les incidences liées aux travaux, la SGP met tout en œuvre pour que les mesures compensatoires retenues soient les plus adaptées au regard de leur insertion territoriale et d’un point de vue écologique. Un suivi sur 30 ans de ces mesures de compensation écologique est ainsi mis en place pour évaluer leur efficacité et les ajuster en cas de besoin.
Au-delà de la phase de réalisation, le Grand Paris Express est, par essence, un projet écologique car il permettra une réduction d’au moins 10,9 millions de tonnes équivalent CO2 à l’horizon 2050, soit seulement 20 ans après sa mise en service complète.
La réduction des émissions s’explique ici par plusieurs facteurs. D’abord, et c’est peut-être le plus évident, le Grand Paris Express va permettre de désenclaver des territoires isolés de tout mode de transport en commun lourd et permettre des connexions directes qui n’existent pas aujourd’hui. Il va ainsi générer du report modal et une réduction significative de l’utilisation de la voiture individuelle. Il évitera de ce fait un certain nombre d’externalités, comme les embouteillages ou la pollution générée par le trafic routier dont il est démontré que c’est l’une des principales sources d’émissions de gaz à effet de serre en Île-de-France. Enfin, le Grand Paris Express va affecter positivement la métropole au-delà des transports. En effet, la rénovation des quartiers de gare avec la construction de nouveaux projets urbains permettra de répondre aux enjeux environnementaux de notre époque avec des bâtiments moins énergivores, l’intégration de la biodiversité comme composante urbaine, la réduction de l’empreinte carbone et l’économie des ressources dans la construction des bâtiments.
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