Vladimir Fédorovski, qui en est à son 42e livre, intitule son dernier le « roman vrai » de Gorbatchev. Compare-t-il le père de la perestroïka, à Napoléon qui avait dit « quel roman que ma vie ? Le titre de l’ouvrage, est intitulé le « roman vrai », est-ce à dire que tout ce qui a été écrit sur le 7è gensek, même par ses collaborateurs les plus proches, comme Andreï Gratchev, n’a pas été vrai ?
Car dans ses divers ouvrages, celui qui fut jusqu’au dernier jour son conseiller de presse en fit bien de révélations. Le soir de sa démission, raconte-t-il « Gorbatchev resta au Kremlin pour sa Cène. On dressa la table dans le Salon de noyer où le Politburo aimait se réunir pour des consultations officieuses à l’époque. Nous n’étions que six autour de cette table et nous nous efforcions, comme nous le pouvions, d’adoucir et de partager la solitude d’un homme qui venait de se voir obligé de remettre la cause principale de sa vie dans des mains étrangères, mais qui n’était pas prêt à l’accepter. Même s’il s’agissait des mains de l’histoire ».[1] L’ouvrage de Fédorovski, ne se veut, ni exhaustif, encore moins universitaire ; il n’a pas l’ampleur et la richesse de la copieuse biographie de William Taubman, vainqueur du prix Pulitzer : GORBATCHEV, His life and times, Simon and Schuster, 2017, 852 pages. Ne prétendant pas à une narration objective, Vladimir Fédorovski s‘est essentiellement appuyé sur les confidences de son « ami » Alexandre Yakovlev, qui aurait été, le véritable mentor intellectuel de Gorbatchev et qui a conceptualisé le concept de glasnost et de pérestroïka. Sans nul doute Yakovlev fut le père Joseph de Gorbatchev, mais peut-il prétendre à avoir été le seul ? On sait que déjà durant le court règne de Youri Andropov, qui fit de Gorbatchev, son dauphin, l’ancien chef du KGB, devenu le successeur de Brejnev, envisageait déjà la transparence (glasnost), la démocratisation (demokratizatisia) en substance le développement des discussions au sein du parti, enfin une « nouvelle pensée » (novoye michlenié). Fédorovski nous le rappelle à juste titre. Il est intéressant de comparer les deux versions que livrent Fédorovski et Taubman du fameux voyage de Gorbatchev d’une semaine au Canada. Echappant aux oreilles indiscrètes de ses gardes du corps, les deux hommes ont marché dans la forêt, échangé, leurs points de vue et en ont conclu que le système du socialisme existant ne pouvait pas être réformé, mais fondamentalement restructuré . « Vous êtes le seul homme à pouvoir le faire » lui dit Yakovlev. Fédorovski, reproche à Gorbatchev, son ingratitude vis-à-vis de Yakovlev, le fait qu’il ne l’ait jamais remercié. Taubman a une autre interprétation qui semble plus crédible. Gorbatchev connaissait la susceptibilité de Yakovlev et pouvait croire qu’il avait été l’inventeur de la perestroïka. Comment croire que dans un régime, basé sur les rapports de force au sein du politburo, un aspirant au pouvoir suprême aurait-il laissé entendre qu’il n’est pas maître de sa politique. Tous les chapitres du livre sont enrobés de formule relevant , du mystère qu’il nous dévoilerait. L’histoire secrète de la chute du mur de Berlin, les secrets du putsch, la tragédie de l’espoir…Belles formules, sondent -elles toute la vérité. Sur le séjour de Gorbatchev à Foros, son ex-principal conseiller Yakovlev s’exclama : « Gorbatchev est coupable d’avoir amené au pouvoir cette équipe de traîtres. Il devra s’en expliquer. » [2] Ces insinuations selon lesquelles Gorbatchev, aurait été au courant des tractations des putschistes se sont répandues dans la presse. Correspondent-elles à la réalité ? Bertrand Dufourcq, ambassadeur à Moscou en doute : le traité d’Union devait être signé le 20 août, quel intérêt aurait-il eu à un coup d’Etat.
Pourtant par petites touches Fédorovski dévoile des faits intéressants, comme la chronologie de ce 10 mars 1985 lorsque Gorbatchev a été adoubé par ses pairs. A 9h45 il est averti de la mort imminente de Tchernenko, mais il ne convoque le politburo, qu’à 22 heures sans prévenir à temps les trois autres membres, en voyage à l’étranger. Alexandre Yakovlev, croque avec délectation le prédécesseur : C’est un signal d’alarme éblouissant annonçant la catastrophe pour le système, sa non-viabilité. C’est l’exact reflet de l’absurdité d’un pouvoir qui s’appuie sur la contrainte physique et idéologique. L’absurdité du simple fait qu’il se retrouve au pouvoir ouvre les yeux à beaucoup dans le pays y compris dans l’appareil du Parti. Les appareils de l’Etat et de l’économie, l’appareil répressif y voient en revanche une possibilité de redistribuer le pouvoir en leur faveur ». Est-ce encore une manœuvre douteuse ? En avril 1974, Valéry Giscard d’Estaing avait été prévenu avant tous les autres candidats de la mort de Georges Pompidou. Une dernière chose intrigue dans le livre de Fédorovski, il écrit que Yakovlev lui aurait avoué n’avoir jamais pu percer le fond de la pensée, de Gorbatchev. Connaît-il des responsables politiques qui se mettent à nu, même après avoir quitté l’Olympe ? Mitterrand, le Sphynx, de Gaulle, le secret du pouvoir, la liste est longue, et loin d’être close.
[1] La chute du Kremlin, L’Empire du non- sens, Hachette, 1994, p.208.
[2] Guy Spitaels op.cit..